Le cinéma se met à l’heure des quartiers

Morad Kertobi, du Cnc
Le 16-09-2015
Par Erwan Ruty

Le 3 septembre se tenait une rencontre « Habiter et filmer la ville dans le Grand Paris » en marge du festival de courts-métrages Silhouette, avec le Cnc. Objectif : « Encourager le dialogue entre différents acteurs institutionnels, professionnels et associatifs ». On y a en effet croisé beaucoup d’associations de quartier qui donnent leur chance aux réalisateurs en herbe.

 

« Il faudrait faire une couveuse, une maternité audiovisuelle pour irriguer le paysage audiovisuel qui ne l’est pas par cette énergie, ces idées ». Oriane Amalric voudrait bien que son projet, « Pangée network », soit cette couveuse de projets venant des quartiers qui ne voient jamais le jour, parce qu’ils n’ont pas les bons réseaux. Les réseaux, on le sait, sont tout dans le cinéma. Ou presque. C’est pourquoi le Cnc s’est lui-même, par l’entremise de Morad Kertobi, décidé à mener ce travail pour présenter des structures qui voudrait accompagner les projets, celles qui les produisent depuis ces mêmes quartiers, et celles qui pourraient les diffuser, ou les soutenir. Un travail de fond que d’autres structures se sont employées à faire, comme la JJPI (Journée des jeunes producteurs indépendants) avec Laurence Lascary notamment.
 

Cinéma entre voisins

 
Des projets passerelles, il y en avait à foisons ce matin-là : le « Cinéma des voisins » d’Aubervilliers par exemple, qui vise à faire tourner en une journée un film (casting + écriture + tournage = montage !) par des amateurs tous issus d’un même quartier, afin surtout de créer du lien. « Permis de vivre la ville » est dans la même logique : son projet le plus connu, « Le lexik des cités » a défrayé la chronique en 2007 (neuf maisons d’éditions ont voulu publier leur livre). Il s’agit bien d’un livre illustré par un dessinateur hors-pair, qui voudrait maintenant passer la vitesse supérieure, avec un film d’animation : « On est passé d’un savoir-faire graf à un savoir-faire souris », résume Marcela Perez, la coordinatrice de ce nouveau projet. Un projet dans la continuité du premier qui a notamment permis de créer une dynamique entre un quartier, des familles, une structure…
 

Valoriser le patrimoine des quartiers

 
« Filmer la ville » veut « produire des films réalisés sur un mode participatif qui ont pour objet la valorisation du  patrimoine des quartiers populaires ». Affirmant avoir formé 250 participants aux techniques audiovisuelles, son prochain objectif est d’en former 50 « à la valorisation du patrimoine avec l’objectif d’être les guides-ambassadeurs des quartiers populaires pendant l’Euro 2016 » (des « greeters » précise le site Internet de l’association La Toile blanche qui mène ce projet, c’est-à-dire des habitants bénévoles qui accueillent les touristes pour faire découvrir et visiter leur quartier). Travaillant à Toulouse, ainsi que sur les territoires de Est Ensemble, puis bientôt Plaine Commune, « Filmer la ville » a déjà plusieurs films très courts à son actif (toujours moins de 5mn).
 

Des passerelles entre les îles

 
L’un de ses premiers opus, « La passerelle Tabar », du nom d’un quartier très enclavé de Toulouse, mais relié par une passerelle à l’université du Mirail, donne une idée de son approche : « Un prof faisait un cours sur la notion de frontière à l’université. Or, on s’est rendu compte que plein de gens du quartier d’à côté ne franchissaient jamais la passerelle qui le reliait à l’université. Et d’autres qui s’installaient dans un îlot complètement fermé, l’Université du Mirail, pour parler de frontière ! se souvient la réalisatrice Audreu Espinasse, qui a conduit ce projet. On a fait un film de cette passerelle. C’est un échange entre jeunes du quartier et ceux qui lui sont étrangers. Les jeunes filment des gens qui n’ont pas passé le frontière, et inversement. Les uns et les autres, sans langue de bois, expliquent pourquoi ils ne veulent pas franchir cette passerelle ».
 

Dépasser le formatage des idées et des parcours

 
L’accès à la caméra est une chose. La diffusion des réalisations en est une autre. C’est pourquoi le Centre d’animation Louis Lumière (à Paris, Porte de Bagnolet), qui dispose notamment d’une salle de projection, propose aux réalisateurs associatifs « d’investir les lieux », en particulier à l’occasion de son Festival du film d’habitants. De même Pangée network voudrait soutenir 10 projets, par exemple en réalisant des trailers. « On fait trop souvent confiance aux seuls dossiers » dans le milieu du cinéma, reconnaît Oriane Amalric. Du coup, ça provoque un formatage des idées, des parcours, des classes sociales. C’est comme au Cfj [l’école de journalisme, Ndlr], 60% des élèves viennent de Sciences-Po… ».
 

Le scénario fait-il le réalisateur ?

 
Une problématique qu’a vécue l’Union sociale pour l’habitat, qui organise un concours de courts-métrages sur le « vivre ensemble » afin de porter une image plus dynamique sur l’habitat social depuis 4 ans (« Hlm sur cour(t) »)*. Et qui a constaté que parfois les scénarii reçus étaient insuffisants pour juger de la qualité d’un(e) réalisateur(trice), de son envie, de son regard… Et a décidé de recevoir certains des scénaristes avant de juger définitivement de la pertinence de leur projet de film. Un parti-pris particulièrement valable dans les quartiers populaires, dont les jeunes réalisateurs sont nés avec le numérique et avec l’image, alors que les réseaux valorisant l’écrit leur ont trop souvent fermé leurs portes .
 
 
Autant d’initiatives qui se veulent passerelles, des « chaînons manquants, des boîtes à outils pour aider, financer ces projets » (Oriane Amalric), entre le milieu professionnel et celui des amateurs. Les premiers se rendant compte de l’énergie et de la créativité des seconds, qui n’ont que peu accès au milieu du cinéma. Une perche leur est dorénavant tendue.
 
 
*Un festival ouvert en particulier aux réalisateurs issus des quartiers. Appel à scénarii ouvert jusqu’au 26 novembre 2015 pour la 4ème édition.
 
 
 
 
 
 

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