La binationalité dans le foot: une "richesse" à l'épreuve des préjugés

Le 13-07-2011
Par xadmin

Dans un monde footbalistique où la marchandisation des joueurs bat son plein entre la France et ses anciennes colonies notamment, pour rejoindre le gigantesque mercato entre clubs et centres de formation, dans un contexte où un plafond de verre sépare les élites décisionnaires blanches et la main d’œuvre africaine, les propos de quelques têtes pensantes du foot sur des Noirs qui seraient grands et « physiques » et des blancs qui seraient « tactiques », font désordre. Mais reste une réalité : celle d’un univers sportif de plus en plus multinational.

Accusé de vouloir imposer des quotas dans les centres de formation et en particulier à l’INF Clairefontaine, réservoir de jeunes talents en Ile-de-France, Laurent Blanc s’est excusé et a été finalement lavé de tout soupçon de racisme par la ministre des Sports.
Deux mois plus tard, malgré l'accalmie de la polémique, les interrogations demeurent. Pourquoi Laurent Blanc et les dirigeants du foot français se sont-ils attaqués à la binationalité ? Présents depuis de nombreuses années dans les championnats de ballon rond de l'Hexagone à l'image de la diversité culturelle du pays, les joueurs binationaux seraient-ils devenus un problème ? Ou plutôt un frein à l'émergence de nouveaux prodiges qui viendraient grossir les rangs de l'équipe frappée du coq tricolore?

« Ce n'est pas nouveau. Cela a même toujours existé », souligne Roger Boli. L'ancien joueur professionnel, meilleur buteur du championnat de France de première division en 1994 reconverti depuis agent de joueur, dit ne pas comprendre les raisons de cette réunion. Pour lui, les joueurs binationaux ne représentent pas un problème. « C'est normal qu'un joueur qui n'a pas le niveau où l'opportunité de jouer en équipe de France aille voir ailleurs pour connaître une carrière internationale. Quand on joue au football, on a envie d'aller le plus loin possible », explique-t-il.
 

Pays d'origine : un choix bis
Sur les dix dernières années, nombreux sont ceux à avoir suivi cette trajectoire. A titre d'exemple, cinq joueurs vainqueurs en 2001 de la coupe du monde des moins de 17 ans avec la France ont depuis rejoint la sélection de leur pays d'origine. La Côte d'Ivoire pour Emerse Faé, l'Algérie pour Hassan Yebda et Mourad Meghni, la Tunisie pour Chaouki Ben Saada et le Sénégal pour Jacques Faty. Sans compter le gardien de but Mickaël Fabre, supervisé pour porter les couleurs de l'Algérie lors du mondial 2010 en Afrique du Sud et finalement non retenu.

Plus récemment, le Lillois Moussa Sow, meilleur buteur de la dernière saison de Ligue 1, a rejoint les rangs des Lions de la Teranga après avoir pourtant porté le maillot bleu dans toutes les catégories de jeunes. « Cela fait seulement un an que l'on parle de lui. L'an dernier, il n'était pas titulaire à Rennes et n'avait jamais été appelé en équipe de France. On ne peut pas lui reprocher d'avoir fait ce choix », estime Alain M'Boma, frère de Patrick, nouvel entraîneur du Paris Football Club (Nationale) et qui a auparavant dirigé les seniors des clubs sequano-dionysiens du Red Star 93 (CFA) et de Villemomble (CFA).

Roger Boli aurait aimé avoir eu ce choix. A son époque, il n'était pas autorisé de changer de sélection après avoir porté les couleur d'un pays en catégorie de jeunes. « Je me suis retrouvé bloqué parce que j'avais joué avec l'équipe de France espoirs, alors que j'aurais pu intégrer l'équipe de la Côte-d'Ivoire et remporter la Coupe d'Afrique des nations (NDLR: en 1992). » A ce propos, l'ancien président de l'Olympique de Marseille Pape Diouf dénonçait les abus du passé dans une interview accordée au journal La Provence. « Avant, des entraîneurs faisaient jouer des jeunes d’origine africaine en équipes de France pour leur couper toute possibilité de répondre à la convocation de leur pays d’origine », expliquait-il.

