« Nous… la cité » : accouchement d’un livre « SPIP »

Le 16-01-2013
Par Erwan Ruty

Le Service pénitentiaire d’insertion et de probation initie bien des projets à destination des jeunes passés par la case prison. Celui qui a conduit Joseph Ponthus, éducateur, à proposer à quatre jeunes d’écrire un livre racontant leur expérience est un étonnant voyage dans la justice dans les quartiers. 

Quand on a dit qu’on écrivait un livre, ils nous prenaient pour des mythos
« Quand on a dit qu’on écrivait un livre, ils nous prenaient pour des mythos ». « On est partis de rien, et on a fait un livre », racontent les auteurs dans cet ouvrage détonnant. « On témoigne, c’est tout ! » Et quel témoignage ! Une véritable plongée en apnée dans les aléas, les vicissitudes, les petits bonheurs et grandes difficultés, des relations avec la police et la justice de jeunes gens de Nanterre ou de ses environs, ordinaires, ni pires ni meilleurs que d’autres.
 

Style direct 

Pas de chichis, pas de périphrases, le style est direct, franc, parlé… qu’il s’agisse de la verve du principal rédacteur, qui est en fait l’éducateur lui-même, ou de ses ouailles (Rachid Ben Bella, Sylvain Erambert, Riadh Lakhéchène, Alexandre Philibert) qui ponctuent le livre de phases « épistolaires », on a là un document assez unique. Soit : une colonne vertébrale à la fois cultivée (références à Jean-Claude Izzo, ce qui paraîtra normal dans cet univers proche du polar, ou, plus étonnant, à… Pindare, poète grec du Vème siècle avant JC !), autant que pointu politiquement (« Nanterre. Une vieille ville communiste, mais le FN y a son siège »). Et une succession de récits, à la première personne, des jeunes suivis par la PJJ, sur les thèmes les plus variés : police, deuil, religion, école, prison…
 

Un livre, pas une « promesse d’embauche bidon »

L’essentiel du texte, et son principal atout, est cependant de nous faire vivre de l’intérieur les rapports avec des institutions que, finalement, le citoyen ordinaire connaît mal. Et surtout, de nous faire le récit d’un accouchement (un livre) et d’une maturation (le plaisir d’écrire, et de se réapproprier la lecture comme quelque chose d’anodin : « lire, ça te fait penser à ta propre situation »). Sans même parler de l’intérêt strictement judiciaire : « le bouquin m’a aidé (..) : c’est pas une promesse d’embauche bidon comme les juges en voient tous les jours », lance Rachid Ben Bella dans un passage. Œuvre salutaire enfin, puisqu’elle contribue en effet sans doute bien plus que d’autres petits boulots de livreurs de pizza et autres, à rendre leur dignité à ceux qui ont porté ce projet.  Quant à leur insertion professionnelle elle-même… 
 
La prison, je dirais que c’est comme si on était à la cité, mais c’est un concentré de cité. Tout est plus intense

Un livre qui est un combat

Petits boulots, formations, taule (Rachid Ben Bella : « La prison, je dirais que c’est comme si on était à la cité, mais c’est un concentré de cité. Tout est plus intense. Les drogués sont plus drogués, les fous sont plus fous »), convocations chez le juge, passage devant les tribunaux, « chiffonnages » avec la police… on assiste à un vrai parcours du combattant, et pas seulement à un exercice de maïeutique littéraire. Un parcours du combattant dont ne peuvent sortir que ceux qui ont la foi chevillée au corps… et il se trouve que ce projet semble leur avoir donné la foi ! « Les mecs écrivent d’eux-mêmes, ils commencent à accéder à leur propre parole », se réjouit Joseph Ponthus dans Nous… la cité. Ainsi, à la fin de l’aventure, l’éducateur d’assister, médusé (ou plutôt bluffé), à une mise au point de ses poulains au sujet du titre, qui aura provoqué une longue discussion : faut-il mettre trois points ou plutôt une virgule dans le titre… ?
 

