
Qui sera le gardien de nos gardiens ?

Les contrôles au faciès gangrènent les rapports entre la police et une large fraction de la jeunesse des quartiers populaires. Entre sentiment d’abandon et omniprésence répressive, la police est devenue le symbole et le catalyseur du sentiment d’injustice dans les quartiers. Cette pratique policière du contrôle, qui est une des spécificités de notre pays (issue des pratiques coloniales), a des conséquences dévastatrices sur le « vivre ensemble ». Des associations françaises et américaine ont décidé de dire stop !
Point de départ de la plupart des émeutes depuis trente ans, de Vénissieux (1981) à Grenoble (2010), en passant par Vaulx-en-Velin, Clichy-sous-bois et Villiers-le-Bel : des frictions avec la police. Depuis des mois, un collectif d’associations et des avocats soutenus par l’Open Society Justice Initiative a décidé de se pencher sur cette tradition française… pour la combattre. De son côté, l’association Graines de France s’est elle lancée dans une série de débats avec la police et des associations de quartier, pour tenter de crever l’abcès.
Vous venez d’être contrôlé ? Demandez le soutien de l’Oncle Sam !
L’Open Society Justice Initiative est une émanation de l’Open Society Institute, elle-même lancée par le financier milliardaire George Soros et qui intervient au niveau international sur les droits de l’homme. Cette organisation a frappé fort, en finançant une étude réalisée par le CNRS, qui porte sur plusieurs centaines de contrôles effectués par la police sur divers sites parisiens : « Police et minorités visibles, les contrôles d’identité à Paris », qui paraît en juin 2009 (Consulter l'article correspondant sur le site Open Society Foundation). L’étude fera grand bruit. Le ministère de l’Intérieur participera à plusieurs réunions de travail, pour faire bonne figure. Mais on en restera là. Du moins du côté des institutions françaises. Car, du côté des plaignants, pas question d’enterrer le sujet. Selon les méthodes en vigueur outre-atlantique, c’est par voie de justice que cette affaire éminemment politique pourrait être traitée. La récente réforme de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) servira de tremplin, et un travail est lancé dès mai 2011 avec plusieurs avocats français pour dénoncer « l’ethnic profiling » (contrôle au faciès) (Consulter l'article correspondant sur le site Open Society Foundation). En vain pour l’instant : la QPC est jugée non recevable. Avocats et associations ne désarment pas, et lancent dors et déjà d’autres initiatives, cherchant des témoignages parmi les victimes potentielles de cette autre tradition française séculaire. Le collectif Stop le contrôle au faciès, créé pour l’occasion, est en première ligne*… et attend tous les témoignages possibles !
Une demande de la population et des policiers
Cette thématique des rapports police-quartiers est l’objet de débats initiés par l’association Graines de France. Son responsable et fondateur, Reda Didi, a mené depuis le début de l’année pas moins d’une dizaine de rencontres à Paris et en banlieue, pour tenter de créer le dialogue avec la police. « Notre thématique n’a pas toujours été accueillie à bras ouverts ». Reda a le sens de la litote, tant les institutions policières ou municipales lui ont mis des bâtons dans les roues. Mais pas seulement elles. « Il y a un complexe, dans certaines associations, à travailler sur ça, elles ne veulent pas être assimilées à des questions jugées liées aux « histoires de jeunes » ! Elles se considèrent comme adultes, préfèrent travailler sur des sujets comme l’économie… C’est justement pour ça qu’on veut travailler nous sur les rapports « citoyens-police » et non « jeunes-police ». D’autant plus qu’il y a une demande de la population et des policiers. Ils disent avoir besoin d’un retour direct sur la manière dont la population vit leur travail. » Ainsi se dessine un de ces tabous qui ne font rien pour arranger la vie des quartiers populaires : le chapeau de la cocotte-minute doit définitivement rester fermé. Pourtant, à Bobigny, comme à Sartrouville, à Villiers-le-Bel comme à Meaux, à Sevran, à Cergy, à Asnières ou à Argenteuil, le public était bien là. Et quand la police est présente, à travers par exemple Yannick Danio, du syndicat Unité-Police (SGP-FO), fidèle participant des débats citoyens, les échanges sont fructueux. Reda : « Il n’y a pas eu de dérapages, ou peu, même quand on partait, comme souvent, avec beaucoup d’animosité. Mais à la fin, les cartes de visite s’échangeaient, et on entendait des « vous n’êtes pas comme les autres ». Certains pensent que ce n’est que de la parlotte. Mais il faut bien commencer par là. »
