« Le Chemin Noir », mémoires d’immigrés lorrains
De la Lorraine industrielle de son enfance (dans les années 60-70) à celle d’aujourd’hui, le réalisateur Abdallah Badis se remémore la vie des travailleurs immigrés de la sidérurgie.
Loin des Césars, des Oscars et films muets à succès, les « petits » films tentent de faire entendre leur voix. C'est le cas de la réalisation d'Abdallah Badis : « Le Chemin Noir ».Ce quinquagénaire d'origine algérienne a filmé son retour sur les lieux de son enfance, en Lorraine. En retraçant son parcours personnel, c'est une partie de l'histoire de l'immigration maghrébine dans cette région qu'il dépoussière. Dans ce documentaire, le réalisateur introduit des éléments de fiction ainsi que des images d'archives. Le constat est saisissant. L'effervescence industrielle a laissé place à des usines désaffectées, le calme et la verdure ont succédé au bruit des machines et à la fonte du métal.
De retour sur ses terres
« Le Chemin Noir » c'est le chemin qui conduisait le jeune Abdallah à l'usine dans laquelle son père travaillait. Aujourd'hui, en arpentant de nouveau ce chemin, le réalisateur se remémore les conditions de travail auxquelles lui aussi a été soumis. Abdallah Badis se rappelle ainsi de son premier jour de travail dans une aciérie, en 1972. Il avait 18 ans : « Les arabes condamnés à rester en bas dans la crasse de l'usine, menacés par le métal en fusion qui se déversait au-dessus d'eux et par les wagons chargés de lave qu'ils accrochaient. ». De retour sur « ses terres », au gré des rencontres, il étoffe son récit personnel en recueillant des témoignages de cette époque.
Au début du film, le réalisateur aide le conducteur d'une 404 (ancien modèle Peugeot) en panne sur le bord de la route. Après avoir amené le véhicule près d'un ensemble d'habitation, ils vont tenter de le réparer. Autour de ce modèle de collection, de nombreux voisins se succèdent et livrent leur témoignage du passé. Un peu comme Robert Zemeckis et sa « DeLorean » (voiture qui sert à voyager dans le temps dans le film Retour vers le futur), Abdallah Badis utilise cette 404 tout au long du documentaire pour faire des allers-retours entre passé et présent.
Triste constat
« Je suis arrivé à votre âge, à 17 ans » dit un septuagénaire à trois jeunes lorraines incrédules, avant de poursuivre : « Y'avait pas de foyers, on vivait dans les bois ! ». Un autre se souvient : « Je suis arrivé en Moselle le 10 octobre 1958, j'avais 13 ans ». Ce témoin avait rejoint son père et laissé sa mère et ses frères en Algérie. Très vite il passe de la nostalgie au fatalisme : « Un jeune aujourd'hui, quand il sort de l'école, il va chercher du travail, mais quand on ne travaille pas on n'a rien ! », puis poursuit : « Pendant le match Algérie – France, on siffle la marseillaise, pourquoi ? Tunisie – France, ce ne sont pas les jeunes qui sortent de la Tunisie (qui sifflent), ce sont les jeunes d'ici parce qu'ils ne sont pas contents. ». Triste constat pour cet homme qui explique qu'à l'époque l'intégration passait par le travail. Toutefois, tous ne partagent pas cet avis. Un troisième témoin semble beaucoup plus amer, expliquant qu'il ne pouvait pas rester en France pendant la guerre d'Algérie : « Moi j'ai fait la guerre d'Algérie. L'Algérie c'est mon drapeau ! ».
Des propos et un film qui ont une résonance encore plus particulière en cette année du cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie. « Le Chemin Noir » sortira à la mi-mai dans une unique salle parisienne et quelques autres en France. Plusieurs projections seront suivies d'un débat avec le réalisateur. Présenté par l’AFASPA (Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique), le film sera diffusé en avant-première pendant la semaine anticoloniale, le 5 mars à 20h au cinéma La clef (métro : Censier-Daubenton).
Charly Célinain