Etre en situation

Il faut dire que le rôle de l’éducateur, plus sans doute que le projet lui-même, a son importance : il aura été le « berger » de cette véritable aventure d’un an, son guide omniprésent, aura été le mentor des écrivains en herbe. Un mentor qui aura partagé les galères, les joies, les peines, les souffrances de ceux qu’il suit. Mais qui sera resté pro : « Il y a proximité, mais sans complaisance, tient à nous préciser Joseph Ponthus. C’est-à-dire sans excuser les conneries qu’ils peuvent faire ! » Mais cet étonnant témoignage pourra-t-il convaincre des institutions trop souvent kafkaïennes, de revoir certaines méthodes de travail ? Selon l’éducateur, « ce livre a provoqué une réflexion, y compris par rapport à la police : maintenant, sur la juridiction de Nanterre, les plaintes pour « outrage et rébellion » doivent être précisées, motivées »… Et de préciser : « ce travail ne sort pas de nulle part : on est là depuis six ans, on connaissait les gamins, les professionnels, les institutions… Sinon, ce livre aurait été aseptisé ». Voire impossible. 
 
Ca a l’air dérisoire, mais avant, ils n’allaient que dans les kebabs de leur quartier, et le RER, c’était pour aller de Nanterre à La Défense…

« Un nouveau rapport au monde »

Quelques scènes rapportées nous permettront de ressentir au final une bouffée d’optimisme, à l’instar de ces dialogues entre « JAP » ou « proc’ », lorsque ceux-ci décident de se rendre dans les cités pour « être en situation » et mieux comprendre les réalités dans lesquelles vivent les « clients », les « usagers » qu’ils retrouvent ensuite au tribunal… D’ailleurs, le livre a été offert à toute la juridiction du TGI de Nanterre. Les rédacteurs ont présenté le livre au cours de débats, dans les médias, et jusque… au Sénat, à l’occasion d’une rencontre, début décembre 2012, autour des quartiers organisée par la sénatrice Esther Benbassa. Joseph Ponthus nous raconte : « Au début, les loustics n’étaient pas trop à l’aise. Maintenant, ils s’habillent bien, quand ils viennent parler. Ils ne sont plus en jogging ! Au café aussi, avec les serveurs, ça va mieux. Ca a l’air dérisoire, mais avant, ils n’allaient que dans les kebabs de leur quartier, et le RER, c’était pour aller de Nanterre à La Défense… Ils ont nouveau rapport au monde. Et ils bossent, ou sont en formation. Ils sont ravis. Ils se sont servis de ce livre pour sortir de leur situation. Pour eux, ça a été un bon coup de pouce… »
 
Dans ce système, il n’y a que deux solutions pour s’en sortir, soit péter le million, soit tout péter
« Dans ce système, il n’y a que deux solutions pour s’en sortir, soit péter le million, soit tout péter », assure Rachid Ben Bella dans l’un de ses textes. On l’aura compris et on n’en sera pas étonné, vu le contexte : l’optimisme n’est donc pas toujours de rigueur. A fortiori lorsque l’on apprend que les trois clubs de prévention du quartier seront finalement fondus en un seul (pour cause de « Révision générale des politiques publiques ») : « Je gère seul un quartier de 20 000 habitants » se plaint Joseph Ponthus dans le livre, après toutes ces péripéties… Heureusement, reste l’incroyable pêche de ce récit, qui fait souvent rire (y compris dans les situations de tension). Les auteurs : « On a dragué les meufs en se présentant comme écrivains, on a vanné des keufs qui nous demandaient notre profession… » C’est déjà ça.
 
 

Nous...la cité de Rachid Ben Bella, Sylvain Erambert, Riadh Lakhéchène, Alexandre Philibert et Joseph Pontus. (Editions La découverte)

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