Une demande de police
A Nanterre, en février dernier, pas de clash, faute de combattants. Sur ce territoire, on compte 250 policiers en moins depuis le début des années 2000. Environ 2500 par an en moins depuis 2007 sur tout le territoire. Une hémorragie qui explique sans doute l’absence de troupes disponibles pour les débats : le policer attendu jusqu’à la dernière minute de la rencontre s’est désisté. Un participant constate, amer : « On a une demande des habitants d’avoir de la police quand elle n’est pas là. Mais c’est vrai que quand elle intervient, dans certains quartiers, il y a toujours de la violence. » Sihem Souid, considérée comme le mouton noir de l’institution par beaucoup de ses pairs depuis son livre réquisitoire « Omerta dans la police », a assuré l’intérim le soir de cet échange. Ses propos ont bien entendu brossé le public dans le sens du poil, puisqu’ils témoignaient de son combat dénonçant les dérives de certaines pratiques policières. Mais pas sûr que le public venait justement pour être brossé dans le sens du poil, puisque la réalité se charge bien de brosser les gens dans le sens contraire. Et que c’est de cela qu’il fallait parler. Comme le faisait remarquer Mamadou Diallo, l’hôte de la rencontre, qui se tenait dans les locaux de son association, Z’y va : « dans la police, le problème c’est le recrutement. Comme dans l’école, c’est des gens qui viennent de loin, et qui n’ont pas de contact facile avec la population d’ici ». Un des intervenants, Yacine Djaziri, entrepreneur nanterrien, faisait quand même remarquer : « les policiers sont aussi victimes d’une politique qui leur nuit ». Celle du chiffre, de la répression à tout crin, notamment depuis le fameux discours de Toulouse de l’ex-Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, en février 2003, qui affirmait : la police « n’est pas là pour organiser des tournois sportifs mais pour arrêter des délinquants ».
Contrôle de la police
Or, comme le fait remarquer Lanna Hollo, de l’Open Justice Initiative présente ce soir-là à Nanterre, « les statistiques prouvent qu’on n’arrête pas beaucoup de criminels après les contrôles au faciès. Les informations sont de bien meilleure qualité quand il y a de meilleures relations avec la population. » Graines de France et l’organisation américaine marquent sans doute des points en utilisant des méthodes nouvelles et en travaillant avec des experts comme Fabien Jobard ou René Lévy, du CNRS. Là où les revendications d’anciennes associations comme Ac ! Lefeu, le MIB ou SOS Racisme, sans doute jugées trop partisanes ou politiques, ont échoué, ces nouvelles structures réussiront-elles ? La question se pose en particulier sur la question du contrôle au faciès, et la délivrance d’un « récepissé » ou d’un « PV » délivré par le policier qui effectue le contrôle (et justifiant des motifs, date, lieu du contrôle et l’identité ou matricule du contrôleur), le tout afin de tenter d’enrayer l’épidémie récurrente de contrôles. Pourtant le problème semble plus fondamental, comme l’analyse Didier Lapeyronnie, dans Le ghetto français : « les contrôles d’identité n’ont aucun effet sur la délinquance réelle (…) Ils n’ont d’ailleurs pas pour objectif de réduire l’insécurité ou de lutter contre la délinquance. Ils s’inscrivent avant tout dans une tradition de maintien de l’ordre et de contrôle social. »
Traditionnellement accusés d’être les gendarmes du monde ( !), les Etats-Unis, ou leurs ONG, finiront-ils par être les gendarmes de nos gendarmes ?! En l’espèce, ce pourrait être mérité, et nécessaire. On peut en tous cas espérer qu’ils aideront les structures françaises qui luttent sur le terrain. Ces derniers temps, la justice américaine a déjà beaucoup travaillé pour faire évoluer la mentalité des élites françaises (mais aussi de l’ensemble de la société !) sur la question du harcèlement sexuel (cf l’affaire DSK), espérons que cela sera aussi le cas sur le contrôle au faciès, qui vire dans certains quartiers en harcèlement policier…
Erwan Ruty
*Collectif contre le contrôle au faciès : www.stoplecontroleaufacies.fr / stopelecaf@gmail.com / « CONTROLE » par SMS au 07 60 19 33 81 (rappel dans les 24 h par un membre du collectif qui fera valoir vos droits avec ses avocats)
Articles liés :
Le collectif "Stop le contrôle au faciès" attaque l'Etat
« Révéler un problème sans le résoudre peut être vécu comme une fatalité »