Rue des cités : une fiction plus vraie que nature

Rue des Cités
Le 27-08-2013
Par Erwan Ruty

« Les jeunes (…) sont loin de ne rien faire de leur journée. La question, c’est plutôt : qu’est-ce que l’on fait de l’énergie que l’on a ? La matière est là, ça jaillit tout le temps ». Dans la note d’intention publiée autour de son film, Carine May, la très dynamique co-réalisatrice de « Rue des cités », a saisi l’essence… qui fait carburer bien des cités : la vanne, la parole, les histoires.

 

Après les autoproclamés « cinéma Guérilla » (Donoma, de Djinn Carrénard), après le « cinéma RSA » (Rengaine, de Rachid Djaïdani), voici le « cinéma sans papiers » de Carine May et Hakim Zouhani ! Rien à dire, la banlieue a de l’imagination et la punchline facile qui fuse à chaque coin de phrase. Le soir de la projection spéciale à l’espace 1789 de Saint-Ouen, courant juin, l’équipe du film est là, presque aussi nombreuse que le public, pour raconter l’aventure de la réalisation, production et diffusion de ce petit bijou de cinéma-vérité. Pourquoi sans-papiers ? « Parce qu’il a été régularisé après sa réalisation », et ce, uniquement pour pouvoir être diffusé. Avant, comme avec le « Rengaine » de Djaïdani, il était impossible de monter un film en tenant compte des règles (et rémunération) en vigueur dans le milieu (et il semble bien que ce sera encore pire après que la nouvelle convention collective « fillipettisée » sera passée !).



Gratter un bisou

Après la projection, l’équipe du film, enjouée, répond à l’avidité des spectateurs : première leçon, « il ne faut pas regarder le haut de la montagne, sinon, tu es découragé ! » assure l’un des acteurs Mais quand même : « On est en France, et pour la fabrication d’un film, y’a pas mieux, si tu te démènes, même avec un I-phone, si tu fais quelque chose de regardable, même s’il faut mettre quelques coups de pompe dans les portes… ! Tu vas à la sortie d’une boîte de production. T’y vas une fois, deux fois, trois fois… ils vont finir par le lire, ton scénario ! C’est comme avec les filles ! A l’usure, au moins, tu grattes un bisou ! » Il s’agissait bien de faire ce film coûte que coûte, « pour les gens qui ont travaillé dessus ». « Ca a marché parce qu’on était nombreux, et qu’on travaillait collectivement », juge Hakim Zouhani. Une sorte de « cinéma des familles » plutôt que cinéma sans papiers, alors ?



Journalistes voyous

Il faut dire que ce film revient de loin. D’une saine colère, qui a été sans doute pour beaucoup dans l’obstination de ceux qui l’ont porté : le rétablissement de la dignité bafouée, une fois de plus, par un reportage télévisé bâclé, sur Aubervilliers… en 2004 ! La note d’intention du film spécifie : « Cité Jules Vallès, un reportage passe à la télévision, aux journaux de 13 et 20 heures : des jeunes volent une moto en direct. La journaliste précise que l’équipe passait par là par hasard et évoque la rencontre avec ces voyous, il n’y a pas d’autre mot, et cette délinquance qui ne cesse de progresser ». Le reportage fait grand bruit dans la ville. On apprend plus tard que les jeunes en question ont été sollicités pour jouer aux bandits ». Et payés pour, par ladite équipe de télé… Qui sont les voyous ? En tous cas, « ce reportage était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il y avait une vraie envie de droit de réponse. La population d’Aubervilliers a pris part jusque sur les réseaux sociaux, le cinéma de l’OMJA a fait le score de l’année », racontent les réalisateurs.


Du coup, les partis pris tenus par ce film qui a su garder fraîcheur, justesse et bonne humeur, sans rien cacher d’une réalité quotidienne loin d’être rose, paraissent d’autant plus frappants : noir et blanc plus documentaire que nature, acteurs amateurs tous excellents, inserts documentaires réels (des entretiens osés, dans ce qui reste une fiction, avec telle ancienne habitante qui travaille rue de Rivoli, tel ancien voleur de pâtisserie, tel flâneur sur le marché…). Et, last but not least, une histoire légère mais pleine d’allant et d’humour sur les petits riens de la vie de tous les jours.


Reste que pour la réalisatrice, les 12 000 euros dépensés pour ce film ne seront pas forcément une expérience à reproduire. En tous cas, « je ne me vois pas faire un film à 100 000 euros. Le cinéma industriel, c’est pas mon cinéma ! » confie finalement Carine May.

 

 

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