De la démocratie en Algérie : une émeute pour un logement ?

Le 02-05-2013
Par Farid Mebarki

Les élections municipales qui ont clôt l’année 2012, même émaillées d’incidents, ne semblent pas susciter de grands espoirs parmi les Algériens. Dans la commune de M’chedallah, le temps des doléances a laissé la place à l’attente anxieuse des décisions que la nouvelle équipe municipale prendra ; notamment pour la construction – attribution de logements sociaux. L’émeute là encore n’est pas loin.

 
Comme la France, l’Algérie a un problème de logement. L’explosion démographique, les réticences à assumer une politique d’urbanisation et la corruption, jalonnent l’impossible politique algérienne du logement. En 1954 l’Abbé Pierre avait décrété l’insurrection de la bonté pour obliger les Français à regarder ces drames qui naissent de l’absence ou du mal logement. L’Algérie rattrape depuis une décennie son retard également sous la pression de la rue… et des entrepreneurs du béton. En 2014, le programme de construction devrait avoir livré 1.4 millions de logements.
 
Les gouvernements algériens qui se succèdent semblent fâchés avec la ville. Il suffit de déambuler sur les axes enserrant Alger pour constater l’urgence qui semble avoir guidé la truelle des bâtisseurs. Grands ensembles champignons, massacre du paysage et des patrimoines, absence de voiries secondaires et développement anarchique du logement privé sans autre norme que celle du passe droit. La non-ville est à l’œuvre, charriant de nouveaux maux auquel le pays n’était pas préparé ; difficultés de transport, pollution, sur-occupation des appartements, délabrement prématuré, délinquance… Même s’ils ne parlent pas de sarcellite, beaucoup d’urbanistes appellent déjà à la création d’un ministère de la ville.
 
Dans les campagnes, il est loin le rêve égalitaire des villages socialistes qui étaient sensés préserver les Algériens des affres de l’exode rural et des vices de la société de consommation. A M’chedallah, l’habitat traditionnel n’est plus depuis longtemps. On bâtit avec frénésie, comme pour conjurer les craintes d’effondrement de la rente pétrolière ; une piscine municipale ici, une nouvelle mosquée là, un lotissement en lieu et place du marché historique, un collège… Pour les chibanis qui reviennent de leur exil ouvrier en France, le charme du village Maillot s’est définitivement perdu dans les bétonneuses qui tournent à plein régime. Pour les plus jeunes, c’est une aubaine relative. Redouane, la trentaine, au chômage et jeune marié, a bénéficié de cette manne. Afin d’éviter la prolifération des villes et assurer le maintien des populations en milieu rural, l’Etat finance jusqu’à 100 000 dinars la construction de maisons individuelles. En ouvrant la lourde porte en fer de cette maison blanche aux volets roses, Redouane pousse un soupir ; « le plus gros est encore à faire, et sans travail, je ne sais pas lorsque je vais pouvoir l’habiter ». A l’intérieur les murs et la dalle sont nus, seuls un robinet et quelques câbles électriques viennent agrémenter le décor. L’aide de l’Etat terminée, le chantier et la promesse d’une vie familiale apaisée se sont arrêtés. Combien de ces carcasses vides habitent désormais le paysage dans l’attente de leur achèvement ? Pour le moment Redouane monte des cloisons, construit des escaliers extérieurs et termine la nouvelle douche qui squatte le fond d’un couloir. Comme beaucoup d’autres, la maison patrimoniale qui abrite la famille élargie, prend les allures d’un local industriel accueillant après chaque, mariage greffes et excroissances en parpaing. Le beau et l’harmonie sont sacrifiés sur l’autel des fonctions pratiques et de l’impérative paix des chaumières.
 
