Kéry James, itinéraire d’un enfant du rap

Le 08-09-2009
Par xadmin

« J'veux pas brûler des voitures, mais en construire, puis en vendre » - Banlieusards, A l’ombre du show business, 2008 -. Du ghetto
Les rappeurs deviendraient-ils des concessionnaires ? De la grosse berline au véhicule utilitaire, du break familial au coupé sport... Le client trouvera toujours son compte dans ce business fructueux. Il y a ceux qui insistent sur la puissance, la rapidité et la « lourdeur » de leurs textes et de leurs flow, ceux qui revendiquent la finesse, le style et la sobriété. Il y a les collectionneurs pour qui performance et esthétisme vont de pair, ceux chez qui le crépitement du vinyle évoque le ronronnement d’une Aston Martin. Comment résumer la carrière d’un artiste à un type particulier ou à un modèle reproductible comme un million d’albums que l’on presse ? Les usines tournent, les cibles sont très larges et seuls quelques artistes réussissent à satisfaire toute la clientèle en refusant de se contenter d’une petite part du cake.

« 504 break chargé, allez, montez les neveux »… La Mafia K1fry.
Pour ceux qui ne connaissent toujours pas, c’est un regroupement d’artistes qui se définit comme un collectif. Le mot permet de rassembler pléthore de fortes personnalités qui roulent ensemble depuis 1995. On y retrouve entre autres le 113 Clan, Rohff, Intouchables, Manu Key et Kéry James... Ce dernier est indéniablement une des forces majeures de la Mafia K1fry. Il est perçu par le public comme celui qui rassemble, la voix qui appelle à la raison, l’homme sage marqué par des expériences dures qui incitent plus au pardon qu’à la vengeance. Mais il est également celui qui a violemment marqué les esprits, alors qu’il n’avait que 21 ans, avec le titre « Hardcore » dans lequel il décrit un monde ultra-violent. Il évoque ensuite sur l’album des solutions pour sortir d’un engrenage brutal qu’il sait voué à l’échec, mais on n’en fait que très peu écho à l’époque. Parce qu’il a décrit avec douleur les contours les plus sombres de son quotidien, Kéry James a été condamné à être la voix des voyous et des laissés pour compte en banlieue.

« Quand votre police instaure elle-même l’insécurité… »
C’est en 1998, qu’il sort avec son groupe Idéal J l’album : « Le combat continue ». Un état des lieux mélancolique et violent. Spectateur du désespoir, il annonçait : « Quand votre police instaure elle-même l’insécurité, ne vous étonnez pas qu’un jour vos quartiers soient agités ». Aucune menace ici, il témoigne et tente d’interpeller avec vigueur un pouvoir politique sourd aux appels d’une jeunesse en en proie au désarroi. Fin décembre de la même année, le quartier du Mirail en banlieue toulousaine s’embrase pour une dizaine de jours suite à la mort de Pipo, 17 ans, victime d’une bavure policière. Dans cet album, il racontera le ghetto français comme personne ne l’avait fait avant lui, en évoquant le quotidien de ceux que l’on n’osait encore appeler « la France d’en bas », celle des ouvriers, des immigrés, parfois des tueurs mais également des tués. Parmi les victimes, on comptera L.A.S., proche de Kéry, figure mythique de la Mafia K1fry. Son décès conduira Kéry James à une profonde méditation qui le guidera à l’Islam et l’éloignera des studios d’enregistrements.

Tournant mystique
Il sortira l’album "Si c'était à refaire" en octobre 2001. Nombreux sont ceux qui ont considéré sa conversion à l’islam comme une (im)posture, un besoin d’élargir son public et d’injecter une part de moralité sous couvert de repentance théâtralisée. L’attaque la plus retentissante médiatiquement fut celle de MC Jean Gabin dans le morceau « J’t’emmerde ». Il lui reproche ici de ne pas être un bon musulman car il n’a pas changé de pseudonyme. D’autres le réduisent au titre d’ « imam rappeur » depuis sa décision d’afficher sa religion au grand jour. Alors que le public, lui, répondra présent, Kéry James écoulant 100.000 exemplaires en quelques semaines. Trois ans de silence radio s’en suivent jusqu’au projet « Savoir et vivre ensemble » qui se veut encore plus mystique et difficile à comprendre pour un public et une critique qui le préfère dans un rôle plus sulfureux. Il parle d’Islam, chante en arabe mais n’appelle pas une seule fois au meurtre ou au Jihad en Terre Sainte ! Pour Kéry James, parler positivement de l’islam est un moyen d’offrir une image différente de celle généralement véhiculée par les journaux télévisés après le 11 septembre* . Après le gangster, le voilà enfermé dans un rôle de repenti, de « rappeur islamique ».

Dans l’ombre du show bizz ?
Mais l’équilibre entre ces deux personnages est difficile à maintenir et l’album qui s’en suit en 2005, Ma Vérité, met en évidence les faiblesses d’une communication mal gérée. Malgré quelques bons titres, l’orientation artistique n’est pas claire. Cet extrait du single qui tourne en boucle à la radio en témoigne : « avoir la ghetto super classe c'est rester le même en R5 ou en classe C, ne pas être ingrat, savoir remercier ». On ne s’attardera pas sur la prestation du concessionnaire qui aura quand même vendu près de 30 000 pièces pour cet album. Il se « reprendra » sur le suivant, A l’ombre du show business, sorti trois années plus tard. Les morceaux sont beaucoup plus cohérents et on remarque que l’artiste a retenu la leçon : il ne faut plus anéantir les ambiguïtés mais les cultiver avec parcimonie pour toucher à la fois un public jeune et faire revenir à lui les nostalgiques du Kéry James Hardcore. Dans l’ombre du show bizz, il obtiendra quand même la participation d’illustres inconnus dont Grand Corps Malade, Zaho, Vitaa, Charles Aznavour… Effet immédiat, l’album sera disque d’or.

Laïcité et vacances de pâques
En 2009, l’album « Réel » est salué par la critique et le public. L’artiste s’affirme à nouveau. Le discours purement religieux est évacué, la revendication sous sa forme la plus violente d’appartenance au ghetto se fait plus discrète. Mais les thématiques abordées restent les mêmes. Le featuring avec le rappeur Médine évoque les tensions entre religion et république française : « on parlera laïcité après les vacances de pâques ». Le titre « La poudre aux yeux » est rappé sur un sample considéré comme un classique utilisé par Oxmo Puccino et Busta Flex en 1998 : Kéry James y condamne l’usage des drogues dures et fait écho au titre « Un nuage de fumée » paru sur le premier album d’idéal J ; « Lettre à mon public » conclut ce dernier opus de Kéry James, l’artiste parle ici ouvertement de ces ambiguïtés qui ont fait de lui ce qu’il est aujourd’hui : un homme avec tout ce que cela comporte de contradictions. Encensé ou dénigré, Kéry James reste un 4X4 qui écrase tout sur son passage mais fait dans le développement durable.

Selim Ardaoui / Ressources Urbaines

*Il a déclaré lors d’une interview : « Je suis musulman et converti à l’Islam depuis plusieurs années et après les événements du 11 septembre 2001 et les autres attentats ignobles qui ont été commis par des extrémistes qui se réclament de l’Islam, j’ai eu l’impression que certains médias profitaient de ces actes pour jeter l’opprobre et faire l’amalgame entre les fanatiques et le simple musulman »
http://www.rfo.fr/infos/culture/musique-kery-james_410.html

 

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