
La diaspora franco-malienne se prépare à la guerre

C'est une des communautés africaines les plus importantes, les plus anciennes et actives de France. Encore plus depuis la crise qui frappe le pays depuis près d'un an. Alors qu'une intervention militaire se prépare, la diaspora malienne est partagée entre impatience et craintes.
Depuis près d'un an, le Mali connaît l'une des plus graves crises de son histoire. Le déclenchement d'une rebellion touareg au nord a conduit, en moins de quelques semaines, à la partition du pays et à la chute du gouvernement d'Amadou Toumani Touré. Une situation qui n'a pas manqué d'impacter les Maliens de France, à des degrés différents selon qu'ils soient ressortissants Maliens ou Franco-Maliens, de la première, deuxième ou troisième génération. Manifestations, concerts, collectes, dans les foyers ou les associations de quartiers, des évènements pour appeler à la paix ont été organisés. Pour appeler à une intervention militaire également. "On est même impatients, indique sans détour Bara Traoré, un des responsables du foyer Bara à Montreuil. Nous qui connaissons l'histoire du Mali, nous sommes ébahis par un telle dégradation de la situation. Depuis les indépendances, les différents régimes ont dû faire face à la rebellion touareg. Il y a eu des négocations, des accords de paix, les gouvernements sucessifs ont répondu aux revendications des touaregs. Mais à chaque fois, ceux-ci n'ont pas respecté les accords. Aujourd'hui, c'est toute une nation qui est humiliée."
Nos grands-pères, sont morts pour libérer la France pendant les deux guerres mondiales. La France a le devoir d'intervenir
"Ici, l'opinion malienne est pour sauveur l'honneur de la nation"
Humiliation, le mot est lâché. Pour ces derniers, la déroute de l'armée malienne, l'incapacité du régime à faire place à cette énimème insurrection, la scission du pays est vécue comme un affront que seul une offenssive militaire pourrait laver. "Ici, l'opinion malienne dans sa grande majorité est pour le combat militaire, pour sauveur l'honneur de la nation, poursuit un autre responsable du foyer, Barka Traoré. Et nous l'avons dit aux autorités." Lors de rencontres avec les représentants des autorités maliennes notamment. "Dès le début des hostilités, ajoute-t-il, un débat a été organisé ici par le Haut conseil des Maliens de France. Des représentants des autorités maliennes sont venus nous informer de la situation au Mali. La salle était pleine et tout le monde s'est exprimé. Nous avons été clair : il faut intervenir militairement. Pour nous les Maliens, c'est dans notre culture, nous sommes tous des petits fils de guerrier. Comment un petit-fils de guerrier peut ainsi déserter le front ? Certains ont même donné leur nom et se sont dits prêts à rentrer au pays pour se battre." Quitte à faire appel à des soutiens extérieurs. Y compris celui de l'ancienne colonie. "Même si le combat se fait de façon multilérale, avec la communauté internationale, la coopération de la France et l'envoi sur le terrain des hommes de la Cédéao (NDLR : la force d'intervention de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), ajoute Barka Traoré. De toute façon l'armée malienne sera majoritaire sur le terrain ensuite. La France a une double responsabilité : d'abord parce que la crise au Mali est une des conséquences directes de l'intervention en Libye ensuite parce que des Maliens, nos grands-pères, sont morts pour libérer la France pendant les deux guerres mondiales. La France a le devoir d'intervenir et nous l'avons dit au député Jean-Pierre Brard (Parti Communiste, NDLR) quand il est venu nous voir."
"Les Maliens de France sont plus pro-guerre qu'on ne le croit."
Une position radicale qui si elle ne représente pas l'ensemble de la diaspora malienne en France, traduit celle d'une bonne majorité. Celle de sa base. La plus impliquée au Mali comme en France dans la vie de la communauté. "Depuis le début de la crise, nous avons créé un collectif des Maliens pour la paix qui fédère un ensemble d'associations, explique Mahamadou Cissé, représentant du Conseil de base des Maliens de France. A la suite du coup d'état du 22 mars, s'est constitué un front de refus du putsh, qui réunit des associations et des partis politiques, un relais de sa structure-mère au Mali." Impliqué dans les deux structures, l'homme admet connaître des difficultés à faire entendre une position moins radicale au sein de la diaspora. "Les Maliens de France sont plus pro-guerre qu'on ne le croit. C'est une question de niveau de compréhension. Pour eux, il y a eu plusieurs accords, qui n'ont pas été respecté. Ils sont très radicaux vis à vis du MNLA (le Mouvement national de libération de l'Azawad, le mouvement qui a déclenché l'insurrection mais qui n'est pas le seul groupe armé à opérer dans le nord du pays, NDLR) qu'ils rendent fautifs. Pour eux, il faut les mettre dehors. Certains d'entre-nous pensent différemment. Une intervention militaire serait compliquée. Les "rebelles" sont tellement mêlées aux populations civiles que des dommages collatéraux seraient inévitables." Sauf que les "pro-guerre" semblent l'avoir emporté.
