A proximité du cinéma

Le 03-05-2011
Par xadmin

La Courneuve. Le tramway se vide de ses travailleurs et de ses étudiants. Autour du cinéma classé arts et essais, désespérément vide, se regroupent de petites équipes. Les grands papotent, les petits chahutent, les mamans discutent, les anciens s'occupent. La question du jour c'est : « Et vous, le cinéma ? ». Réponses avec des acteurs du quotidien.

Du côté des petits
Premier contact avec les petits. Nous les appellerons ainsi tout en précisant qu'ils ont entre 15 et 19 ans. L'âge du petit est variable... Leurs classiques au cinéma ? La réponse est timide. Je réalise qu’ils se sentent un peu comme des élèves face au tableau, qui craignent de répondre un truc nul. L’un deux prend son courage à deux mains et m’envoie :
« Cherche pas, on a tout vu : Heat, Le Parrain, les Scorcese, Braquages à l'anglaise et à l'italienne, Scarface, American History X, Mesrine, le 1 et le 2 ... »

Les titres fusent dans tous les sens, j'ai l'impression d'être sous un comptoir du Crédit Agricole en plein hold-up. C'est vieux tout ça, vous ne regardez pas les nouveautés au petit cinéma d'en face ? Eclats de rires.
« Ici, c'est mort. On y allait avec l'école. Ils passent que des films encore plus vieux que ceux que je t'ai dit. Y'a que des films pour les petits ou qui prennent grave la tête. J'me rappelle une fois j'ai vu un film en noir et blanc, j'sais pas si ils étaient timides ou quoi mais les mecs parlaient presque pas. J'me souviens juste que leurs têtes m'avaient bien fait flipper. Nous, on regarde plus des trucs d'action avec des bonnes histoires, faut que ça bouge un peu. »
En gros vous regardez que des films où ça goom dans tous les sens et vous cherchez pas à aller plus loin ? Un des petits, resté en retrait jusque là, prend la parole calmement. Il a le regard plus dur, une assurance marquée et une voix assez rauque pour ses 17 ans.
« En vrai, on regarde de tout, j'ai kiffé les trucs de bracos et tout mais je me rappelle que ma prof nous avait montré Les Lumières de la ville, et franchement c'était bien aussi. Bien sûr, on est allés voir Avatar parce que la 3D au cinéma, c’est historique. C’était le premier comme ça. Si tu l’as raté, t’es passé à côté d’un truc mon pote parce que bientôt va y’avoir que ça... Avant, ouais, on savait rien, mais frère, quand tu t’es callé au Gaumont du Stade de France, t’as pas envie de retourner dans c’te vieille salle des années 50. T’as Internet, aussi, tu veux un film tu l’as sur place, plus besoin de payer 10 euros pour kiffer. Quand on regarde un film c’est pour se faire plaisir, nan ? Après, si on regarde pas les films du cinéma de quartier, c'est parce qu'ils nous parlent pas. »
La troupe acquiesce et surenchérit en évoquant le besoin d’être à la page, la lassitude de recevoir les nouveautés six mois après leur sortie dans une petite salle, le décalage entre l’écran et leurs réalités. Je demande au garçon si le problème c’est que le cinéma ne s’adresse pas à lui, ou ne parle pas de lui. Il hésite un moment, ses potes le regardent comme s'il shootait un trois point sur le buzzer et me répond :
« Nan, il me parle pas tout court et quand il parle de nous c'est toujours pour des galères. Y’avait La Haine mais c’était y’a combien de temps ça ? Le truc de la jupe, c'était une galère, le film là, Entre les murs, c'était une classe on dirait qu’ils ont mis tous les cancres de la cité dedans, Ramzy et son machin sur le jambon ça faisait trop le film du mec qu'a des trucs à se reprocher. A la limite Indigènes c'était bien, au moins on appris des trucs ». Je décide de mettre fin à l'entretien sur ces paroles solennelles quand j'entends une petite voix sur un corps de Vin Diesel avouer : « En vrai, Devdas, j'ai kiffé, mais c’est le genre de film love - love, tu l'regardes en scred sinon t’es grillé ». Barres de rires.
 

