
Rengaine, de Rachid Djaïdani : un Ovni dans le cinéma d’auteur

Il y a quelque chose de changé dans le cinéma français. Il y a 20 ans, vouloir faire du cinéma d'auteur en France, c'était bien sûr difficile, mais surtout réservé à des happy few fréquentant plutôt Saint-Germain-des-Prés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Rengaine, de Rachid Djaïdani, sélectionné à Cannes, en témoigne.
Naguère, si par malheur l'aspirant réalisateur ne sortait pas de la Fémis, ne parlait pas d'amours plutôt courtois avec moult dialogues alternant philosophie et psychiatrie, ou encore ne montrait pas des adolescents s'emmerdant l'été en Creuse, la probabilité de faire ne serait-ce qu'un court-métrage de 10 minutes se réduisait comme peau de chagrin. Ce cinéma très Nouvelle Vague, très « auteur-réalisateur » roi du monde et prophète post-moderne qui a longtemps phagocyté « l'art et essai » en France connaît semble-t-il depuis quelques années une évolution remarquable.
Nouvelles conditions de production
Alors, oui, le matériel de tournage a changé, permettant un accès plus démocratique à la réalisation, même si la profusion de nouvelles œuvres certainement infaisables quelques années auparavant n'a pas vraiment coïncidé avec une notable amélioration qualitative. Malgré tout, beaucoup de personnes et l'auteur de ces lignes se joint à ce groupe, n'auraient certainement pu faire de films, qu'ils soient de fictions, documentaires, expérimentaux ou autres, si la pellicule était restée la seule référence en matière de cinéma.
il y a une plus grande diversité dans tous les domaines liés à l'image en France
On peut déjà affirmer qu'il y a une plus grande diversité dans tous les domaines liés à l'image en France, et que, même si la précarité est toujours de mise pour qui souhaite réaliser, lorsqu'on compare avec n'importe quel autre pays, on ne peut plus dire que le cinéma est synonyme de vocation suicidaire.
9 ans de tournage
Rengaine, de Rachid Djaïdani, écrivain, ex-boxeur, ex-forte tête, ex-documentariste quelque peu gonzo, appartient à cette catégorie du cinéma précaire, d’auteur, « dans la dèche », et surtout sans chapelle, à laquelle on pourrait le rattacher, le limiter.
Le réalisateur annonce dans son générique de fin 9 ans de travail, en commençant avec une « petite caméra DV », ce qui effectivement se voit à l’écran. Là où cela pourrait être rédhibitoire si pour les yeux cela s'avérait trop longtemps inconfortable, il s’avère qu’on oublie tout malaise dès les premières minutes, puisque le cadreur sait filmer et nous emmener dans un univers particulier.
Un autre Paris
Même si les références sont nombreuses, on pense assez vite à un Cassavetes qui se retrouverait dans le Paris d'aujourd'hui. Pas n'importe quel Paris d'ailleurs, un Paris résolument rive droite mais surtout un Paris de l'Est, car pour une trop rare fois, la « ville la plus belle au monde » n'est jamais représentée par sa Tour Eiffel ou son Arc de Triomphe. Nous nous retrouvons alternativement à Beaubourg, à la Gare du Nord ou à la Villette et, pour qui est né à l'Est de la capitale, le plaisir de voir ces lieux mis en valeur ne peut être tu.
Des clichés dynamités par l’humour
Rengaine est l’histoire d’un jeune noir qui veut se marier avec une jeune maghrébine, dont l'une des particularités est d'avoir 40 frères. Parmi eux, Slimane, l'un des aînés, refuse totalement cette union et va tout faire pour l'empêcher, se justifiant d'abord par d'obscures raisons religieuses qui interdiraient tout mélange entre Noirs et Arabes. A lire ce résumé, on pourrait se dire qu'il n'y a aucune originalité (le titre d'ailleurs du film est un clin d'oeil) dans ce sujet, où l'on sent que l'on va déblatérer de poncifs sur la religion musulmane, sur la virilité, sur la violence ou les valeurs en milieu populaire. Tout ceci est bien présent mais, amené avec un tel recul et un tel humour que l'on oublie très vite la légèreté d'un propos qui, même si l'on assiste à un « happy end », oublie toute posture moralisatrice.
Un héros autoritaire et fragile
Outre le formidable jeu de la plupart des comédiens, le fait de faire appel, toujours avec pertinence, à la danse et à des styles musicaux très divers, donne à ce film un caractère presque documentaire sur la vie dans le Paris de 2012, avec des moments bien sûr marquants comme la scène de tournage d'un court-métrage dans une cave, ou encore le dialogue de fin entre Slimane et son frère aîné. Slimane, personnage qui porte tout le film, est lui-même porté par Slimane Dazi, qui interprète de façon magistrale le héros éponyme, dont les choix constituent les étapes du film.
Slimane tout à la fois aveugle, protecteur et autoritaire en tant que grand frère, amoureux et fragile en tant qu'homme
Un Slimane on ne peut plus complexe : tout à la fois aveugle, protecteur et autoritaire en tant que grand frère, amoureux et fragile en tant qu'homme, et finalement toujours à l'écoute d'autrui. Son aura reste quasi omniprésente.
A n'en pas douter, ce film qui sortira peu de temps après le Donoma de Djinn Carrenard, saura éviter les erreurs de communication de ce dernier (« j'ai fait mon film avec 150 euros ») : à bien lire le générique de fin, on sent que le réalisateur a su patienter et compter sur un réseau de compétences qui lui a permis cette belle conclusion. Récompensée par le Prix FIPRESCI de la critique internationale pour les sections parallèles au Festival de Cannes 2012.