On est désarmé face à la situation au Mali. L'éloignement augmente la peur.
"La guerre, on sait quand ça commence… "
Awa Traoré, Franco-malienne, née au Mali, conseillère municipale à l'Île-Saint-Denis (93), déléguée à la petite enfance et aux quartiers, voudrait elle aussi éviter la guerre. Mais faute d'alternative, elle s'interroge : "Doit-on laisser la situation se détériorer davantage ? On est désarmé face à la situation au Mali. L'éloignement augmente la peur." Pour essayer de comprendre la situation, une réunion a été organisée en mai dernier en présence d'Aminata Traoré, ancienne ministre malienne. "Je ne sais pas s'il y a d'autres options. Des étrangers ont occupé le territoire et veulent soit disant islamiser le pays et c'est inacceptable. Même si je ne suis pas spécialement pro-guerre, parce qu’une guerre, on sait quand elle commence, mais on ne sait jamais quand elle se termine. La crainte c'est d'avoir des pertes civiles." Quant à l'intervention de la France, l'élue franco-malienne la juge compréhensible : "La France connaît mieux le territoire malien que d'autres pays européens par exemple. Elle intervient également parce qu'elle a des otages sur place. Ensuite, elle ne va pas envoyer des hommes sur le terrain, ce sont les soldats de la Cédéao qui vont intervenir. Ce qui est préférable. On est quand même une nation africaine. Et si aujourd'hui c'est le Mali qui est touché, c'est l'ensemble de la sous-région qui est concerné et même au delà."
Les Franco-maliens ne sont pas plus touchés que cela parce que leur région d'origine n'est pas touchée. Kayes en l'occurrence, d'où sont originaires 95% des Maliens de France.
"Les jeunes Franco-maliens sont d'abord Français, plus préoccupés par leur quotidien en France"
Qu'en est-il des jeunes Franco-maliens, ceux de la deuxième et troisième génération ? "On suit ça de loin", confie Lamine, 36 ans, éducateur sportif et membre de l'association 2mains à Saint Denis. "Au départ, on a pensé que c'était un truc qui allait passer. Parce que le Mali est connu pour être un pays calme, pas comme la Côte d'Ivoire par exemple. On a été surpris. La situation s'est très vite dégradée. Mais on n'en entend pas tellement parler sauf quand on veut parler des islamistes bien sûr. Si le Mali avait du pétrole ou autres, l'intervention militaire aurait eu lieu depuis longtemps. Il faut dire qu'en Afrique on a du mal à mettre les choses en place. Je suis tout ça avec beaucoup d'interrogations." Mais de loin. Justement, mobiliser ces Franco-maliens c'est tout l'objectif de l'association Seconde génération. "Au départ, nous avons créé un évènement, Miss Franco-Mali pour rassembler une communauté lésée et stigmatisée, rappelle Mams Yaffa un des membres fondateur. Après la diffusion du film Fatou la Malienne, nous avons créé Seconde génération, quand on s'est rendu compte qu'alors que la communauté malienne en France était dénigrée, les franco-maliens ne revendiquaeint plus leur maliennitude." Mams confirme le détachement de la jeunesse franco-malienne quant au sort de leur pays d'origine et l'explique : "En dehors d'une trentaine de leaders associatifs, très actifs sur les réseaux sociaux, les Franco-maliens ne sont pas plus touchés que cela par la situation au Mali. D'abord parce que leur région d'origine n'est pas touchée. Kayes en l'occurrence, d'où sont originaires 95% des Maliens de France. Ils ne se sentent pas concernés parce qu'ils ne sont pas touchés dans leur chair. Ils n'ont pas eu connaissance du contexte historique. C'est aussi parce qu'ils sont Français et qu'ils sont plus préoccupés par leur quotidien en France, le chômage, les discriminations, trouver un logement, etc... Comme tous les jeunes de partout, finalement." En attendant, son association organise le 30 novembre prochain la seconde édition de Miss Franco-Mali à l'Alhambra au Mali. Une manifestation dédiée à la paix au Mali.