
Littérature urbaine ou sang des villes ?

« Je suis l’âme du bitume, littérature urbaine. L’égratignure des rues et l’écriture des vils. Celle des esclaves devenus rois par la plume. » Ce manifeste, sorte d’haïku à la Spartacus jailli du stylo de Khalid el Bahji, définit en un éclair fulgurant une épopée littéraire émergente et bouillonnante, qui suinte des pores du béton armé des banlieues. Et, comme le béton, cette épopée aussi est armé ; armée d’une plume, mais une plume bien calée entre les dents.
Le 29 avril dernier, et pour la deuxième fois, une poignée d’écrivains et de rappeurs se réunissait dans un bar branché de Ménilmontant, Paris : le Babel café. Flottait là ce petit air de liberté et de diversité culturelle qui régnait aux débuts du slam, au Club-club, fin des années 90 (donc en un temps que les moins de vingt ans ne peuvent qu’à peine connaître). Bohême littéraire, dents en or, mocassins endimanchés, barbes hirsutes d’anarchistes repris de justice et sans papiers, petites lunettes d’intellos, coupes afros et gueules cassées d’éducs spés s’y côtoyaient dans l’esprit fraternel de l’underground en marche vers le bout du tunnel. On y lut des odes à l’amour de rappeurs sortis de la déprime qui faisaient leur coming out de lovers, des épopées centenaires et cinglantes mais véridiques d’êtres humains empaillés, des extraits de Schopenhauer, oui, le philosophe abscons, des textes écrits par des défenseurs des minorités indiennes du Canada, bref un improbable capharnaüm littéraire très loin des salons mondains de Saint-Germain-des-Prés, mais très près des Apaches et surréalistes du début du 20è siècle. Mohamed Razzane, Hafed Benotman, Rachid Santaki et combien d’autres y déclamèrent leurs textes à partir de pages jaunies, de feuilles arrachées, et même de téléphones portables ; tout support étant bon pour s’abreuver l’esprit de mots, le tout entre deux verres de mojito et quelques scratchs de DJ Jacko, dopé par la verve de l’inénarrable MC Jean Gab’1… Un grand big up donc aux organisateurs, le label indé Offensive records et le site Ornote.com ainsi que de radio FPP, sous les auspices du slogan tout maoïste « Notre révolution sera culturelle », ce qui promet un avenir radieux en plein d’allégresse. D’autant plus que cette cérémonie se faisait, selon les organisateurs (XV Blackara), dans le but de « favoriser l’intégration culturelle », et avec pour principe le « faire avec » (car on le sait : « Faire pour nous mais sans nous, c’est faire contre nous »).
Prochain épisode de la série : le 30 mai à Lyon, « Littérature urbaine, droit de cité !», un débat organisé par Banlieues d’Europe, dans ses locaux. En présence de la lunaire Kaoutar Harchi (auteure d’un véritable OVNI, « Zone cinglée », chez Sarbacane) et de Romuald Fonkoua, directeur de l’institut de littérature française de Strasbourg.
Erwan Ruty