
READ! : une nouvelle communauté de lecteurs

Au traditionnel club de lecture, nous associons généralement l'image romantique et désuète du Cercle des poètes disparus. READ! vient dépoussiérer cette image. Depuis plusieurs années, Laurie Pezeron fait vivre ce club de lecture et fait découvrir des auteurs « oubliés » du système scolaire français...
« A l'école, je ne lisais pas ! » confie la créatrice de READ!. A quel moment, la jeune fille qui ne lisait pas, a-t-elle basculé dans le monde merveilleux des mots ? C'est avec un sourire malicieux que la jeune créatrice avouera que, malgré les vaines tentatives de sa mère, c'est grâce à son père qu'elle s'est mise à lire : « Ma mère a tendu à mon père le livre Hilda, de Marie N'Diaye. Mon père, qui a un resto et qui travaille beaucoup, l'a lu. Je me suis dit : « S'il a pris le temps de le lire, c'est que c'est super intéressant ». Et finalement ce livre était le premier du club READ! » Premier déclic ! Mais un deuxième événement va également déterminer la ligne directrice du club de lecture : « Un Blanc m'a offert Cahier d'un retour au pays natal, d'Aimé Césaire. Là je me suis dit que ce n'était pas possible que je grandisse dans la vie, que j'aie des enfants sans connaître ce patrimoine culturel qui est le mien. J'étais capable de citer Victor Hugo, Guy de Maupassant, Stendhal mais pas Aimé Césaire... »
Arrête de parler, fais-le !
La naissance du club
« Ce qui m'a toujours étonnée dans le texte, c'est que ça peut provoquer des émotions. Sans images, sans son, sans rien, tu peux rire, tu peux pleurer, tu peux voyager, tu peux partager un
sentiment...c'est puissant ! » La personne qui parle, avec tant de passion, des livres n'est autre que Laurie Pezeron, créatrice du club de lecture READ!. Ce club a été créé dans le but de faire découvrir et donner plus de visibilité aux auteurs noirs (afro-antillais, afro-américains...), mais aussi, et surtout, pour partager, échanger sur ces livres : « Je me suis dit : « Il faut que je fasse un club de lecture, parce que ça me saoûle de lire des bouquins que personne autour de moi n'a lu ». Mes copines m'ont dit « mais arrête de parler, fais-le ! » ». Aussitôt dit, presque aussitôt fait; pourtant quelques années auparavant, ce scénario semblait peu probable.
Ce n'est pas un club de Noirs fait pour les Noirs
Communautaire ?
Un club de lecture consacré aux auteurs noirs, mais pas fermé : « Ma mère fait partie d'un club de lecture depuis plus de dix ans. Elle lit de tout et me dit souvent : « notre club n'est pas fermé comme le tien ». Je lui réponds que je ne suis pas fermée mais juste ouverte sur autre chose ». Une critique que Laurie Pezeron n'a pas entendue qu'une fois. Mais pour elle, les choses sont claires : « Si c'était la littérature du 18ème siècle qui m'intéressait, c'est ce que j'aurais fait. La volonté, c'est de donner une visibilité, donc c'est ouvert à tous. Ce n'est pas un club de Noirs fait pour les Noirs ». La jeune femme regrette cet état d'esprit : « Dès que tu défends un peu cette culture afro, tu es catalogué Black Power. C'est super frustrant de se dire que les gens ne se penchent même pas dessus parce qu'ils pensent que ça ne les concerne pas. Alors que ça concerne tout le monde, comme leur histoire me concerne ». READ! est-il un club de lecture communautaire ? Sa créatrice répond : « C'est une communauté de lecteurs, ça c'est sûr ! ».
Le livre crée le lien social
Lire et partager
« Le livre crée le lien social. Les gens ne se connaissent pas forcément, se retrouvent, discutent autour du même livre » Rassembler les gens, discuter, depuis 2007 READ! attire de plus en plus de lecteurs : « Lors de la première session, nous étions dix et aujourd'hui entre vingt et trente. Nous étions près de cinquante pour la session avec Maryse Condé. J'annonce le lieu à J-3, j'aime bien scénariser les choses pour les rendre un peu moins intellos » Une formule et une façon de faire qui semble séduire un public assez large : « La moyenne d'âge se situe à la trentaine. J'ai une mascotte : Georges, la soixantaine, passionné, fidèle. C'est un ancien professeur d'université, mais c'est quelqu'un qui ne connaît pas du tout cette littérature et ce monde-là. Il m'a remercié de lui avoir fait découvrir Aimé Césaire, il était limite honteux de ne le découvrir que maintenant ».
Mes sessions sont gratuites, elles amènent à la réflexion d'une autre manière
Les hommes et les jeunes moins présents
Si le club de lecture attire un public varié, il semblerait que le hommes soient peu attirés par ces rencontres autour d'un livre : « C'est très féminin, mais je ne dirais pas que les gars ne lisent pas. Pour les activités culturelles en France, l'initiative vient plus souvent de la femme » plaide Laurie Pezeron en faveur de la gent masculine. Autres grands absents à l'appel, les plus jeunes, les moins de vingt ans. Et pourtant leur vision des choses peut être très éclairante : « Pour exemple, la session de Disiz, pour son livre René, dont l'action se passe en 2014. Marine Le Pen est présidente, les élèves rendent leurs copies en langage texto... J'ai trouvé ce bouquin violent. Une jeune fille de vingt ans était présente et nous a dit que ça se passait déjà presque comme ça ! » Laurie Pezeron aimerait intéresser davantage les plus jeunes à la lecture et, plus largement, à la culture : « Ce qui me frustre, c'est qu'il y a plein d'activités culturelles gratuites ou pas cher, donc la culture en France est accessible. Mais les plus jeunes ne sont pas assez orientés vers ces activités. C'est pourquoi mes sessions sont gratuites, elles amènent à la réflexion d'une autre manière »
« Faire lire les gens »
C'est sans trop d'argent que le club READ! fait son petit chemin dans le milieu de la culture parisienne, puisque l'association n'est pas subventionnée. Néanmoins, Laurie Pezeron est assez satisfaite du travail accompli : « Ma première réussite c'est de faire lire les gens. De se dire que les gens sortent de chez eux, vont dans une librairie, achètent un bouquin, le lisent et viennent pour en parler...c'est une démarche de ouf. Va voir comment les professeurs luttent pour que les élèves, pour qui c'est obligatoire, lisent un bouquin ! » Pour des raisons de simplicité logistique, jusqu'ici la plupart des sessions ont eu lieu dans Paris intra-muros, à chaque fois dans un lieu différent. Et lorsque la créatrice du club pense à l'avenir, elle l'imagine tentaculaire : « J'aurai des antennes implantées partout dans le monde READ Marseille, READ Dakar, READ Gosier (Guadeloupe) et pourquoi pas tous se retrouver lors d'un READ géant ! ».
Même si le club lui demande beaucoup d'énergie, en plus de son travail de consultante en communication, Laurie ne compte pas s'arrêter de si tôt : « C'est tellement enrichissant, le livre est une base. La base de la vie en société ! »