« Le frichti de Fatou » : reprendre goût au théâtre

Le 26-04-2013
Par Charly Célinain

Mêler traditions, sexualité et gastronomie. Ce mélange, à première vue improbable, a donné une pièce pimentée intitulée « Le frichti de Fatou » créée en 2006. La comédienne Faïza Kaddour porte ce personnage haut en couleurs, qui parle avec humour de la sexualité des deux côtés de la méditerranée tout en mijotant un frichti sur scène.

 
« Le frichti est une tambouille que l'on prépare sur le pouce avec les ingrédients qui nous tombent sous la main. Le terme « frichti » vient du mot allemand « Frühstück » [petit déjeuner, ndlr]. C'est un mot utilisé couramment en Alsace et dans le Nord. Ma mère est franc-comtoise » confie Faïza Kaddour. Lorsque le directeur de la compagnie Tombés du ciel, Jean-François Toulouse, lui propose une pièce sur la sexualité, la comédienne franco-algérienne y voit l'occasion d'aborder le sujet en utilisant les deux faces de sa culture. Mélange de cultures, mélanges d'aliments, le personnage de Fatou additionne les ingrédients, comme les événements de sa vie, qu'elle fait mijoter sur scène. 
 
Nous ne parlions pas de sexualité dans ma famille algérienne
 

La sexualité

Le personnage de Fatou raconte sa vie, de son enfance à sa vie adulte. La question de départ posée par la petite Fatou à ses parents en Algérie et qui lance toute la réflexion du spectacle est la suivante : « Comment fait-on les enfants ? ». Faïza Kaddour évoque ses souvenirs par rapport à cette question : « Nous ne parlions pas de sexualité dans ma famille algérienne ». Ce monologue dramatique est très critique. Pour cette pièce, la comédienne dit s'être « inspirée de comédiens comme Philippe Caubère ou encore Fellag. Ce dernier a une vision très critique et en même temps très amoureuse de l'Algérie ». Le spectacle est donc aussi l'occasion d'aborder des thèmes comme la condition de la femme, l'intégration mais avec beaucoup d'humour et de légumes...
 

La vie c'est comme un frichti

En même temps que Fatou raconte ses aventures, elle cuisine. Tout au long du récit, le personnage utilise des métaphores culinaires. Chaque nouvel événement ajouté à sa vie étant figurer par un nouvel ingrédient venant compléter le frichti. La vie c'est comme un frichti : « J'aime beaucoup les oignons. Ca ressemble aux relations entre les hommes et les femmes. Tu pleures beaucoup et tu te régales après. Sauf qu'avec les fitnas (femmes très belles qui font tourner la tête des hommes et les abandonnent sans moelle dans les os) c'est le contraire : tu te régales d'abord et tu pleures après » selon les termes épicés de Fatou. Petit à petit, à mesure que cette dernière trouve des réponses à ses interrogations, son plat (ou sa vie) qui a commencé comme un frichti se transforme en Tajine. Plat qui est partagé avec le public à la fin de la pièce. 
 
La formation de l'univers, des étoiles et des planètes à grand renfort de pains aux raisins, cookies, crèmes dessert

Sciences et nourriture

« Sur ce long monologue, je craignais de ne pas trop savoir quoi faire de mes mains » avoue Faïza Kaddour. Mais le choix de mêler théâtre et nourriture n'est pas si anodin. Pour la compagnie Tombés du ciel, une des problématiques de départ était de savoir comment intéresser les gens aux sciences. Dès 1999, la compagnie met en scène « La recette de l'univers », une pièce expliquant la formation de l'univers, des étoiles et des planètes à grand renfort de pains aux raisins, cookies, crèmes dessert et autre saucisses-comètes. « Il y a eu un deuxième spectacle avec des bonbons. J'ai fait une pièce où je faisais un gâteau au chocolat, qui était comme une madeleine de Proust » nous dit Faïza Kaddour. « En Occident, nous pouvons nous permettre ce genre de mise en scène, il y a de la nourriture en abondance, ce n'est pas tabou. Chez les touaregs nous ne pourrions pas, de la nourriture, il n'y en a pas ! » note tout de même la comédienne. « Le frichti de Fatou » est donc un spectacle qui s'inscrit dans la continuité du travail de la compagnie. 
 

Une pièce conviviale

« « Le frichti » donne envie de faire des soirées autour, de continuer le repas commencé sur scène. C'est un spectacle qui crée du lien, autour duquel interviennent des associations » raconte Faïza Kaddour. La nourriture et les rencontres créées autour de la pièce, apportent un côté convivial permettant aussi d'atténuer les problématiques lourdes abordées dans le spectacle : « Nous parlons de viol, de déracinement, de condition de la femme (…) c'est trash mais rendu drôle par la personnalité et la légèreté de Fatou. Après les représentation, il y a souvent une possibilité de prise de parole. C'est intéressant d'échanger avec des personnes qui ont vécu les situations évoquées dans le spectacle ». Aller au théâtre puis discuter de la pièce autour d'un bon repas préparé sur scène, c'est cet ensemble qui redonne le goût d'aller au théâtre.
 
C'est du théâtre, mais c'est pas chiant !
 

Le goût du théâtre

« Quand on a joué dans une salle des fêtes, nous avons pu avoir des commentaires comme : « C'est du théâtre, mais c'est pas chiant ! » » relate Faïza Kaddour. Cette dernière déplore la mauvaise image du théâtre et espère redonner envie aux gens d'y aller : « Le théâtre n'est plus populaire. Les gens n'osent plus y aller. Il faut donc que nous allions là où les gens ne vont pas au théâtre. Nos pièces sont pédagogiques, elles ne sont pas conceptuelles ». Rapprocher le théâtre de la base populaire. Changer les mentalités, essayer de changer cette image élitiste qui colle au rideau du théâtre, la compagnie Tombés du ciel a encore beaucoup de travail.
 
« Le frichti de Fatou » allie une problématique sérieuse, une pincée d'humour et un plat. Une recette conviviale qui pourrait permettre de démocratiser le théâtre et plus simplement d'intéresser un plus large public à des sujets délicats.
 
 

Le frichti de Fatou (Cie Tombés du ciel)

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...