Un Ovni survole le concours de films Hlm sur cour(t)

Photo : Gilles Roubaud / USH
Le 19-06-2015
Par Erwan Ruty

Le Forum des Images accueillait ce 16 juin la 3ème édition du festival « Hlm sur cour(t) », initié par l’Union sociale pour l’habitat (Ush), qui regroupe les organismes du logement social de France. Une soirée qui a été l’occasion d’une rétrospective de la cinématographie dédiée aux quartiers de grands ensembles ; et une sélection de trois films courts, dont un véritable Ovni : « Gagarine ».
 

« Proposer un regard libre, bienveillant et original sur le logement sociale et les histoires qu’il habite ». Tel est l’objectif que s’assigne ce jeune concours, qui nous a déjà donné à voir quelques perles (dont le magnifique et foutraque « Go forth » de Soufiane Adel en 2012, ou « La fille de Baltimore » l’année suivante, dans un mode mineur).

 

Changer de regard (…sur soi aussi)

Cette année, le festival a encore connu quelques beaux moments : un jury présidé par la remarquable Audrey Estrougo (auteure et réalisatrice de « Regarde-moi », notamment), et trois films dans lesquels on croise des acteurs remarquables. D’abord le trop rare Frédéric Chau, dans le premier, « Feuilles de Printemps » : « Mes parents sont arrivés en France au tout début des années soixante, témoigne le réalisateur du film Stéphane Ly-Cuong ; ils ont d’abord été dans un tout petit village de l’Allier, puis dans un Hlm avec plus de confort, plus de mixité, et un contact plus frontal avec la société française ». Dans le second court, on croise Loïc Corbery, de la Comédie française, tenant le rôle d’un travesti qui l’espace d’une nuit, enfermé dans la chambre d’une adolescente un peu mal dans sa peau, permettra à celle-ci de gagner en contenance… Huis clos très doux et très poétique sur le regard, l’identité et les difficultés (ou pas) de l’assumer. Comment devenir soi-même, grâce à un renfort pour le moins inattendu, pourrait être le propos de cette œuvre (qui fera la première partie du prochain film de François Ozon au festival de Sacramento, rien de moins). Le tout, en évitant un trop didactique discours sur « les problématiques sociales et culturelles », que voulait éviter le réalisateur Guillaume Renusson.

 

Des chroniques d’une banlieue ordinaire

Riche idée que d’avoir sélectionné, sur la quarantaine de scénarii reçus, un film portant justement sur le regard. Tant ce festival essaie lui-même, plutôt que par une campagne de com’, de créer un autre imaginaire sur les Hlm, qu’ils soient dans des grands ensembles, des centre-ville, voire dans des petites villes et de petites unités d’habitation. C’est d’ailleurs à un voyage dans cet imaginaire cinématographique que nous conviait Hervé Bougon, responsable du festival Ville et cinéma, en introduction de cette soirée. Glissant alertement du générique sarcellois du classique « Mélodie en sous-sol » (Verneuil), au magnifique documentaire de Dominique Cabrera (« Chronique d’une banlieue ordinaire » en 1992)… pour nous faire saisir comment émerge, en raison du contexte social, un genre « film de banlieue » au tournant des années 80 (avec La haine, Raï, Ma cité va craquer, l’Esquive ou Banlieues13…). Reléguant au loin la vision bucolique de « Casque d’or » de Becker, le romantique sur fond de nouvelles barres Hlm « Terrain vague », de Carné en 1960, ou les contestataires « Elle court, elle court, la banlieue » de Pirès, 1973 (ou encore « 2-3 choses que je sais d’elle », 1967, de Godard).



Sortir de la culpabilité

Au même titre que ce que raconte le cinéma, le président de l’Ush, Jean-Louis Dumont, précise : « Il faut d’abord penser à la vie des gens avant de penser au bâtiment (…) On veut magnifier les personnes. » Un message qui a été trop souvent oublié par ceux qui ont construit les grands ensembles, ou les unités plus récentes, hélas ! Mais un message qui préside résolument à ce concours, insiste à son tour le directeur général de l’Ush, Frédéric Paul : « Nous sommes en train de sortir d’une culpabilité qu’on nous a collée sur la construction de grands ensembles, grâce notamment à la rénovation urbaine. Il ne faut pas cacher cette histoire : il y a de la création, de la richesse… » Parfaite illustration de ces porpos, la réelle surprise viendra d’un véritable Ovni, tourné en un temps record (scénario + filmage + montage +  post-production en 5 mois), par un duo pourtant néophyte en terme de réalisation, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh.


 

Le festival décolle

Gagarine est le nom de cet Ovni [cliquer ici pour voir le film]. Un jeune Youri du XXIème siècle incarné par Idrissa Diabaté (déjà croisé dans « Bande de filles », de Céline Sciamma), garçon rêveur dont l’identité est marquée à jamais par la visite du vrai Youri Gagarine (Russe, et premier cosmonaute à avoir voyagé dans l’espace) dans la cité du même nom, à Ivry, en 1963… un événement qui le démarque totalement de l’atmosphère de la cité de laquelle il ne veut pas être arraché (par sa destruction, réellement prévue en 2018). Réel et fiction très habilement mêlés pour ce voyage onirique dans les rêves d’un adolescent, filmé avec une caméra aérienne (voire spatiale !), des idées de cadrages et de plans insolites parfois en totale apesanteur, des couleurs et ambiances (visuelles ou sonores) qui exhalent cette rêverie avec une maîtrsie inouïe, propoulsée par une musique originale (électro à la Air) qui fait littéralement décoller ce film très ambitieux (références à « Bienvenue à Gattaca », en particulier). Ambition donc, mais avec une réalisation très clairement à la hauteur... Audrey Estrougo explique pourquoi le jury a été unanime à attribuer le premier prix à ce film : « Ce film nous a touché pour sa poésie, il a des idées très singulières. Et puis j’ai grandi en banlieue ; ça fait extrêmement plaisir montrer enfin des jeunes noirs qui ne veulent pas être que footballeurs, rappeurs ou poser des bombes ! ».



Un Ovni, assurément qui mieux qu’aucun film encore projeté dans ce festival depuis ses débuts, fait incarner un bâtiment ordinaire dans la peau de ses personnages, jusqu’à le rendre totalement extraordinaire. Quand la poésie transcende le quotidien, tout devient alors possible. C’est ce qu’on aimerait voir plus souvent dans le cinéma dédié aux « banlieues », et ces deux réalisateurs en herbe l’ont fait en deux temps trois mouvements. Une leçon.

 



 

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