
Quel type de diversité pour le cinéma ?

La journée des jeunes producteurs indépendants, s’est tenue sur deux jours intenses de débats et réseautage. On retiendra surtout de la table-ronde « Des images au cœur de la diversité », que le terme diversité fait débat !
Après une longue introduction de Fadila Mehal, directrice du pôle promotion de la diversité par l’image et les médias à l’Acsé, la parole est donnée à Lucien Jean-Baptiste, réalisateur reconnu (La Première Etoile, 30°Couleur), qui souligne l’intérêt de la démarche de la journée des jeunes producteurs indépendants : « On se sent moins seul mais dommage la salle n’est pas pleine. » Mais très rapidement le cinéaste tient à rétablir une réalité en dissociant le côté militant du côté indépendant : « Je n’ai pas eu au départ de démarche militant mais plutôt celle d’artiste. C’est un phénomène inconscient, on parle de nos souffrances mais sans vouloir le faire explicitement. Je me rends compte maintenant que j’écris des films pour dire que j’existe, pour parler de problèmes de représentativité. Mais je me comporte à l’égal de n’importe quel réalisateur. « Première étoile », on est vraiment une histoire vécue. »
Une indépendance qui a un prix
Pour Lucien Jean-Baptiste, il y a un prix à payer. Celui de la compétitivité. « Le cinéma, c’est un art mais c’est surtout une industrie. On vous laisser créer quand c’est tourné dans votre chambre. On vous laisse tranquille ; mais dès que vous voulez toucher le grand public, c’est autre chose ». Il fustige le manque de moyens mis à disposition des réalisateurs hors du cénacle. « Il faut arriver avec des armes à la main. Le cinéma doit être un miroir, un précurseur. »
Au-delà des comédies pop-corn
Lui-même réalisateur de comédies, il regrette néanmoins que les acteurs et réalisateurs « issus de la diversité » ne s’essayent qu’à… la comédie. « C’est un genre qui fait des entrées, qui vend du pop-corn. Je suis arrivé sincère, sans stratégie. Pour moi le rire est une armure ». Dans le même temps, se contredisant légèrement, il fustige le fait que les réalisateurs issus de l’immigration ne traitent que de sujets « attendus » : « je m’adresse aux professionnels dans la salle, vous devez investir dans des films qui traitent d’autres choses que l’immigration ou l’excision. »
Pas de discours victimisant pour autant, Lucien Jean-Baptiste reconnait que « c’est dur pour tout le monde », mais fait le vœu que les choses évoluent : « Je me bats pour que demain, il y ait des jeunes réalisateurs/producteurs qui écrivent des films pour les gens comme moi car j’ai envie qu’on me fasse jouer, je suis aussi acteur. Et surtout, j’en ai marre des gens qui disent « black » pour Noir. Dites-le : « Je suis un acteur noir ». On a accolé trop de choses négatives à ce mot.»
« Mettre en lien des mondes qui ne se rencontrent pas »
Des revendications qu’entend Nathalie Notebaert, directrice adjointe de l’innovation, des nouvelles cultures et de la diversité de France Télévision : « Nous voulons parler à tout le monde, à tous les publics. La diversité doit irradier dans tous les programmes et ne pas segmenter la lutte contre les clichés. Il faut parler des périodes d’histoire méconnues, des personnages oubliés comme Toussaint Louverture. »
Elle fait même un mea-culpa quant au manque de représentativité des minorités sur le service public censé être exemplaire en la matière. « Nous avons mené un travail de recherche. On nous a reproché qu’il y ait trop d’experts blancs, pas assez de diversité. On a donc mis en place un travail de répertoire pour appeler plus de gens de la diversité. Nous travaillons également à une meilleure représentation des nouvelles cultures, comme les cultures urbaines qui sont sous-représentées. On peut également citer le lancement l’an dernier de notre premier festival de web fictions, baptisé « Click Clap! ». Les réalisateurs étaient invités à plancher sur le thème : « Les clichés ont la peau dure, faîtes la peau aux clichés ». On a reçu 400 projets, on a désigné 10 films. Le jury prestigieux (comprenant par exemple, le rappeur et slammeur Abd Al Malik, et présidé par le PDG de France Télévisions, Rémy Pflimlin, ndlr) a été surpris par la qualité des films. Les lauréats ont été diffusés sur France 4. »
Les gagnants ont également bénéficié de bourses pour le développement de leurs projets audiovisuels et reçu du matériel de prise de vue.
« 90% des annonces d’emplois pour travailler à la télévision ne sont pas publiées, cela ne marchait que par réseaux et cooptation, il était temps que cela change », résume Fadila Mehal
« C’est mon premier film. Le CNC ne va pas m’aider. »
Petit moment de tension entre Safia Lebdi, conseillère régionale d’Ile-de-France, présidente de la Commission cinéma et Nathalie Notebaert : « Le mot diversité, je ne le comprends pas. On parle de gens qui sont français », s’exclame Safia qui fustige à son tour le manque de représentativité, mais social plutôt qu’ethnique. « La Région a un budget de 14 millions d’euros. Mais il y a des commissions, elles sont mixtes et paritaires au niveau des élus et acteurs du secteur. Elles ne sont pas représentatives de la population française. On ne sait pas par qui les membres sont nommés mais par le haut, c’est sûr ! Il faudrait que ce soit par le bas ! Ces commissions vont faire des choix qu’ils connaissent, ils favorisent un réseau. Il faut une démocratisation des outils. On a besoin de ces gens qui font, qui essayent des choses. Beaucoup viennent me voir et me disent : « C’est mon premier film. Le CNC ne va pas m’aider. » On les a entendus. Mais ca prend du temps, on a mis 3 ans à voter un dispositif d’aide à l’écriture. Il ya aura 500 000 euros divisés en deux pour les auteurs confirmés et les talents. »
Une Ecole de la Cité pour sortir de la cité ?
Pour Rachid Djouadi, il faut mutualiser ces nouveaux talents. C’est l’objectif qu’il s’est fixé en tant que directeur de l’Ecole de la Cité : « Elle existe, elle est sortie de terre. Elle aura une superficie de 62 000m2 (soit huit fois moins que l’école voisine Louis Lumière, ndlr). Elle sera inaugurée à la mi-septembre. Elle est pensée à l’origine par Luc Besson qui participera au recrutement en juillet. Ce sont 60 étudiants qui auront la chance de s’essayer à plusieurs métiers du cinéma : auteur, scénariste, metteur en scène. La formation sera gratuite pour eux mais elle a un coût de 25 000 euros par personne. Il y a 40 professionnels qui sont mobilisés au cours de ce projet. »
Aucun niveau de diplôme n’est requis. Une volonté défendue depuis de nombreuses années par le réalisateur et producteur autodidacte Luc Besson. « Quand j'ai voulu faire du cinéma à l'âge de 17 ans, toutes les écoles réclamaient le bac et souvent un minimum de deux ans d'études supérieures », résume-t-il sur le site de l'école (www.ecoledelacite.com)
La parole à la salle
Dans le public, les réactions sont nombreuses notamment autour de la notion de « diversité ». « Elle n’est pas que ethnique mais aussi géographique », s’insurge une productrice habitant en province. « A quand des héros noirs ou arabes en prime-time ?» demande une autre. « C’est le cas avec Aïcha », répond de Nathalie Notebaert de France Télévision. Sa réponse soulève quelques indignations. C’est certain, la notion même de diversité fait encore débat !