Mais au fait, pourquoi on marche ?

Le 23-12-2013
Par Vincent Jolly / CFPJ

Au XXe siècle, les mouvements de protestations à avoir engagé un marche pour véhiculer leurs idées ont été nombreux. Mais pourquoi marcher ? Quelle différence avec la manifestation ? A l’occasion de l’anniversaire de celle "des beurs", il faut s'interroger sur la symbolique de la marche.

 

Quoi de plus normal pour l'homme que de marcher ? Pour nous qui exécutons nos premiers pas vers l'âge d'un an, mettre un pied devant l'autre pour se déplacer d'un point à un autre est l'une des choses les plus naturelles qu'il nous soit donné de faire, comme de respirer ou manger. Après tout, on peut marcher à quatre pattes, marcher dans, ou sur quelque chose. On marche avec. Parfois contre. Les affaires marchent aussi, tandis que les bruits courent. Mais toutes les enjambées se valent-elles ? De celle du quidam qui va faire ses courses – au marché – à celles de Gandhi, de Martin Luther King ou bien des Beurs de 1983, n'y a-t-il qu'un pas ?

 

UNE DISCIPLINE OLYMPIQUE DEPUIS 1932

La marche, on la pratique beaucoup trop. Pour tout et n'importe quoi. Depuis 1932, c'est même une épreuve olympique. Thomas Green a été le premier homme à remporter la médaille d'or du 50 kilomètres marche. En 4 heures, 50 minutes et 10 secondes. Il marchait pour la gloire.

Le premier grand amateur de la marche, c'était Jésus. En grand précurseur d'une mode millénaire, le Christ est rentré dans Jérusalem en marchant. A dos d'âne, ergoteront certains, certes, mais ses pieds touchaient presque le sol. N'est pas Christ qui veut, et puis il y avait des gens qui marchaient, vraiment, à ses côtés. Ses motivations ? Plus ou moins les mêmes que les Beurs de 1983, toutes proportions gardées. Lutter pour la tolérance et l'égalité entre les peuples.

La marche a été érigée comme le symbole d'une contestation non violente et pacifique

Le verbe marcher nous vient du francique markôn (litt. Marquer le pas) lui même dérivant de marka qui signifie « frontière ». Amusante coïncidence puisque bien souvent, on marche pour franchir, repousser, supprimer les frontières. Les Beurs l'ont fait en 1983, mais ils ne faisaient que s'inscrire dans une longue suite de grands randonneurs. C'est qu'en plus d'être un moyen de locomotion fort pratique, accessible et peu coûteux, la marche est depuis longtemps une marque de protestation.

 

LA MARCHE, PLUS QU'UNE SIMPLE MANIFESTATION

« Dans l'histoire de la désobéissance civile, et particulièrement celle du XIXe et XXe siècle, la marche a été érigée comme le symbole d'une contestation non violente, pacifique », explique Sylvie Ollitrault, chargée de recherche au CNRS et auteur aux Presses de Sciences Po d'un ouvrage sur la désobéissance civile, « Contester ». Pourquoi ? « La marche, c'est la réappropriation d'un espace dans lequel on a le droit de vivre et de se déplacer au regard de tous. » Quelle différence avec une manifestation ? « La marche est beaucoup moins codée. Elle évolue sur un temps beaucoup plus étendu et suscite de facto l'attention, médiatique comme politique, plus longtemps. » Certains voient aussi dans la marche un signe de ralliement : elle invite à la rejoindre. « En traversant un espace, on va à la rencontre des gens. " Manifester n'est pas marcher. Alors pourquoi certains choisissent l'un plutôt que l'autre ? « Bien souvent, les marches sont faites par des minorités ayant été reléguées à des espaces de confinement. » En dépassant ces espaces, elles prouvent leur volonté – et leur possibilité – de s’en affranchir.

Si la marche est non-violente, elle n’en reste pas moins une force en mouvement. En tant que masse plus ou moins imposante, elle est la déclaration d’une puissance potentielle, comme les marches militaires. « Mais on ne peut pas parler d’intimidation, précise Sylvie Ollitrault. Elle proclame plus qu’elle menace. Elle établit un rapport, physique certes, avec une opinion ou un gouvernement qui peut y voir par exemple un poids électoral. »

La marche est beaucoup moins hostile que l'occupation d'un endroit (...) elle crée moins de tensions

La crise des subprimes de 2007, l’explosion de la bulle immobilière spéculative et le séisme financier mondial qui a suivi a entrainé sa vague de protestation. En tête, Occupy Wall Street, qui a voulu dénoncer les abus des places boursières et du capitalisme. Au lieu de marcher, de Los Angeles à New York par exemple, le mouvement a choisi de camper dans le sud de Manhattan, le quartier financier de la ville. Quelle différence entre marcher et camper ? « La marche est beaucoup moins hostile, et beaucoup moins risquée que l’occupation d’un endroit donné, interprète Ollitrault. En paralysant une place, ou une rue, on crée invariablement des tensions avec les forces de l’ordre par exemple. » La marche proteste tandis que le sitting s’oppose ? « Plus ou moins. Je pense que plus un mouvement est radical, plus il se dirigera vers l’occupation d’un lieu, qui est beaucoup plus violent qu’une marche. »

« La marche s’accompagne aussi d’une notion d’effort physique qui prouve un engagement, une croyance en une cause. » La pénibilité de la tâche est alors évocatrice d’une volonté de convaincre l’opinion. On retrouve alors dans les marches de protestation des aspects du pèlerinage religieux. Comme cet indien connu sous le nom de Lotan Baba, qui a choisi de rouler sur lui même sur plus de 4000 kilomètres… Aucune revendication, sauf celle de vouloir atteindre l’illumination totale.

 
 

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