
Rue des cités : une fiction plus vraie que nature

« Les jeunes (…) sont loin de ne rien faire de leur journée. La question, c’est plutôt : qu’est-ce que l’on fait de l’énergie que l’on a ? La matière est là, ça jaillit tout le temps ». Dans la note d’intention publiée autour de son film, Carine May, la très dynamique co-réalisatrice de « Rue des cités », a saisi l’essence… qui fait carburer bien des cités : la vanne, la parole, les histoires.
Gratter un bisou
Journalistes voyous
Il faut dire que ce film revient de loin. D’une saine colère, qui a été sans doute pour beaucoup dans l’obstination de ceux qui l’ont porté : le rétablissement de la dignité bafouée, une fois de plus, par un reportage télévisé bâclé, sur Aubervilliers… en 2004 ! La note d’intention du film spécifie : « Cité Jules Vallès, un reportage passe à la télévision, aux journaux de 13 et 20 heures : des jeunes volent une moto en direct. La journaliste précise que l’équipe passait par là par hasard et évoque la rencontre avec ces voyous, il n’y a pas d’autre mot, et cette délinquance qui ne cesse de progresser ». Le reportage fait grand bruit dans la ville. On apprend plus tard que les jeunes en question ont été sollicités pour jouer aux bandits ». Et payés pour, par ladite équipe de télé… Qui sont les voyous ? En tous cas, « ce reportage était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il y avait une vraie envie de droit de réponse. La population d’Aubervilliers a pris part jusque sur les réseaux sociaux, le cinéma de l’OMJA a fait le score de l’année », racontent les réalisateurs.
Du coup, les partis pris tenus par ce film qui a su garder fraîcheur, justesse et bonne humeur, sans rien cacher d’une réalité quotidienne loin d’être rose, paraissent d’autant plus frappants : noir et blanc plus documentaire que nature, acteurs amateurs tous excellents, inserts documentaires réels (des entretiens osés, dans ce qui reste une fiction, avec telle ancienne habitante qui travaille rue de Rivoli, tel ancien voleur de pâtisserie, tel flâneur sur le marché…). Et, last but not least, une histoire légère mais pleine d’allant et d’humour sur les petits riens de la vie de tous les jours.
Reste que pour la réalisatrice, les 12 000 euros dépensés pour ce film ne seront pas forcément une expérience à reproduire. En tous cas, « je ne me vois pas faire un film à 100 000 euros. Le cinéma industriel, c’est pas mon cinéma ! » confie finalement Carine May.