
« La vie de rêve ». Quand Pass’ Pass’ la Cam’ revisite Scarface

On a trop souvent tendance à ne voir en Scarface qu’une apologie de la violence et de la criminalité. Hicham Tragha, de Pass’ Pass’ la Cam’, donne un autre point de vue sur ce film qui a beaucoup marqué ce jeune réalisateur dans sa démarche.
« Quand on m’en parlait au collège ça ne me donnait pas forcément envie. Et puis un soir où ça passait à la télé, j’ai été scotché en le voyant… » Sans qu’il ne sache précisément expliquer pourquoi, le film de De Palma semble avoir motivé Hicham Tragha dans sa volonté de faire du cinéma. Peut-être se reconnaissait-il dans la détermination à réussir du personnage. « Il partait de rien, il avait une ambition de malade et il gravissait tous les échelons. Après je ne faisais pas attention au type d’échelon qu’il gravissait, c’était surtout l’ascension qui était intéressante… » Quand, en 2002, Hicham et son frère Adnane se lancent dans le cinéma avec l’association Pass’ Pass’ la Cam, eux aussi partent de rien : ils n’ont ni moyens, ni contacts dans le milieu. Mais ils ont des idées... Celle de transposer le gangster cubain en région parisienne inspire à Hicham le personnage de Momo Montana. Après un premier court-métrage parodique sur cette thématique, il entreprend d’écrire un scénario de long-métrage, une comédie policière : La vie de rêve. Ici, Momo Montana et son acolyte sont des sans-papiers maghrébins, recherchés dans leurs pays et contraints de se faire passer pour des Cubains afin de ne pas être expulsés…
Le Scarface français en comédie policière
On est en 2004 quand Hicham entreprend ce projet. Entre temps, l’association va réussir à créer un buzz autour de ses webséries. En 2009, la société Pass’ Pass’ la Cam’ production est créée, avec Luc Besson comme associé. L’écriture du scénario de La vie de rêve s’est achevée récemment. Le film est entré dans une phase plus concrète. « C’est le projet qui me tient le plus à cœur. Quand j’ai commencé à l’écrire, j’y ai cru dès le premier jour… C’est ce qui était un peu fou… J’ai tout lâché pour ça ! » Chargé d’étude dans le marketing et les médias, Hicham a en effet démissionné pour s’y consacrer pleinement...
Au-delà de l’ascension et de la réussite, en quoi le personnage de Tony Montana a-t-il influencé Hicham ? La vie de rêve est une comédie policière. On peut se demander quels ressorts comiques peuvent être inspirés par Scarface… Pour Hicham, l’aspect comique de Tony Montana vient de son côté décalé. « Il n’a pas les codes qui vont avec son argent. A partir de là, il va avoir un côté bourrin sur certains trucs, un côté beauf. Tu as beau réussir, tu as beau avoir ce que les autres gens ont, on te fera tout le temps ressentir le fait que tu es un clando, comme lui. » Hicham avoue d’ailleurs s’être lui-même retrouvé dans des situations similaires, ce qui lui a inspiré une scène dans un restaurant de luxe. « Je m’inspire des déconvenues que j’ai pu avoir quand j’arrivais dans ces endroits dont je n’avais pas tous les codes. »
Un exutoire
Dans La vie de rêve, la thématique de l’exclusion est d’ailleurs importante. Certes, elle occupe une place relativement restreinte dans Scarface. Mais elle tient dans une citation marquante du film, où Tony déclare avec amertume « Mes mains sont faites pour l'or et elles sont dans la merde. » Une phrase qui a permis à Hicham de s’identifier au personnage, « notamment sur l’exclusion qu’il pouvait ressentir quand il n’avait pas d’argent. Et là où je m’identifie le plus à Momo Montana c’est dans l’exclusion vis-à-vis de la société française. J’ai déjà ressenti le regard et le jugement des gens parce que j’étais Arabe. » Dans La vie de rêve, les personnages principaux sont certes sans-papiers, mais Hicham se défend de réaliser un film social : « On a eu envie de mêler des sans-papiers à un polar, de montrer qu’ils peuvent vivre autre chose que des problèmes de papiers, de boulot…Dans le film, il y’en a un qui tombe amoureux ! »
Il semble toutefois que le personnage principal ne sera pas une victime passive. On connaît les scènes de colère de son modèle, Tony Montana. S’il s’agit d’un aspect qu’on peut juger négatif, il n’est pas gratuit et joue un rôle clef dans la progression du film de De Palma. Il n’est d’ailleurs pas pour rien dans l’attrait que suscite cette œuvre – notamment en raison de la dimension cathartique de certaines scènes. Hicham va naturellement s’en inspirer pour Momo. « Il a les mêmes excès de colère. Il explose facilement. C’est aussi lié au trait de caractère d’Al Pacino, qu’on trouvait intéressant. » L’utiliser pour exprimer sa propre colère, « c’est un exutoire. Il me ressemble à moi, il y a quelques années, à ce que je ressentais face au rejet de la société, face aux murs auxquels tu pouvais te cogner quand tu voulais avancer, quand tu voulais chercher un boulot. Cette rage que le personnage peut avoir, je l’avais en moi aussi. » Finalement, s’inspirer de Scarface peut permettre d’exprimer pas mal de choses…
Michel Ferneiny