La nouvelle équipe municipale RCD, fait l’objet de toutes les spéculations ; comment vont être répartis les logements de ces cités HLM posées aux alentours du village, en plein milieu des oliviers ? Alors que l’élection battait son plein, la commission d’attribution présidée par un représentant de l’Etat avait fait une première proposition annulée par le wali (préfet ndlr) inquiet des premiers mouvements d’émeutes enclenchés par les demandeurs malchanceux. Saïd, enseignant un temps intéressé par un mandat commente : «il ne faut pas se tromper, le maire n’a pas beaucoup de pouvoir dans le développement local. Contrairement à la France où les élus ont des prérogatives dans les orientations des ressources budgétaires de la commune, ici tout est décidé depuis Alger. Le maire a juste le droit d’accompagner la politique de l’Etat incarnée par la Daïra (sous-préfecture ndlr). Il est pris en étau entre la pression des habitants et les codes réglementaires qui le brident ». Si le rôle de maire est si ingrat, pourquoi cette passion électorale et cette compétition ? Personne n’est dupe, l’intérêt d’un poste dans une assemblée locale tient très souvent à ces revenus officieux qu’il procure ; l’Etat ayant laissé le soin aux élus d’assurer les passations de marchés publics et de mener le lobbying des acteurs économiques locaux. Selon Saïd, tous les maires prennent du poids à force de déjeuner à la table des bétonneurs qui contrairement aux grandes villes, ont su s’imposer là où la pratique les a souvent exclus au profit de bâtisseurs chinois hier, espagnols aujourd’hui. Un retour magnanime du pouvoir central pour le rôle de médiateurs qu’ils semblent assurer lorsque la tentation de l’émeute reprend. Contrairement aux pays voisins, la corruption semble être l’affaire de tous, une voie alternative de redistribution de la richesse profitable au maintien d’un système inamendable. Des arcanes du pouvoir aux chantiers de construction, tous, à travers les scrutins locaux, jouent un rôle dans l’allocation de la tchipa (bakchich ndlr).
 
Dans la boutique de prêt à porter de Muhend, qui n’a rien a envier à ses consœurs de la porte de Clignancourt, c’est le règne de la contrefaçon. Etape obligée des montagnards qui regagnent les hauteurs après un journée de labeur, son commerce est le lieu de toutes les discussions relatives à cette centaine de logements que la commission devrait de nouveau attribuer, cette fois en présence du nouveau maire. Beaucoup d’habitués de cette halte ont déposé des demandes afin de se rapprocher des commodités du village, échapper aux hivers rigoureux ou plus simplement fuir le diktat de la maison familiale où s’entassent les fratries et leur progéniture. Muhend est sceptique devant cette forme de rupture avec la terre des ancêtres que l’on ne foulera désormais que pour les fêtes ou la récolte des olives. Habiter dans ces cités n’est pas toujours bien perçu dans ce coin de l’Algérie où le même mot désigne indifféremment la famille et la maison, et où l’on forge encore sa réputation et son honneur à l’aune de sa capacité à bâtir sa demeure parmi les siens. Il est d’autant plus sceptique que sa qualité d’ancien immigré clandestin lui a permis de se frotter à ces cités HLM de la région parisienne où l’on vit « comme des poulets en batterie ». Il raille ainsi les habitués, « il est fini le temps où l’on achetait l’administration à coup d’huile kabyle, la démocratie a permis à des affamés de s’asseoir à un banquet qu’ils n’auraient jamais pu imaginer en rêve. ». Comment un smicard, un petit fonctionnaire ou un gars du coin, peut réagir aux sollicitations de tous ces entrepreneurs qui vivent de la manne pétrolière ? En acceptant le système. En l’acceptant d’autant plus que le peuple ne participe pas ou si peu au budget national constitué à 70% par la fiscalité pétrolière. Et Muhend de brandir les rappels et les assignations du service des impôts. « Je suis un terroriste fiscal, je ne paie pas d’impôts pour mon magasin même si en principe ils reviendraient à la commune. Je serai bien le seul. Et en plus ils serviraient à quoi, à part nourrir la corruption. Au moins l’argent du pétrole ne sort pas de mes poches ».
 
Une affaire Cahuzac de ce côté de la Méditerranée, n’aurait pas suscité de grande indignation tellement la fraude est généralisée. Pragmatique, Muhend regrette même le temps du parti unique ; « le maire était un agent du gouvernement sans aucune marge de manœuvre pour faire augmenter la tchipa, alors qu’avec le multipartisme et la légalisation de l’opposition, les élus réévaluent à chaque mandat leurs prétentions officielles et officieuses ». Le 9 mars dernier, le ministère de l’intérieur a augmenté le régime indemnitaire des maires, comme pour tourner la page des postures contestataires qui ont ponctué le dernier scrutin. A plus de 90$, le prix du baril d’or noir le permet encore…
 
 
 

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