De la démocratie en Algérie

Le 10-01-2013
Par Farid Mebarki

2012 s’est achevé par une visite de François Hollande en Algérie. Si presse et officiels ont appréhendé cet évènement comme l’acmé des 50 ans de l’indépendance, d’autres préoccupations animent cette démocratie en gestation, dont les soubresauts ont des résonances en                                       France…

 
a fortiori lorsque l’on annonce l’ouverture d’une usine Renault à Oran, alors que naguère les algériens traversaient par centaines de milliers la méditerranée pour faire tourner les usines Renault de Boulogne ou de Flins ! La roue tourne donc ; et la manne pétrolière n’y est pas pour rien, qui fait rêver les autorités françaises, et plane sur tous les efforts de réconciliation venant de Paris ; mais qui sert aussi à asseoir les notabilités locales qui la captent en partie. 
A ce titre, les élections municipales du 29 novembre dernier constituaient l’une des étapes d’une émergence démocratique en cours. En région kabyle, habituée aux boycotts à répétition et aux épreuves de force avec le pouvoir central, contrairement aux présidentielles et aux législatives, ce scrutin était primordial. Et comme ailleurs, la commune de M’chedallah s’animait au gré des bulletins glissés dans l’urne et des dernières prévisions colportées par la rumeur. 
 

Ni le vent, ni la pluie n’altèreront l’envie de voter…

L’incident est clos. Dans le bureau de vote de l’école primaire d’Ath Ikhlef, on vient d’évacuer avec tact mais fermeté un citoyen quelque peu éméché venu accomplir son devoir tout en menaçant de mettre le feu aux urnes. La tension est palpable en ce lieu trop exigu pour contenir l’affluence. Malgré les policiers en faction, la diligence du chef du bureau de vote et l’œil vigilant des assesseurs ; militants, citoyens, passants, gamins, se sont donnés rendez-vous au bureau de vote pour accompagner la dynamique par des commentaires, des conciliabules et quelques rires qui dissimulent mal l’attente nerveuse. Ni la pluie glacée, ni le vent qui souffle depuis les hauteurs du Djurdjura, n’altéreront la vigilance des villageois soucieux qu’aucun vote ne soit annulé dans une compétition électorale très serrée. Par grappes et toujours chaperonnées, des femmes viendront aussi se prononcer pour ressortir aussitôt leur devoir civique accompli.
 

« On a tous une demande de logement social en cours »

Cinq listes sont en lice mais tous se focalisent sur le duel entre le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie et le Front des Forces Socialistes, dont c’est le retour après plusieurs années de boycott. Souvent qualifiés de partis démocrates par la presse française, ces deux formations ont surtout comme atout de fédérer une base militante large et de présenter des candidats qui ont bonne réputation. Pour ce qui est de la démocratie, les avis sont partagés… Les discussions accordent davantage d’intérêt aux appartenances claniques des candidats, à leur lieu d’habitation, à leurs alliances familiales et à leur proximité induite avec la localité d’Ath Ikhlef qu’à leur programme ou leur engagement politique. Une réalité qui rappelle  la France du milieu du 19è siècle. C’est qu’ici, « on a tous une demande de logement social en cours et on attend toujours d’être relié au gaz de ville ! » ironise Yazid, un jeune commerçant qui décrypte avec enthousiasme les dernières informations venues des autres bureaux de vote. Selon cette méthode, le RCD devrait l’emporter.
 

L’émeute, une autre forme de participation politique

Avec ses 24 400 habitants et ses 17 500 inscrits sur la liste électorale, la commune pourrait bien connaître un fort taux d’abstention tant il est convenu que les élections en Algérie sont largement concurrencées par d’autres formes de participation. Au premier rang desquelles l’émeute (112 878 cas enregistrés en 2010, selon le quotidien d’information Liberté). Là encore, la France, terre d’émeutes et de Révolutions s’il en est, n’a de leçons à donner à personne. Tant, tout au long des 19è et 20è siècles, l’histoire s’est écrite à coups de pavés et de coups de matraque. « Eh oui, moi aussi je suis devenu un traître ! » soupire Halim, maçon occasionnel de 35 ans qui, lorsqu’il en avait 25, faisait parti de ces farouches insurgés de ce Printemps noir ayant en 2001 embrasé la Kabylie dans des propensions inédites par la mobilisation et la répression (plus de 100 morts et environ 5000 blessés). 
 