Du Côté des grands
C'est l'heure du goûter : Heineken dégoupillées et clopes éventrées. Ils sont six à être adossés au mur du cinéma. Moyenne d’âge : 30 ans, un peu moins pour les dents. Présentations faites, je les interroge sur leur rapport avec le cinéma, en particulier avec leur cinéma de proximité.
« Le petit cinéma d’à côté, on y va jamais. Les films qu’ils proposent sont pour un public particulier : les collèges, les centres, pour ceux qui ont des projets. Nous, on est pas dans tout ça. En fait, c’est pas un « vrai » cinéma. » C’est quoi alors un vrai cinéma ?
« C’est un endroit où tu vas trouver des nouveautés, des films de plusieurs styles. Tu prends le Gaumont de Saint Denis, ça c’est un vrai cinéma pour moi. Ils font pas de différences et s’adressent à tout le monde. Ici, ils sont toujours en retard et ils te passent des films genre Titeuf ! C’est bien pour mes petits neveux, ça… » Ouais mais ils passent des films plus anciens et plus sérieux aussi, ça te parle pas non plus ?
« Non plus. Là aussi, c’est la même. C’est surtout des longues histoires, des films que tu regardes quand t’es animateur. T’emmènes les petits pour leur expliquer la vie, moi pour ça, j’ai pas besoin du cinéma. Si je veux voir un vrai film, je vais au Gaumont. T’es bien installé, image et son de qualité et le film est pas en russe au moins. Des films à l’ancienne j’aime bien aussi, mais je les regarde chez moi. » Lesquels par exemple ?
« Ça peut être des vieux films français, à la Jean Gabin, Scorcese, des Spike Lee… Pas mal de films mafieux aussi mais ça, ça correspond au délire général, moi, c’est mes grands frères qui m’ont montré tout ça. Je regarde aussi des comédies ou des films plus légers mais y’en a très peu de vraiment bien. » Une jeune femme de 19 ans passe et nous serre la main. Je l’invite à prendre part à la discussion.
« Moi, le cinéma j’y vais pas. C’est trop cher. Le petit d’à côté est à 5 euros mais c’est vraiment des films à 5 euros qu’ils te passent ! Moi je regarde plein de films hindous mais celui que j’attends grave... c’est Fast and Furious 5 ! »

Un peu plus loin, j’entame la discussion avec Majid, 37 ans. Il a été ouvreur dans plusieurs petits cinémas en Seine-Saint-Denis. Son constat est le même : « Les spectateurs ont en moyenne une quarantaine d’années. Les étudiants, on travaille avec eux dans le cadre de sorties scolaires, de la maternelle au lycée. Il est plus difficile d’attirer le public entre 14 et 25 ans dans nos cinémas, tout simplement faute de moyens. Les distributeurs ont une logique purement économique et préfèrent que leurs films soient diffusés dans des grandes salles. Au final, nous recevons les films assez tard (lorsque nous les recevons) et le public est déjà sur autre chose. Beaucoup sont prêts à payer leur place de cinéma deux fois plus cher simplement pour rester collés à l’actualité. On a beaucoup de mal à attirer les plus jeunes dans nos salles parce qu’ils ne saisissent peut-être pas toujours l’enjeu des films proposés. Mon père est une femme de ménage ne les a pas intéressés du tout, par exemple. Les films en VO sont également rébarbatifs pour certains. Même si les cinémas de proximité essaient de proposer des films en VF, cela n’attire toujours pas des masses. C’était le cas récemment pour Fighter, de David O. Russell. Je sais que dans certaines salles, il n’a pas dépassé les quinze entrées ! Les seules fois où les salles se remplissent, ce sont pour des avant-premières et le public ciblé est vraiment jeune. Même les enfants commencent à réclamer des lunettes 3D ! »
 

Salim Ardaoui
 

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