Nadhéra Beletreche : au cœur des cités

Le 05-04-2013
Par Charly Célinain

Les cités, un environnement sujet à bien des fantasmes. Nadhéra Beletreche, enfant de la cité Bleue à Cachan, a couché sur papier sa vision de celle-ci. Son livre « Toxi cités » est une description juste, sèche, sans artifices de ce qu'est le quotidien de centaines de milliers d'habitants des cités. Immersion.

 
« Comment les cités sont-elles devenues des ghettos ? » Telle est la première phrase de la quatrième de couverture du livre de Nadhera Beletreche. Cette jeune femme n'est pas historienne et ne va pas nous narrer l'histoire des banlieues depuis leur apparition. Non, ce livre est le témoignage de quelqu'un qui a grandi dans une cité. Son but n'est ni de donner une vision angélique de la cité, ni d'en donner une vision complètement noire. En 2005, suite aux émeutes qui ont secoué la France entière, Nadhera Beletreche créé le collectif « Racailles de France » pour prendre la parole et répondre aux discours discriminants. Huit ans plus tard, récidive avec un livre dans la même logique.
 
Un ghetto de riches, un ghetto de pauvres

Rôle primordial de l'école

Si en règle générale, le rôle de l'école est essentiel pour un bon départ dans la vie, quand il est question des quartiers dits « sensibles », ce rôle devient vital, l'enjeu devient central : « Pour tous les jeunes qui n'ont pas de réseaux, c'est la seule façon de prendre l'ascenseur social », constate l'auteure. Cette dernière pointe du doigt des problèmes majeurs : « Dans la cité, l'école se trouve  au pied des bâtiments. On y retrouve les mêmes amis, les mêmes histoires, la cité se prolonge dans l'école en quelque sorte ». C'est là que commence la ghettoïsation : « En comparant les résultats du brevet de l'école du centre-ville, mieux fréquentée, avec ceux de l'école dans la cité, c'était frappant. Si les résultats sont médiocres dans cette dernière école, c'est qu'il y a de gros problèmes de discipline et qu'il devient dur d'apprendre là où il y en a le plus besoin. Ce n'est pas parce que les professeurs ne sont pas bons, mais les gens les plus aisés vont à l'école du centre-ville, le reste se retrouve dans l'autre. Un ghetto de riches, un ghetto de pauvres ».
 

Avoir son histoire

« Comme beaucoup d'autres jeunes, j'ai découvert seule (…) : le code de l'indigénat, (…) le massacre de Sétif, les Algériens battus et jetés dans la Seine la nuit du 17 octobre 1961, les zoos humains... » écrit Nadhéra Beletreche. Pourtant, malgré ces trous béants dans l'histoire de France maintes fois signalés, l'auteure reste optimiste quant à une évolution favorable : « Par la force des choses, ça avancera. Il a fallu cinquante ans pour reconnaître la déportation des juifs. Le 17 octobre 1961 a été reconnu cette année par François Hollande. Le 19 mars a été déterminé comme date commémorative pour toutes les victimes de la guerre d'Algérie. Tout ça pousse les écoles à un devoir de mémoire ». Les problèmes liés à l'éducation scolaire occupent une large place dans ce livre, même si l'auteure s'en est plutôt bien sortie, puisqu'elle est aujourd'hui conseillère communication et presse d'un ministre. 
 
Entre les quartiers difficiles et le reste de la population se serait creusée une véritable « fracture linguistique »

La tchatche des banlieue

« kiffe », « zizir », « prendre la confiance », « ne pas calculer quelqu'un », « craquer son slip », « se la raconter », voici un petit florilège d'expressions de la tchatche des cités, comme l'appelle l'auteure. « Elle se nourrit de mots issus des langues de nos parents : le créole, le kabyle, le gitan, le wolof, etc », C'est une langue vivante, voire vivace. C'est pourquoi plusieurs expressions citées précédemment ne sont déjà plus utilisées. Aussi « créative » et « exotique » soit-elle, la tchatche des banlieues n'est pas toujours comprise : « Pour de nombreux spécialistes , entre les quartiers difficiles et le reste de la population se serait creusée une véritable « fracture linguistique » ». S'ajoute à cela l'accent des banlieues, dont Nadhéra Beletreche décrit parfaitement les effets pervers, des signes extérieurs de cité que les habitants des quartiers cherchent à gommer pour pouvoir trouver un appartement, un job ou rentrer en boite...
 
Ce sont toujours des écrivains, des chercheurs qui sont cités. Pourquoi pas des rappeurs ?

Double expertise

Nadhéra Beletreche a donné une forme intéressante à ce témoignage. Tout au long de son livre, elle s'appuie sur des citations de sociologues, d'experts des quartiers. des personnes qui ont passé des dizaines d'années à étudier ces phénomènes, comme Didier Lapeyronnie, Jacques Donzelot et autres. Mais elle s'est également appuyée sur des penseurs du bitume, les griots de la cité les rappeurs. Ainsi elle distille, à chaque début de chapitre, quelques mesures des textes de Disiz, Médine et bien sûr de Kery James, représentant officieux du Val-de-Marne, d'où l'auteure est originaire. Pour cette dernière, c'était comme une évidence : « Dans les livres, ce sont toujours des écrivains, des chercheurs qui sont cités. Pourquoi pas des rappeurs ? C'est ce que j'écoutais quand j'étais jeune. Aujourd'hui je n'ai plus trop l'occasion d'en écouter mais je ne renie pas ! »
 

Peu d'espoir

Malgré le tempérament plutôt optimiste de Nadhéra Beletreche, « Toxi cité » laisse peu de place aux espoirs : « J'étais partie pour appuyer là où ça fait mal, pointer du doigt tout ce qui est insupportable. Les choses sont dures à entendre mais j'aurais pu aller plus loin. J'aurais pu raconter des choses qui font pleurer dans les chaumières. Mais je ne l'ai pas fait » Comme on dit, il n'y a que la vérité qui blesse et ce livre laisse une balafre. Court, incisif, vrai, nul doute que certains lecteurs se remémoreront quelques souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais, en parcourant ces pages. 
 
Le livre se termine sur un appel à être décisif aux prochaines élections : « L'effort accompli pour assurer une meilleure représentation des français issus des cités au sein du gouvernement et à l'Assemblée nationale constitue un premier pas positif. Il doit être poursuivi et amplifié aux municipales 2014. Et pour cela, sans attendre, nous devons nous engager massivement pour changer notre destin ». Vu l'intérêt porté par le gouvernement aux quartiers populaires, les plus grands doutes sont permis...
 
 
 

 

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