Les « échanges », si l'on peut les appeler ainsi, ne vont pas toujours dans le même sens. Certains footballeurs ont à l'inverse renoncé à leur pays d'origine pour faire le bonheur de l'équipe de France. C'est le cas d'un champion du monde de 1998. Fils d'un joueur argentin qui a évolué au club de Rouen, David Trezeguet aurait pu tout aussi bien revêtir le maillot de l'Albiceleste. Convoqué en 2006 à un match amical par Raymond Domenech, l'attaquant franco-argentin Gonzalo Higuain avait décliné l'invitation pour suivre l'itinéraire inverse.

Un vieux débat
Ce genre d'exemple ne date pas d'hier. A la fin des années trente, le gardien de but autrichien Rudi Hiden, champion de France avec le Racing Club de Paris, avait été naturalisé français pour rejoindre le onze tricolore. Tout comme son compatriote et coéquipier Gusti Jordan. « A l'époque, le journal d'extrême droite Action française avait mis en doute son efficacité et sa capacité à évoluer sous les couleurs de la France. Il y avait eu un débat et il avait été largement épinglé. Ce qui ne l'empêcha pas de jouer avec les Bleus », explique Yvan Gastaut, historien à l'Université de Sophia-Antipolis, président de l'association We are football et auteur de l'ouvrage Le métissage par le foot.

Un autre débat très vif avait agité les clubs français dans les années 50. « Des voix s'étaient érigées contre un nombre jugé trop important de joueurs étrangers dans le championnat de France. Du coup, les clubs avaient alors adopté une politique de restriction », explique Yvan Gastaut.

Et si la réunion de la DTN n'était en fait qu'une répétition de l'histoire? Ou plutôt le révélateur d'une réalité peu connue ? Dans l'interview donnée au journal La Provence, à la question "Le foot français est-il raciste?", Pape Diouf répondait ainsi: « Je veux manier les mots avec prudence. Je dis simplement que, de la même manière que la société française, le football français discrimine, c’est indiscutable. »

« Un mauvais procès a été fait à Laurent Blanc. Ces propos digne du "café du commerce" reflètent plutôt un cadre ambiant, un état d'esprit dans le monde du foot français. Des dirigeants français sont un peu influencés par ce discours discriminatoire dont s'est emparée Marine Le Pen », renchérit Yvan Gastaut.
« Dire que les blacks ne sont que grands et costauds et sous-entendre qu'ils ne savent pas jouer au ballon, c'est super réducteur et même vexant. Il y a eu un amalgame malsain fait entre la catégorie physiologique des joueurs et leurs origines éthniques », relève pour sa part Alain M'Boma.

La binationalité, une "fierté"
« C'est n'importe quoi. On peut aussi être blanc, petit et mauvais », fait remarquer François Gil, ancien responsable de la préformation du PSG et actuel conseiller sportif du président du Red Star 93. Pour lui, la comparaison à l'Espagne et l'utilisation de certains propos étaient une manière maladroite d'aborder le sujet de la formation des jeunes footballeurs. Il estime qu'il est nécessaire de se recentrer sur le débat technique. « Dans le football, le critère fondamental, c'est le résultat. Les entraîneurs de jeunes sont jugés là-dessus. Donc pour faire gagner leurs équipes, ils insistaient davantage sur les qualités athlétiques et optaient plutôt pour des joueurs grands que pour des petits. Je sens que c'est en train de changer."

Pour ces deux personnalités du football en région parisienne, la binationalité est en définitive « une richesse » à exploiter. « Cela doit être une fierté. Quand on voit le nombre de joueurs formés en France et qui évoluent dans les sélections étrangères, on devrait s'en satisfaire. C'est reconnaître le sceau de la formation à la française », estime Alain M'Boma. « Interdire la binationalité serait une aberration. Cela reviendrait à oublier une bonne partie de ce qu'est la population française », conclut pour sa part Yvan Gastaut.
 

Ludovic Luppino

 

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