
Le rap c’était mieux avant ? Ok. Et maintenant on fait quoi ? - Ressources Urbaines

Tendez l’oreille dans le bus ou dans le métro… C’est certainement un extrait du dernier album, déjà disque d’or, de la Sexion d’Assaut qui grésille dans ce téléphone et qui perturbe votre lecture. Les ghettos blasters se sont transformés en portables, les jeunes ne veulent pas êtres branchés, ils sont déjà connectés. Bien loin de Guru (RIP), l’ex acolyte de DJ premier et de ses casquettes noires New York, le jeune hiphopeur arbore une crête sculptée au gel ultra fixant, il porte un sweat à capuche rose et a troqué ses Nike air Jordan contre une paire de baskets Gucci chaudement débarquées d’un souk marocain. Autant dans le style vestimentaire que dans la sonorité et l’écriture, le hip hop est en pleine mutation. Un triste scandale pour certains, une joyeuse révolution pour d’autres. "Le rap c'était mieux avant" ou la résurrection numérique de la bataille d’Hernani.
Comment un slogan d'apparence simple, police d'écriture des plus basique, lettres blanches, fond noir, flockées sur un teeshirt en coton, a réussi à mettre la scène rapologique hexagonale et ses commentateurs en branle? Rappeurs, auditeurs, médias, ont tenté de participer à l'autopsie d'un corps (prématurément?) déclaré mort par Booba il y a huit ans déjà : "Que le hip hop français repose en paix".
Les partisans du « c’était mieux avant » regrettent cette époque où le rap français était considéré comme un genre nouveau, où les acteurs de ce milieu défendaient une éthique, une école et rappaient seulement par passion. A croire qu’en 97 les albums de rap étaient offerts, que les labels se considéraient tous comme des contre-pouvoirs et que la médiatisation d’un groupe ne se faisait pas par la surexposition et un bon plan com’. N’oublions pas que des milliers de français ont découvert le rap grâce au Mia d’Iam et au titre Ma Benz, mythiques certes, mais bien loin de la virulence d’un Qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu ? C’est cette virulence que l’on reproche à nos contemporains. Le rap français d’aujourd’hui est beaucoup trop violent immature et nihiliste… Bien sur que non. C’est simplement une voix qui comme il y a dix ans, souffre de ne pas être assez entendue et qui souhaite s’émanciper en s’attribuant le rôle le plus négatif possible dans un pays où « les racailles » portant des « casquettes à l’envers » peuvent faire la une de nos quotidiens nationaux sans que personne ne souhaite leur ôter ce privilège.
Les plus ouverts d’esprits qui n’écoutent « pas spécialement du rap » n’ont pu passer à côté du dernier album d’Oxmo Puccino, les plus jeunes se sont identifiés au malaise d’Orelsan, le public ébloui par les bijoux et autres inspirations outre atlantique se satisfont pleinement d’un Booba ou de la Fouine et personne (je l’espère) n’a oublié que La Rumeur reçoit encore des courriers du ministère de la Justice. C’est ce que l’on appelle de la diversité. Même la France profonde a son Kamini ! La scène rap francophone est riche de personnalités qui se refusent toute concession sur le discours et abreuvent les bacs de disques aux contenus acides et réalistes qui n’ont rien à envier « au rap d’avant ». Plutôt que de vouloir anéantir la culture du passé, ils prétendent s’en inspirer pour mieux l’enrichir. On ne compte plus les excellentes sorties d’album sur cette année 2010, entre autres, Despo Rutti, Hocus Pocus, Casey, Salif, Rocé…
Le rap français avance, il s’invite sur les plateaux de télévision et milite également pour des causes nobles, là où les caméras ne se déplacent pas. Les méconnus - pour le moment - du grand public comme Canelason accompagnés du collectif Apash, s’engagent depuis 6 ans au Guatemala pour porter soutien à un foyer de recueil de jeunes filles des rues indiennes et des campagnes. Leur objectif est de les éloigner de la prostitution. Tous les bénéfices du projet (cd+concerts) sont reversés à leur association.
