
« Révéler un problème sans le résoudre peut être vécu comme une fatalité »

Entretien avec Samuel Thomas, ancien vice-Président de SOS Racisme et actuel Président de la Fédération Nationale des Maisons des Potes, du même réseau, qui a été sans doute l’un des plus grands procéduriers de la lutte contre les discriminations en France. Ayant lutté contre les contrôles au faciès depuis plus de 10 ans, il revient sur ces combats.
Comment se fait-il qu’il soit si difficile de dénoncer et mettre fin aux contrôles au faciès ?
S. T. : Parce que juridiquement, il y a plusieurs manières d’aborder la question : doit-on faire annuler une interpellation fondée sur un contrôle abusif ? Là, ni le policier ni sa hiérarchie ne sont sanctionnés. Attaquer une pratique qui juridiquement peut être considérée comme portant atteinte à la liberté de circuler ? Pour établir une « intention » de discriminer, il faut trouver dans la police, des témoignages disant « on a reçu l’ordre écrit ou oral ». Dans ce cas, on saisit le Conseil d’Etat. On a déjà réussi à casser des circulaires demandant d’interpeller des roumains, des bulgares. On a vu, avec Sihem Souïd, que cela avait des conséquences sur ceux qui, dans l’institution, se plaignaient. Enfin, demander à une victime de porter plainte, c’est risqué. La revanche des policiers peut être réelle, ce n’est pas une vue de l’esprit. Aller à la CNDS [Commission nationale de déontologie et de la sécurité], ils se mettent en planque et ne vous loupent pas, pour un oui ou pour un non. A Toulouse, des jeunes manifestants du MIB [Mouvement de l’Immigration et des Banlieues], suite à une bavure policière, avaient eu beaucoup de soucis, eux ou même certains de leurs amis… La solution peut être d’agir avec des étrangers : des Belges qui portent plainte, et sitôt fait, rentrent chez eux pour ne pas être inquiétés !
Des techniques de « résistant », donc. Comment faire, alors ?
S. T. : Révéler un problème sans le résoudre peut être vécu comme une fatalité écrasante. Ca légitime même des comportements inadmissibles. Il faut donc aller voir ce qui est enseigné dans les écoles de police, et mettre au point des systèmes d’alerte : protéger les policiers qui dénoncent ces agissements. Dans les CNDS, les gens ne sont plus protégés alors qu’ils devraient être honorés. Il faut des organismes comme la HALDE, où sont présentes les associations de défense des Droits de l’Homme. Il y a aussi un enjeu de contrôle des fichiers de police. La délivrance d’un récépissé pour chaque contrôle, que nous avons défendu pendant longtemps, peut même être vue comme contre-productive : cela peut aboutir à constituer un fichier des personnes contrôlées ! Comme le STIC, surtout si lui-même est parfois utilisé par des anciens policiers à la retraite qui travaillent pour des grandes entreprises, comme cela a été le cas avec EuroDisney ! D’une certaine manière, filmer les contrôles et en faire un buzz a l’air de faire plus peur que de porter plainte !
Propos recueillis par E.R.
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