
Quartiers lointains ? Pas tant que ça…

Porté par l'association Siniman Films et parrainé cette année par le réalisateur américain père de la Blaxploitation Melvin van Peebles, la « 3ème saison » du programme itinérant « Quartiers lointains » était projetée le 16 février à Pantin… consacrée à l’amour (« à la française », argument aussi commercial que décalé, au vu des films sélectionnés).
Cette édition circulera en d'Afrique (Mali, Sénégal, Burkina peut-être), en France (Poitiers, Montmorillon, Berck, Pantin) et… aux Etats-Unis (New-York, Chicago, et peut-être Detroit, San Francisco). Mais depuis 2013, des courts-métrages français voyagent déjà grâce à ce projet sur le continent africain, au Rwanda, en Algérie, ou Sénégal...
Si loin, si proche
Certains, remarquables, ont d’ailleurs été remarqués ! Il en est ainsi de « Fais-croquer » (de Yassine Qnia, prix du public et prix du jury au festival Premiers Plans d’Angers, 2012 et prix spécial du jury au Festival du Cinéma européen de Lille en 2012). De même « La ligne brune » de Rachid Djaïdani, avait connu un certain succès, tout comme les films de Steve Achiepo (auteur par ailleurs de « A la source »), ou encore de Djinn Carrénard (avec « White Girl in her Panty », « prequel » du « Donoma » qui l’avait fait connaître) et enfin de « J’mange pas de porc » (d’Akim Isker, co-réalisateur de « La Planque », tourné avec l’écurie Besson). L’année suivante, quatre courts-métrages africains (Afrique du Sud, Burkina, Mozambique, Tunisie) ont à leur tour traversé la Méditerranée. Dès lors, on comprends l’appellation du festival « Quartiers lointains, mais problèmes proches », a l’habitude de dire Claire Diao, qui en est à l’origine. Car pour elle, l’enjeu est bien de « rendre proches des thématiques qui semblent lointaines ».
Un festival de passeurs
Le concept : à l’occasion de la projection de plusieurs courts-métrages dans une même soirée d’une heure trente environ, assister à une diversité de films, de regards, sur une société métisse, en plein bouleversement de ses repères. Il s’agit bien de donner à voir aux français des films africains… et réciproquement, afin de mesurer les similarités des histoires et des vies. Claire Diao estime incarner elle-même ce projet : « J'ai grandi entre deux cultures, deux continents, deux pays, deux religions et deux couleurs de peau. Mon métier de journaliste, je l'ai abordé comme celui de passeur », assure sur le site du festival celle qui se revendique fille de Burkinabé et de Française ayant grandi dans la région lyonnaise. Les réalisateurs sélectionnés sont d’ailleurs à son image, c’est-à-dire à celle de la jeune génération urbaine, métissée, voire mondialisée. Alic Diop, Yohann Kouam, Zangro (alias Sylvain de Zangroniz, qui a grandi au Maroc et vit à Cenon, en banlieue bordelaise), Jean-Charles Mbotti Malolo (très introduit dans le milieu du court, et que Claire Diao a croisée en train de faire du Pop-in sur les marches de l’Opéra de Lyon), sans parler du fameux Melvin van Peebles (passé de l’Air force au journal satirique français Hara-Kiri, du cinéma expérimental militant Black power au film intimiste provincial francohpone…).
amour solution aux attentats ou manque d’amour à l’origine des attentats ?
Une sélection 2016 placée sous un généreux et optimiste « faîtes l’amour, pas la guerre » ? « Que faire lorsque le monde sombre dans la guerre et dans la peur au quotidien ? Partager de l'amour ? » interroge d’entrée de jeu l’accroche de cette nouvelle saison parcourue par le souffle du terrorisme : Claire Diao raconte en effet avoir vécu les attentats de Paris du mois le 13 novembre, puis de Tunisie le lendemain, à chaque fois pendant une projection à proximité des endroits où se déroulaient ces tragédies qui n’avaient, elles, rien de cinématographique. « Avec les attentats, je crois qu’on est à l’heure, ou au bon endroit pour parler de ces thèmes. Après les attentats, il y a toujours la peur, le repli sur soi, mais on avait surtout envie de se réunir, de voir les gens qu’on aimait ».
Cocottes-minute
Mais au vu des films, on doutera du bien-fondé de cet optimisme et du pouvoir pacifique de l’amour, car ils montrent bien plutôt ce qui fait problème : l’incapacité à assumer et gérer l’amour, de la part d’une génération de jeunes hommes, le plus souvent issus des minorités. Rarement on y a été aussi éloigné de l’amour « à la française » tel qu’il est perçu depuis des lustres, en deçà et au-delà des frontières ! Violence, répression des sentiments, sujétion aux traditions, exclusion des différences (en particulier de l’homosexualité, comme dans le très délicat « Le retour », de Yohann Kouam, premier film projeté)... Claire Diao revendique même ce « décalage » (un euphémisme). Car même si elle voulait faire de l’amour le fil-rouge de cette « saison », c’est le film d’Alice Diop, documentaire coup de poing (à l’instar de son précédent « La mort de Danton ») qui a convaincu Claire Diao de tout miser sur le noble sentiment : « Ce film est d’utilité publique. Il y a beaucoup de pays où l’amour n’est pas accepté en dehors du mariage. Du coup, on créé des cocottes-minute. Les gens pètent les plombs. Le cinéma marocain, par exemple, est rempli de ça. Viols, violence, prostitution… »
Destin comique
Seul sans doute le film de Zangro (auteur de « Destino »), absolument hilarant (comme la plupart de ses productions, depuis le site A part ça tout va bien jusqu’à son précédent court, « Como a la television »), échappe à la sévérité du constat des autres films. On ne s’étonnera pas que les précédents opus de ce réalisateur atypique aient été soutenus par Bruno Gacio ou Jamel Debbouze (et Mohamed Hamidi, récent réalisateur de « La vache »). Et ce, en abordant le thème du mariage traditionnel de manière pour le moins décapante, tout en étant totalement ancré dans la réalité d’une jeunesse multiculturelle qui veut échapper aux contraintes sociales trop fortes, et aux vicissitudes de la vie… et où heureusement l’amour reste malgré tout le plus fort.
En tous cas, que cela soit par la fiction, le documentaire ou le film d’animation (ici, avec « Le sens du toucher »), si Quartiers lointains veut nous rapprocher, on espère qu’il le fera avec de telles réalisations.