Face à cela nous avons des équipes qui « se montent » et qui se « démontent » aussi rapidement. Un rap insipide, dénué de sens qui pareil à un mouchoir de poche ne s’utilise qu’une fois (voire deux pour les plus résistants). Ces fabricants de musique jetable sont largement soutenus par une industrie solide qui redouble d’efforts et d’imagination pour offrir, contre quelques euros bien sur, un produit à peine comestible et facilement digérable. A quand nos star’ac du ghetto ? Pour Mc Jépeur2rien votez 1 pour LadyMDR votez 2… ?
N’accusons pas la modernité en nous drapant de sagesse nostalgique. Sur le plan technique, force est de constater que les artistes ont aujourd’hui énormément de possibilités pour élaborer leurs projets. Les horizons s’élargissent et permettent ainsi aux artistes d’exploiter un maximum leurs influences musicales. Sampler une belle boucle de Miles Davis ne suffit plus, il faut y ajouter une belle voix, quelques bruitages ingénieux que l’on ne trouve que les soirs d’insomnie. Ajoutez à cela des prouesses textuelles, impressionnantes de créativité, des thèmes qui se veulent plus larges car malgré la sous exposition certains rappeurs français tiennent des discours de cinquantenaires. Les projets sont là, à nous de tendre l’oreille, dans le bus, dans le métro… ou d’aller à leur rencontre: dans le 94, Créteil, Pejmaxx du Label Rouge, à qui on doit le fameux t-shirt, nous accueille dans son studio d’enregistrement et nous propose sa version des faits.
Salam Pejmaxx. Tu peux nous retracer rapidement ton parcours artistique ?
Salam. Premier album, Porte parole en 2008. Des apparitions sur diverses mix tapes, compiles… Le deuxième album est bouclé au niveau artistique, il arrive bientôt normalement. Le premier extrait, « Enfant de la république » est déjà en ligne, accompagné d’un clip.
Tu peux nous parler un peu de ce morceau ?
Il fait référence au malaise de toute une génération en France. Contrairement à ce que certains ont pu penser, je n’ai pas voulu surfer sur la vague « identité nationale ». C’est un titre qui a plus de 2 ans. C’est simplement un constat assez sombre du rapport entre Immigration et République en France. Je voulais vraiment pour mon album « Enfant de la république » donner un sens large à ma musique et réunir un maximum de personnes autour d’un discours, toutes confessions et origines confondues. Les drapeaux exhibés dans tous les sens, juste pour le spectacle identitaire, c’est un truc qui m’énerve. Les types mettent pas les pieds dans leurs pays d’origine et lorsqu’ils le font, nombreux sont ceux qui dorment à l’hôtel loin des réalités du quotidien. A la fin du clip « Enfant de la république » je tiens le drapeau français et iranien. C’est vraiment un acte symbolique. Je fais très rarement mention de mon pays natal dans mes textes. Cela fait 10 ans que je ne suis pas allé en Iran, pour raisons politiques, je ne vais pas parler de ce que je ne connais pas. J’ai grandit là et je me sens français et ça ne m’empêche pas d’être fier de mes origines.
Revenons au rap, qu’est ce que tu penses du slogan « Le rap c’était mieux avant » ?
Je suis d’accord avec. Mais avant tout, faut rappeler que tout ça, c’est rien qu’une polémique... Beaucoup de gens ont mal compris cette phrase. Dire que le rap c’était mieux avant ne veut pas dire que le rap est nul aujourd’hui. Cela veut dire qu’avant, et c’est une opinion très personnelle le rap touchait beaucoup plus. Je ne parle pas seulement de rap, je pense aussi à tout ce qu’il y a autour, au niveau image, marketing, médias... Aujourd’hui tu te présentes en radio la première question c’est : « qui produit ? Qui assure la promo ? Qui finance ? C’est qui ton grand ? ». On parle plus de musique.
