
« Rap, soleil et biftons » ou « Le rap rime-t-il avec nostalgie du bled ? »

1999. La France danse sur le tube du collectif de rappeurs congolais Bisso na bisso. Depuis, de nombreux artistes de rap produisent des morceaux mettant en avant leur pays d'origine. Business ou recherche d'identité, les motivations divergent selon les artistes.
« Bisso na bisso », « Tonton du bled » ou « Sénégalais de France », autant de morceaux de rap qui ont fait un carton dans les charts français. La recette est à peu de choses près la même que celle utilisée pour les tubes estivaux à savoir : quelques notes de musique « exotique », du soleil et si possible des sourires, bref il faut faire rêver. Cependant la réalité de certains pays d'Afrique ou des Antilles ne donne pas toujours envie de rêver et certains rappeurs témoignent d'une réalité plus brute, n'hésitant pas à ternir la carte postale. Entre business et repli communautaire, les regards sur le « bled » sont multiples.
« Entre nous »
L'été 1999 a été réchauffé par les titres ensoleillés du collectif Bisso na bisso formé, à l'initiative de Passi (Ministère A.M.E.R). L'album « Racines » évoque son origine congolaise et parle directement à la communauté congolaise, au sens propre comme au figuré puisque le nom du collectif signifie « entre nous » en lingala. Si les membres du groupe sont exclusivement congolais, il n'en est pas de même pour tous les artistes invités sur le disque. Parmi eux, des grands noms de la musique africaine (Papa Wemba, Koffi Olomide, Ismaël Lo...) mais aussi des têtes d'affiche de la musique antillaise (Jacob Desvarieux/Kassav', Tanya Saint-Val...) et même Roldan, leader du groupe de rap cubain Orishas. Pour Olivier Cachin, journaliste et écrivain spécialiste de culture hip hop depuis des années, l'attrait commercial semble logique : « Il est évident qu'avec ce genre de musique, comme avec le Raï n'B, les rappeurs espèrent séduire les papas avec de la musique traditionnelle. » Un an plus tard c'est au tour du 113 avec le fameux hit « Tonton du bled ». Dans ce morceau, Rim K raconte l'odyssée vers le « bled » d'une famille maghrébine lambda vivant en France. « Ce qui est intéressant avec ce morceau c'est que le narrateur, en l’occurrence Rim K, au début du morceau ne veut pas aller au bled, mais une fois sur place, il se dit : « finalement c'est bien ! ». Il est à l'image de beaucoup de jeunes qui sont attachés à leur quartier, à leur mode de vie, qui finalement se disent : « Je suis français ! »» note le spécialiste. La force de ce morceau réside dans l'identification. Combien de français d'origine marocaine, algérienne, tunisienne connaissent parfaitement cette aventure estivale ? Combien de Bilel ont dû se soulager dans les toilettes crasseuses d'une aire d'autoroute ? Combien de litres de Zit-zitoun ont été étalés sur leur peau à la plage ? Cependant d'autres artistes sortent beaucoup plus franchement du cliché « plage et palmiers » pour témoigner d'une réalité bien moins glamour.
Expression d'un malaise
Parmi ces artistes qui n'aideront certainement pas à l'augmentation des réservations dans les différents Club Med, nous pouvons citer Casey. Dans son titre « Chez moi » (tiré de Tragédie d'une trajectoire - 2006), cette rappeuse d'origine martiniquaise brosse un portrait ultra-réaliste et sans concession de son île. « Casey fait partie de cette frange plutôt hardcore du rap, qui n'a pas le soucis de séduire le plus grand nombre mais plus de délivrer un message » confirme Olivier Cachin. Tandis que Casey déconstruit fantasmes et idées reçues, d'autres comme Ekoué (La Rumeur) s'attache à retranscrire un malaise. Dans son morceau « Blessé dans mon égo » (Le poison d'avril, 1997), comme Rim K, il décrit un voyage dans son pays d'origine, le Togo, pourtant le résultat est loin d'être le même, précise Olivier Cachin : « C'est un peu le thème du « bien nulle part », la thématique du cul entre deux chaises, qui est aussi abordée par le Bisso na bisso dans le morceau du même nom. ». Comme quoi, sous cette énorme couche de bonne humeur contagieuse, le Bisso avait aussi des choses à dire sur le sujet. Une double identité, une double culture qui explique que certains rappeurs comme Disiz partent en quête de leurs racines. Ce dernier a converti son introspection en musique sur tout un album, Itinéraire d'un enfant bronzé (2004), signé de son vrai nom : Sérigne M'Baye. Cet opus, qui mêle rap et musique africaine, n'a pas été sa plus grande réussite commerciale, mais ce n'était certainement pas le but de cet artiste atypique : « Disiz est quelqu'un qui se pose beaucoup de questions. Il a fait un album qui annonçait la fin de sa carrière dans le rap, il a fait un album rock avec un autre pseudo puis il est revenu au rap... C'est quelqu'un qui a peur d'être coincé dans un cliché et qui fait des albums en adéquation avec son état d'esprit. C'est un caméléon... dans le bon sens du terme ! »
Un rap de plus en plus communautaire
Le nombre d'artistes faisant référence à leur pays d'origine est grandissant. Pour autant peut-on parler d'un rap plus communautaire ? Olivier Cachin répond : « Si le rap est de plus en plus communautaire, c'est lié à l'évolution des quartiers où l'on ressent le besoin de se revendiquer comme étant algérien, sénégalais... Les rappeurs ont besoin de représenter quelque chose d'autre que le pays où ils vivent. ». Pour le journaliste, certains rappeurs jouent de ce côté identitaire pour mieux capter l'attention : « Quand on voit Médine, barbu et imposant, qui appelle son album Jihad, on pourrait penser : « mais où cache-t-il sa ceinture d'explosif ? » Mais c'est juste un côté provoc’, il est beaucoup plus fin que son image. Dans sa manière d'écrire il est très didactique, très pédagogique. D'ailleurs, un de ses raps est repris dans un manuel scolaire ! [Le morceau « 17 octobre », qui traite des événements du 17 octobre 1961, apparaît dans la partie guerre d'Algérie dans un manuel de terminales de la collection Nathan - ndlr]». De plus, pour Olivier Cachin, cette question identitaire n'est pas forcément nouvelle : « C'est quelque chose qui a toujours été en sous-texte dans le rap. C'est un sentiment qui a grandi et qui est à hauteur de la déception causée par la non-acceptation aussi bien du rap que des origines africaines. ». Il semblerait que les espoirs déçus des années 80 et 90 aient été bien plus forts que l'euphorie de 1998 : « L'effet coupe du monde, c'est fini depuis longtemps ! La France black, blanc, beur c'est loin ! ».