Nawufal Mohamed : une villa Médicis à Clichy oui, mais pas pour « une culture parallèle à la vie des gens d’ici »

Nawufal Mohamed
Le 07-08-2015
Par Erwan Ruty

Nawufal Mohamed est étudiant en Sciences politiques. Habitant de Clichy-sous-bois, il a participé à plusieurs projets nés des émeutes de 2005, aux côtés d’Ac ! Lefeu ou à l’occasion d’ateliers culturels installés dans la ville. Il voudrait que la culture des habitants de ces villes soit prise en compte aux côtés des autres formes de culture dans ce type de projet.

 

P&C : Comment avez-vous entendu parler du projet de Villa Médicis à Clichy ?
N. M. :
En faisant des réunions avec Mohamed Mechmache, j’ai entendu dire qu’une tour allait être réquisitionnée pour faire comme à Rome, dans la foulée du projet de métro du Grand Paris. Frédéric Mitterrand était venu en 2012 avec les maires de Clichy et Montfermeil. Ils voulaient tous que la culture arrive jusqu’ici. Aux obsèques de Claude Dilain, le Président l’a dit : "Clichy n’est plus le Clichy de 2005, construite comme une cité-dortoir". Depuis, c’est devenu un symbole. Mieux vaut qu’il rayonne d’une autre manière. Ca peut aller dans le bon sens si l’Etat s’intéresse à Clichy.
 

P&C : Des ateliers d’écriture, les projets ou comme « Clichy sans clichés », montés après les émeutes de 2005 par le même Jérôme Bouvier qui porte la Villa Médicis ont-ils eu un impact sur les habitants ?
N. M. :
Oui, c’était une autre manière de voir la ville : on voyait nos camarades de classe en photo dans toute la ville, on se tapait des barres avec eux, c’était génial ! Des enfants, de la solidarité, des familles nombreuses et heureuses… ça serait bien qu’une Villa Médicis serve à faire pareil. J’ai mémorisé des pages entières du livre qui en est sorti ! Si je fais aujourd’hui des études de Sciences politiques, c’est parce qu’il y a eu des choses comme ça qui ont marché. En 2006, l’Etat a voulu beaucoup investir, ça a bénéficié aux jeunes. Et puis il s’est retiré peu à peu, les projets se sont arrêtés. Du coup, beaucoup plus de gens passent par la case prison.
 

P&C : Il y a déjà des activités culturelles ici, avec les centres sociaux et la municipalité. Comment lier les deux formes de cultures : la locale, et celle de cette éventuelle Villa Médicis ?
N. M. :
Le centre social, c’est pas suffisant. Il en faudrait beaucoup plus pour sortir des inégalités. On a tellement de retard… La tour [qui pourrait accueillir la Villa Médicis, Ndlr], on en entend beaucoup parler alors qu’elle n’est même pas construite. Aux réunions qui l’évoquent, je ne sais pas si les gens ne sont pas invités ou s’ils ne veulent pas venir, mais on voit toujours les mêmes personnes : surtout les militants associatifs ou ceux qui sont liés à la mairie. Les gens ne saisissent pas l’enjeu de cette tour, sur le modèle de Rome. Ils ne voient pas ce que c’est la Villa Médicis. Ce que ça pourrait changer pour eux...
 

P&C : Et vous, vous y verriez quels avantages ?
N. M. :
Les gens viendraient ici pour d’autres raisons que les voitures qui flambent. Des artistes qui viendraient parleraient de la ville à leur manière.
 

P&C : Quelles formes de culture cette Villa Médicis devrait-elle promouvoir ?
N. M. :
Il faudrait des choses que les gens n’ont pas l’habitude de voir. Pas trop de conférences etc. Des choses concrètes, avec du manuel, des vêtements, de l’artisanat, de la sculpture. Il faudrait montrer comment on travaille avec ses mains, les techniques qu’on utilise, plutôt que d’expliquer telle ou telle théorie. Des choses concrètes, parce que les gens ont du mal à rêver.
 

P&C : Quels type d’artistes devrait-on accueillir ?
N. M. :
Il ne faudrait pas que ça soit un lieu avec seulement des étrangers qui viennent et puis se cassent ! Il ne faut pas exclure les habitants. Il doit y avoir un échange, pour que les gens changent. Un étranger aura besoin de quelqu’un d’ici pour comprendre l’environnement. Et les gens de Clichy  auront besoin de lui pour mieux comprendre le monde. Il ne faut pas une culture parallèle à la vie des gens d’ici. Ici, les gens ont de la culture. Mais on n’y fait pas appel. On leur demande même de l’oublier parfois. De la coffre chez eux. Or, il y a toujours quelque chose à mobiliser dans cette culture. On ne doit pas faire que de la « grande culture », mais aussi de la culture urbaine. Un gamin, un adolescent doit voir les deux.

 

 

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