
URBAN JAM : Quand le jeu vidéo rencontre les cultures urbaines

En février dernier s'est tenue la première édition d'une manifestation inédite consacrée au développement de prototypes de jeux vidéos, inspirées par les cultures urbaines. 8 ont été réalisés en 48h ! Une performance !
Pour elle, c'est du jamais vu. Adeline a 23 ans. Développeuse, elle est venue assister à l'événement Urban Jam.
D'habitude, sur ce type de manifestation, la thématique n'est pas aussi forte. On reste cantonné aux univers standards du jeu vidéo.
Urban Jam, kezako ? La rencontre inédite entre le milieu des créateurs de jeux vidéo et celui des artistes issus des quartiers populaires. L'idée de ce type d'événement vient des hackatons, soit des groupes de développeurs qui se réunissent le temps de quelques jours pour créer sur un mode collaboratif des programmes informatiques innovants. La première édition s'est tenue du 9 au 11 février dernier aux Magasins Généraux à Pantin. Un week-end entier pendant lesquelles huit équipes ont planché sur autant de projets. Avec bien entendu à l'issue de ce travail, une présentation publique, ambiancée comme pour tous les événements du Medialab 93, par les journalistes Nora Hamadi et Raphäl Yam.
Comment en 48 heures trouver la bonne formule ? La bonne idée, le game-play et le design qui va avec ? Un défi, il faut reconnaître assez incroyable, qui peut surprendre. « Je ne pensais pas qu'on pouvait réaliser un jeu vidéo en si peu de temps » réalise Abiola Ulrich Obaonrin, journaliste, co-fondateur du magazine en ligne Argot et collaborateur de l'équipe qui a réalisé Guerilla Garden. Ce jeu « d'arcade-simulation écolo » tel que le présente Marie Vilain, la cheffe de projet, repose sur le principe des seed-bombs. Ces graines de plantes que l'on introduit de force en milieu urbain pour re-végétaliser les environnements trop bétonnés. Une vision politique du jeu vidéo qui s’avère être un peu le fil rouge de l'ensemble des projets présentés. Il en est ainsi de l'étonnant Gentrifight, qui comme son nom le suggère, consiste à se battre contre la gentrification des quartiers populaires. « On a tout simplement essayé de mettre en forme une certaine résistance face à l'uniformisation » explique Axelle, l'une des développeuses de ce jeu réalisé avec la rappeuse Billie Brelok, de Nanterre. Un jeu qui a d'ailleurs retenu l'attention de Gérard Cosme, président de l'agglomération Est Ensemble qui réunit plusieurs villes du nord-est parisien (et partie prenante de l'événement). Présent lors du lancement de la soirée de clôture, il estime ainsi que ce genre de réflexion peut s'avérer « utile pour le développement du territoire. » La « balade urbaine » que propose le prototype de jeu du même nom propose aussi dans une approche esthétique très épurée de venir recueillir les véritables témoignages des habitants d'une cité de Fontenay-Sous-Bois que le joueur est invité à rencontrer au fur et à mesure de ses pérégrinations. Réalisé par des journalistes et des illustratrices, à partir d'un numéro hors-série du magazine Fumigène, il fait presque oeuvre de précis sociologique.
Un peu dans cette veine sociale mais avec une touche humoristique, Un Million de CV cherche à confronter les idées reçues sur l'entretien d'embauche pour un jeune issu des quartiers populaires. « Ce n'est pas forcément un jeu où l'on joue mais où l'on apprend à comprendre et à déchiffrer certaines choses » explique Nabil Habassi, producteur de vidéoclips et de documentaires. L'objectif ici étant de faire passer l'idée que le plus important dans un recrutement sont les compétences et non les apparences. Ce que confirme Frederic Sommer, le développeur de l'équipe :
Ça m'a parlé car nous sommes aussi, en tant que créateurs de jeux vidéos, confrontés à toutes sortes de préjugés sur notre travail.
Pour Mounir Mahjoubi, le secrétaire d'État chargé du numérique, venu lui aussi faire le déplacement, « ce qui est intéressant avec ce projet c'est qu'il faut peut-être apprendre les codes des jeunes et inversement. »
Le fait qu'un jeu vidéo puisse avoir facilement grâce à son aspect ludique une implication dans le monde réel est une particularité qui intéresse aussi le milieu associatif. C'est ce que sous-entend, Omar Dawson de Grignywood, également présent à la soirée de clôture. Il y voit un potentiel à valoriser justement sur ces questions d'orientation professionnelle.
D'autant plus facilement sans doute que la culture du jeu vidéo est de fait fortement ancrée et depuis longtemps dans les cultures urbaines. Comme le rappelle le journaliste bloggeur Sébastien-Abdelhamid : « Le jeu vidéo est quelque chose qui a été approprié rapidement par les quartiers populaires. Cela fait partie de notre quotidien. » Le mariage entre les deux cultures orchestrées pendant ce week-end ne pouvait donc qu'accoucher d'oeuvres en complète osmose artistique. Tel Grafff, « Un instrument qui permet de créer des courbes de graffiti en structure 3D collaborative » explique Léon Denise, artiste programmeur. Chaque joueur muni d'une application « bombe de peinture » sur son smartphone peut ainsi interagir et créer avec d'autres une fresque en mouvement. Gros succès pendant la démo.
Les cultures urbaines passent aussi beaucoup par le corps d'où notre choix d'utiliser la réalité virtuelle
Comme le détaille Sam de l'équipe du prototype MC Family. Un jeu basé sur une battle hip hop où il faut, muni d'un casque virtuel, attraper des mots au vol, impliquant par ces gestes de créer physiquement une chorégraphie. On voit ainsi Rémi, l'un des participants, présenté comme un « ancien danseur » faire un show impressionnant le casque vissé sur la tête.
La rencontre entre geeks et street-artist provoque aussi de belles étincelles. « Mon contexte habituel c'est ma chambre et mon bureau », détaille Kevin de l'équipe Da Cruz AR. « Là, j'ai dû me confronter à un artiste de rue, du coup j'en profite pour sortir de mon carcan » Faire sortir les gens dans la rue, c'est la proposition de l'application pour smartphones conçue par cette équipe avec le graffeur Da Cruz, très présent dans le Nord-Est parisien. A partir d'une œuvre de l'artiste qui sera exposée sur le canal de l'Ourcq, on peut interagir en réalité augmentée en jouant sur ces caractéristiques graphiques. Ou encore, dans un autre genre, l'évocation du street-workout, cette activité de culture sportive pratiquée en milieu urbain avec No Pain No Strain, un jeu dont le maître-mot est solidarité puisqu'il implique de s'entraider entre joueurs pour pouvoir gagner chaque niveau.
Alors à la question de savoir si les jeux vidéo peuvent changer l'image des quartiers populaires et inversement, thématique retenue pour l'élaboration de ce crossover original, il en ressort indubitablement que tout reste possible. Et que cette expérience, forcément riche de sens pour ses participants, ne pourra qu'irriguer leurs futurs projets quel que soit le domaine.