
Mouss & Hakim : une mémoire qui peine encore à émerger

Décidément, il est des questions qui peinent à voir le jour. Celle de la mémoire de l’immigration en fait partie ; y compris lorsqu’on la traite par la musique. Et même quand on a en tête d’affiche des artistes connus et reconnus comme Mouss et Hakim. Ces derniers sont en effet les piliers d’un documentaire bouleversant : « Origines contrôlées » (du nom de leur festival, qui a déjà connu 8 éditions à Toulouse).
« Les immigrés n’étaient pas que des bêtes de somme, mais aussi des êtres de chair et de sang. On voulait se réapproprier leurs chansons, c’est un retour de dignité », explique Salah, l’un des quatre frères Amokrane, ému, lors de cette projection spéciale d’un film qui ne verra pas tout de suite le jour, en raison de problèmes de production. Une projection qui a attiré des dizaines de personnes au centre Barbara-Fleury de la Goutte d’Or, un soir de décembre 2011, à l’occasion d’une soirée sur la mémoire de vingt ans de luttes à la Goutte d’Or, quartier populaire et d’immigration, comme le relatait déjà l’Assommoir de Zola en 1876.
« Un regard de père à fils »
En ouverture de la projection, le co-réalisateur (avec Samia Chala), Thierry Leclère précise : « Cette génération a une histoire, une culture, elle a mené des luttes, syndicales notamment, Tout le contraire de l’immigration du dessinateur Plantu, que l’on voit toujours de dos, muette. C’est un film sur la transmission de la mémoire, un regard universel, de père à fils. » Et les fils Amokrane d’expliquer alors comment le projet Origines contrôlées a émergé : « On se demandait quelles chansons du répertoire, parmi ces centaines de chansons de l’immigration, on pouvait reprendre » raconte Mouss. « On s’est dit : on a qu’à faire les chansons préférées de papa, on n’est pas là pour faire une encyclopédie ! » Et de poursuivre : « Notre père, c’est un ouvrier, sur les émotions, c’est un peu dur, c’est pas mal contenu, sourit Mouss. Quand il écoute la musique, il devient un mélomane, pas un analphabète ! Tous les jours, il y avait des éclats de rire quand il écoutait ça, mais parfois aussi ça pouvait être très solennel. Tu n’avais plus le droit de faire du bruit quand il chantait Algérie, mon beau pays, de Slimane Azem ».
Musique thérapeutique
« Des gens m’ont dit, après nos concerts : merci, vous avez éveillé quelque chose d’enfoui en moi », assure Hakim, prenant la parole à son tour. « D’autres nous ont dit : Je vous remercie au nom des anciens, on est fiers de vous ». « Ce qu’on fait, c’est thérapeutique ! » jure le plus discret des chanteurs de Zebda. Sans doute. Mais certaines scènes restent poignantes, et le public en a la gorge nouée, que lui ou ses parents aient vécu l’immigration, l’exil ou non. Ainsi de ce que Mouss relate, suite à une rixe d’enfants, dans sa jeunesse, suite à laquelle le père du gamin était venu le voir, croyant bon de lui rappeler qu’il « avait fait le djebbel ». « Avec tout ça, avec les contrôles policiers, on s’habitue au fait d’être suspect. » Et le chanteur de conclure, face caméra, baissant les yeux, la voix soudain étranglée : « Après, on a la capacité de dépasser ou pas. » Face au public parisien, ce soir-là, qu’il poursuit, pédagogue et affirmatif : « L’artiste permet de faire exister, de libérer une émotion, plutôt que de la contenir. Et puis, n’en déplaise à certains, ce sont des chansons de France : elles ont été écrites ici. »
Erwan Ruty