Trahison !

« Et en plus je ne peux pas le cacher ! » s’exclame-t-il en exhibant son index noirci par l’encre utilisée pour l’apposition de son empreinte digitale sur le registre des électeurs. C’est la première fois qu’il vote depuis 10 ans dans une région marquée par le boycott dont il a été l’un des bras armés : caillassage de bus venus déverser des cohortes de votants de régions voisines, mise à sac des bureaux de vote, incendie des urnes et de matériel électoral… Militant « tendance cassifique » résume-t-il avec une pointe de nostalgie mais aussi d’amertume lorsqu’il évoque ces meneurs pacifiques qui de rassemblements en plateformes ont su imposer au gouvernement plusieurs revendications n’oubliant pas pour plusieurs d’entre eux d’assurer leur promotion personnelle.
 
Personne ne semble opposer la légitimité des urnes et la tradition villageoise tellement l’expérience démocratique algérienne est heurtée par 50 ans de crise politique ininterrompue.

Le « comité de tribu », innovation ou régression ?

Si ces évènements semblent loin et qu’aujourd’hui la commune de M’chedallah renoue avec le jeu démocratique (ou la mascarade, écriront les éditorialistes les plus critiques), l’héritage du Printemps noir s’invitera probablement dans la conclusion du scrutin. Si aucune majorité franche ne se dégage, les ultimes médiations mobiliseront certainement le comité de tribu. Ces fameux âarchs réactivés au gré des impasses de la crise de 2001 et qui désormais tentent de s’inscrire dans le processus de représentation locale. Depuis 2001 l’âarch de M’chedallah vit un état de grâce ; un local imposant a été construit et financé par l’Etat, les réunions ne sont plus aussi fantomatiques que lors des décennies passées, elles se sont élargies à des publics plus jeunes et son autorité sur les us et coutumes ou les médiations lors des conflits semblent cahin-caha se restaurer. Innovation ou régression ? Personne ne semble opposer la légitimité des urnes et la tradition villageoise tellement l’expérience démocratique algérienne est heurtée par 50 ans de crise politique ininterrompue. Parallèlement, peut-on passer sous silence les multiples expériences de « conseils des anciens » qui se font jour dans les communes françaises en mal de représentativité, notamment depuis celle du maire de Saint-Coulitz, dans le Finistère, par son maire, Kofi Yamgnane, dès les années 80.
 
A la fermeture du bureau, le Djurdjura a revêtu son burnous blanc sans susciter l’attention des citoyens attendant les résultats du vote en écoutant les récits de chauffeurs de taxis revenus des localités voisines. Craignant de voir leur commune basculer au profit d’un parti gouvernemental, des citoyens de Haïzer se sont opposés à l’accès aux urnes des militaires affectés dans la région. A Aghbalou, une tentative de boycott par le saccage de plusieurs bureaux a mobilisé les forces de l’ordre. L’émeute semble encore indissociable d’un scrutin.
A Ath Ikhlef, on donne les résultats du bureau et celui de la commune. Environ 40 % des inscrits on préféré s’abstenir, le RCD est majoritaire, mais en ballotage pour désigner un maire. Les prévisions de Yazid sont plus fiables que les instituts de sondage. Pour beaucoup, ce contretemps est une déception dans une commune qui dans l’ensemble n’a pas connu de heurts. Ayant milité avec plusieurs candidats figurant sur les listes durant le Printemps noir, Halim prend congé de l’assistance en ne manquant pas de faire remarquer qu’il « faudra du temps pour dégager une solution tellement les listes sont fragiles et propices à tous les retournements ».
 
Farid MEBARKI
 

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