
Une nouvelle ère, un nouvel art, "Un prophète" prêche une nouvelle vague… - RU

Le film de Jacques Audiard Un Prophète a remporté neuf Césars. Il met en scène des maghrébins parlant un Français parfait, inconnus au bataillon du cinéma français… En somme, du jamais vu ! Prophète, exception ou reflet de la réalité ? Etat des lieux de la représentation des acteurs noirs et maghrébins sur la toile…
Hichem Yacoubi campe un personnage mystique dans Un Prophète, et pourtant : « Je n’ai pas encore eu de coup de cœur pour un scénario, je suis de nature optimiste, je sais qu’il faut du temps pour ça… Abdel Raouf Dafri et Nicolas Peufaillit sont des scénaristes qui ont envie de donner des rôles à des arabes, il en faut plein des gens comme ça… On a tous envie de s’accrocher à eux et d’attendre leurs œuvres… Il est rare d’avoir des rôles de médecins ou d’avocats pour un arabe ou un noir, heureusement Sami Bouajila et Roschdy Zem sont là, ils ont dépassé ces stéréotypes, ils nous ont ouvert le chemin… Je suis content pour Tahar Rahim, qu’il ait des prix, grâce à lui j’espère que les gens verront « les arabes » autrement »…
Un Prophète reste donc une exception, un film loin d’être un film à thèse, encore plus loin des rôles alibis, Hichem le sait : « J’ai eu mon premier vrai rôle grâce à Audiard, il a mis un coup de pieds dans le cinéma Français, il a fait tourner des inconnus, des arabes, il veut ouvrir la voie, représenter la France telle qu’elle est aujourd’hui ! Il a vu des arabes d’abord comme des artistes, et c’est là où l’on veut arriver… Lui seul pouvait faire ça ! Il a eu les couilles de se mettre en danger, de faire un film sur un univers inconnu avec des inconnus. On a vécu un véritable échange, ce film nous a redonné à tous, notre humanité ! »
Mais combien de Pas faudra t-il encore aux Barons, et aux autres pour que tout le cinéma Français pensent comme Audiard… Nabil Ben Yadir est le réalisateur Des Barons, il met en scène une bande de copains dont la vie est déterminée par le nombre de pas qu’ils font. Un film audacieux, drôle, phénomène en Belgique, confidentiel dans l’hexagone : « La France est un marché saturé. Il faut avoir des acteurs « bancable »pour être présenté sur les chaines hertziennes ! Le film était présent dans 129 salles, mais à côté de Gainsbourg il n’existait pas… Je suis pourtant convaincu que le public est prêt pour une comédie avec des comédiens maghrébins inconnus, sensibles et drôles, où les personnages principaux se posent les mêmes questions que Pierre et Paul… En Belgique, on est plus libre, plus soutenu, je ne sais pas si j’aurais pu le faire en France… Est ce qu’Un Prophète aurait existé sans Audiard, même si le scénario était là ? Je ne sais pas… En Belgique, on fait un cinéma d’artisans… Les Barons c’est moi ! C’est un cinéma vérité. Je fais des films pour que mes potes, mes parents aillent au cinéma, mon devoir est de représenter de manière nouvelle certains personnages, loin des clichés. J’ai un devoir de contrecarrer, de représenter, mais ce n’est pas un leitmotiv. Aujourd’hui, les acteurs de mon film ont des propositions de rôles intéressants, des producteurs me demandent de lire ce que j’écris… Je veux rester libre, qu’il y ait une évidence dans l’écriture pour pouvoir faire tourner des acteurs noirs, maghrébins ou blancs… Si on enferme un acteur, on enferme un réalisateur… »
Fadila Belkebla l’a bien compris : « Je joue dans la série Boulevard du Palais réalisée par Thierry Petit, diffusée sur France 2. Mon personnage est Leila Kaufmann, un substitut du procureur, où rien n’est en rapport avec l’identité… Je prépare également un personnage, celui d’Elisabeth, un film sur la Bible, Let it Be, où le réalisateur Italien, Guido Chiesa a choisi pas mal de comédiens maghrébins. Avec un coach « moitié arabe-moitié portugais », j’ai fait un travail d’apprentissage de la langue arabe, que je ne parle pas… C’est un travail qui me nourrit, à chaque fois que je le fais… Finalement l’avenir est là dans le métissage et la diversité.»
Pour Fadila, c’est dans l’accomplissement de soi-même, que l’on peut faire avancer les représentations des noirs et des arabes : « Quand on ne m’appelle pas, je prends une caméra ! La réalisation est pour moi vitale ! Sans misérabilisme, mon petit court métrage Des livres et moi, parle de la jeunesse, des émotions et de l’importance de la lecture… Mon prochain projet, Suzette est un hommage à mon oncle véritable artiste peintre… Je vis mes origines comme quelque chose de beau, de positif, c’est à nous de parler de notre histoire, de nos travaux comme quelque chose d’universel… Les acteurs noirs et maghrébins seront complètement solubles dans le cinéma Français à partir du moment où, on nous interviewera pour nos œuvres. Nous sommes des artistes, et non des portes drapeaux… C’est dommage de passer à côté d’une œuvre ou d’une personne. »
Fadila Belkebla conclue : « On ne peut pas nager à contre courant, un moment donné c’est obligé, cette évolution ! ». Le bilan reste mitigé, les noirs et les arabes ne sont pas encore totalement solubles dans le cinéma Français. Malgré, entre autres, le film très remarqué de Lucien Jean Baptiste La Première Etoile, où seuls des acteurs noirs jouent. On est encore très loin des Etats Unis et loin de la Belgique. En France, on choisit encore Gérard Depardieu pour jouer un quarteron dans L’Autre Dumas…
Les Barons est accueilli à bras ouvert à Minneapolis, Manhattan, Brooklyn, Taiwan, en Thaïlande, au Brésil, et à Toronto « … à la rencontre d’autres Barons » ajoute le réalisateur. Force est de constater qu’il n’y a qu’en France où Les Barons n’ont pas pu se rencontrer !
Pour une parfaite représentation, faut-il s’appeler Audiard ? Avoir une reconnaissance de l’étranger comme Nabil ? Ou apprendre une langue étrangère et traverser les frontières pour mieux revenir ?… Une chose est sûre, Un Prophète est une bombe à retardement, qui on l’espère va faire exploser toutes les représentations…
Myriam Chetouane - Ressources Urbaines