Le tee-shirt qui a (re)lancé la discussion du « Le rap c’était mieux avant », tu sais d’où il vient ?
Cette réflexion elle n’appartient à personne en particulier, en fait, beaucoup de monde la partage ces dernières années. Mais c’est Label Rouge qui a sorti le tee-shirt. Dédicace au passage à Jeeklow qui a lancé l’idée et qui bosse actuellement avec Label Rouge.
A ton avis, à qui pourrait être destiné le message du teeshirt ?
Aux rappeurs eux même qui se formatent sans gêne ! On entend beaucoup de rappeurs critiquer les médias mais, si la situation est catastrophique, c’est avant tout de notre responsabilité. Pour être franc, Skyrock dicte la ligne de conduite, c’est pas une exclu. Et c’est parce que les artistes acceptent de se mettre à genoux et se plient à des exigences purement commerciales que la machine n’est pas prête de s’arrêter. On se prosterne devant des gens qui au final ne sont pas grand-chose sans nous. Lorsque l’on arrivera avec plus de rigueur artistique en refusant un chèque par respect pour soi même et pour le public, peut être que ça se passera mieux. Mais aujourd’hui c’est pas le cas. Si l’industrie du rap était un pays, elle serait à l’image de la France et du rapport qu’elle entretient avec ses immigrés. « Ferme ta gueule c’est comme ça, si t’es pas content dégage ».
C’est la situation que Médine décrit assez clairement avec le titre « candidat libre» en affirmant : le rap est notre.
En écoutant ce morceau j’ai cru qu’il parlait de moi, tellement l’arnaque à la radio est flagrante ! On a besoin de radios, de magazines, de sites internet… Mais si il n'y a pas de matière à diffuser, si les artistes n’assument pas leur rôles, ça sert à rien, vaut mieux avancer dans l’ombre et faire la musique que l’on aime.
Comment arrives-tu à concilier les deux (fond et forme) ?
En bossant avec Soulchidren par exemple. Ce sont des producteurs talentueux et je les considère comme des musiciens au sens propre. Ils font leur part de travail et moi je fais la mienne. D’ailleurs ce sont eux qui m’accompagnent sur les deux albums. Leur rigueur au niveau de la composition est la même que celle que je m’impose pour l’écriture. Tu remarqueras qu’ils sont toujours mentionnés sur les pochettes d’albums pour bien marquer le travail d’équipe.
A ton avis quel effet a eu Internet sur le rap ?
J’ai commencé à 12, on avait un casque en guise de micro et pour nous c’était déjà énorme ! C’était il n'y a pas si longtemps de ça si tu regardes bien mais le décalage avec aujourd’hui est énorme C’était pas donné à tout le monde d’enregistrer un truc propre. Maintenant, en 20 secondes tu télécharges deux trois logiciels, un plugin et t’es lancé. Au final ça donne plus de productivité donc malheureusement, plus de « déchets » vu qu’il y a un risque énorme à tomber dans la facilité. Mais ça a apporté ses bons trucs. Tu veux faire un morceau avec un suisse, et t’as pas les moyens de te déplacer, tu peux toujours l’enregistrer de ton coté et arriver à un résultat efficace. Il y a des Myspace, des blogs, des sites et tu trouves de bons trucs. Dans notre cas par exemple on a pas eu trop de difficultés pour poster nos clips et nos sons sur des sites des rap. On a aussi rencontré des gens sérieux… c’est à double tranchant !
Merci pour l’accueil, une dernière remarque à propos du prochain album ?
Mes albums sont finis longtemps avant leur sortie c’est pas un résumé du Parisien ou une énumération de faits divers. Les expériences de vie se partagent, les faits divers périment. Le jour où j’arrive plus à dire un vrai truc dans mes textes, j’arrête. Si y’a pas un message derrière ça sert à rien. Je n’ai pas que le rap dans ma vie. Merci à toi. Salam.
Pejmaxx-Soul Children/ Enfant de la République / Musicast/ Label Rouge
Salim Ardaoui - Ressources Urbaines