Silence, ça tourne… presque

Le 06-05-2011
Par xadmin

Cinéma / banlieue : deux mondes différents, mais tellement proches. Dans les quartiers populaires, on ne manque pas d’idées malgré, parfois, le manque de moyens, et de soutiens.

Un talent, une envie
« J’ai les mains faites pour l’or et elles sont dans la m…. » disait Tony Montana dans le chef-d’œuvre Scarface. Cette phrase pourrait être d’actualité dans les quartiers populaires, où il existe pour certains un potentiel énorme, sur lequel les « gens du métier » et les boîtes de production n’osent pas toujours miser. Jérôme Maldhé de Citéart ne mâche pas ses mots : les films de banlieue font peur aux distributeurs. « Ils considèrent que ça ne marche pas, que c’est négatif. Et quand c’est trop positif ils estiment que c’est mentir… » Et ajoute « qu’ils ne savent pas comment gérer cette histoire et deux choses bien différentes : impliquer les gens des quartiers populaires dans la société et faire passer des histoires de quartiers dans le cinéma. » Pas de solution miracle : pour réussir, il faut travailler et miser sur les jeunes, ces fils des quartiers qui ne sortent pas forcément d’une école de cinéma ou du cours Florent. Le talent qu’ils peuvent apporter, et pas des moindres, c’est l’envie. Pour Camille Wintrebert, de Génération Court, qui collabore avec les jeunes de quartiers dans le cadre de réalisations et festivals, ce monde « est aussi pour eux, ce n’est pas réservé qu’aux bourgeois ». Réaliste, elle estime « qu’on leur donne assez peu l’opportunité de s’exprimer sous un jour qui n’est pas relié au sujet pour lequel on parle toujours d’eux. La fiction est une opportunité de fuir un petit peu ce qu’on montre tous les jours ». Selon elle, « même s’il y a une certaine fascination pour les scénarios avec des bad boys, la fiction dans les quartiers populaires n’est pas pour autant cantonné à ce type de sujet. Les jeunes savent s’exprimer autrement ». Une attitude qui permettrait de changer l’image des jeunes de banlieue, notamment d’un point de vue artistique, d’offrir une pluralité d’expressions mais aussi de cultures.

Refléter la vie
Tonalité différente du côté de Jérôme Maldhé. Certes, lui aussi encourage les jeunes de quartiers à s’emparer de la caméra, mais estime « qu’on n’a pas à changer l’image des quartiers dans un film si ça part d’une réalité. Pour une fiction, il faut raconter une histoire avec des personnages, une dramaturgie comique ou dramatique. Donc tu t’intéresses à ce qui est incroyable, comme la violence qui existe dans les cités, mais qui n’est pas quotidienne. Il y a de la délinquance, violence et drogues, ce n’est donc pas grave d’en parler. Aux Etats-Unis, il y a de très bons films sur les ghettos et ils n’ont pas changé la réalité pour autant. Le plus important est de traiter ces sujets de manière humaine et non pas en stigmatisant ». Il faut tout simplement refléter la vie, la réalité dans les quartiers telle qu’elle est.

Là où ces amoureux du cinéma se rejoignent, c’est sur le problème de la démocratisation du cinéma. Globalement, le cinéma est réservé à une certaine élite, et pas seulement sur le plan financier. « Il faut respecter certains codes dans un milieu pas très accessible pour tous », regrette Camille Wintrebert. Pour Omar Dawson, responsable associatif de Grignywood « tu ne rentres pas sans étiquette, sans piston ». « Le gros problème du cinéma français, c’est qu’il y a (à sa tête) une cinquantaine de personne qui ne viennent ni de banlieue ni même de province. Il n’y a pas assez de diversité au sein de ces cinquante personnes pour faire de la diversité » constate de son côté Jérôme Maldhé. De plus, la banlieue est un sujet qui fâche. Ou du moins qui fait peur, dans la mesure où certains mêlent banlieue et politique. Pour eux, une fiction sur les quartiers populaires doit forcément, s’il ne s’agit pas d’un polar, être moralisatrice pour avoir un intérêt...
 

Ces forêts qui font peur
Omar Dawson, lui, se démarque en se montrant pessimiste mais « réaliste ». Il ne croit pas à un changement dans un futur proche en ce qui concerne la place des jeunes et du cinéma de banlieue dans le paysage cinématographique français. Il y a une trop forte stigmatisation et « on refile aux jeunes de banlieues que des rôles de terroristes embrigadés pour se faire sauter, de racailles, avec toujours les mêmes lieux : les cités et quartiers… C’est dommage car le plus important c’est l’image et ce que ça dégage ». Il ose même une comparaison : « Dans les contes, il y a toujours une forêt qui fait peur. Ici, la cité c’est la forêt ». On ne va malgré tout pas jeter la pierre aux « gens du milieu », dit Jérôme Maldhé. Car « on a l’impression qu’ils sont là, ceux qui nous représentent, avec les récompenses de Kechiche, du film Un Prophète ou encore Jamel Debbouze. Mais en réalité, quand tu fais les calculs, il y a très peu de films réalisés par les quartiers populaires, sachant qu’il y en a plus de deux cents produits en tout par an en France ».

Citéart, Génération Court, Grignywood ou encore 1000 visages espèrent de la jeunesse des quartiers un engagement dans le monde difficile du cinéma, et tentent de changer la donne. En faisant le forcing pour être invité aux festivals – ou s’y inviter seuls, et proposer le plus souvent possible des fictions. Un travail énorme, encore en chantier pour certains, en bonne voie pour d’autres. Pour l’instant, ces structures et associations travaillent la plupart du temps sans l’aide de personne. Juste avec une caméra. Et les jeunes des quartiers.
 

Nordine Aftis
 

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