
Jérôme Bouvier : une Villa Médicis à Clichy-sous-bois pour « changer le regard des journalistes »

Jérôme Bouvier a été notamment directeur de la rédaction de Rfi puis médiateur de Radio France. Il a aussi été l’un des premiers soutiens des médias des quartiers via les Assises internationales du journalisme. Aujourd’hui il conseille la ministre de la Culture sur ces questions et sur un projet qu’il a imaginé, une résidence culturelle de prestige à Clichy-sous-bois, sur le mode de celle de Rome.
P&C : Depuis quand connaissiez-vous Clichy-sous-bois ?
J.B. : J’étais un militant de ces quartiers depuis les assises de Bron [en 1989, où fut prononcé le discours fondateur de la « Politique de la ville » par François Mitterrand, Ndlr], mais je n’avais encore jamais vu autant de dénuement dans une ville qu’à Clichy. Je connaissais Claude Dilain, car j’avais été élu en charge de l’urbanisme à la mairie de Marne-la-Vallée. Et Dilain avait lancé une « université citoyenne » avec les habitants des quartiers, trois fois par an, sur des questions de société notamment, au début des années 2000. Et Clichy restait le plus grand projet de rénovation urbaine du Pnru de Jean-Louis Borloo. J’ai assisté aux émeutes de 2005 sans magnéto de journaliste, mon regard a été différent ; et c’est là que j’ai vu l’aberration de 450 journalistes se presser sur ce site. Très rapidement, j’ai dit à Dilain : la question maintenant, ça va être celle du regard : tu vas en prendre pour 20 ans de stigmatisation, il va falloir changer le regard des journalistes qui ne restent ici que quelques heures.
P&C : Vous avez monté des ateliers à Clichy au lendemain des émeutes…
J.B. : Oui, il fallait aller à contre-temps, prendre le temps. Avec des photographes notamment : Willima Klein, JR, et des panneaux pour que les habitants de la ville puissent s’exprimer. Et pour exposer les photos : ça a été un moment important de voir les familles en pleur de se voir bien photographiées pour une fois ! Cela a eu un gros impact sur la poplation, alors qu’au début on nous disait que les ascenseurs qui ne marchent pas étaient plus importants. A quoi je répondais que si les ascenseurs n’étaient jamais assez vite réparés, c’était aussi parce que les gens avaient un regard négatif sur eux et déconsidéraient cet endroit. On s’est dit alors qu’on devait faire des rencontres culturelles tous els deux ans, sur la Bd, la Haute couture, la danse. Tout cela a été arrêté parce que l’Europe n’a pas renouvelé son aide. En 2008, la crise économique arrivait…
P&C : Comment a émergé l’idée d’une Villa Médicis dans ce contexte ?
J.B. : La seule « marque » de référence d’aide à la création, c’est la Villa Médicis. Même le Louvre, ça reste muséal. Or, la Villa Médicis de Rome était conçue pour que de jeunes artistes s’inspirent de la statuaire gréco-romaine… c’est de l’histoire, alors que Clichy, c’était le futur, qui s’écrit bien plus là que sur l’Île Saint-Louis ! Des artistes extérieurs devaient venir se confronter aux habitants. Dilain n’a pas forcément pensé que ça marcherait au début. Xavier Lemoine [maire de Montfermeil, Ump et pour un rapprochement avec le Fn, Ndlr] était encore plus réticent, il avait peur que ce soit une académie du hip-hop ! Je les ai convaincus que ce serait un lieu d’excellence. L’Anru, la Div, tout le monde trouvait le projet très beau, mais c’est Frédéric Mitterrand [le ministre de la Culture du second gouvernement Fillon, Ndlr] qui venait justement de la Villa Médicis de Rome, qui a été le plus séduit. En 2011, pour relancer l’idée, il décide d’acheter un bâtiment pour accueillir le projet.
P&C : Comment un tel projet peut-il se développer sur un territoire aussi relégué ?
J.B. : Je crois en la politique des symboles, qui s’incarne dans des lieux. S’il le faut avec des grands travaux. Mais cette Villa Médicis, c’est différent d’une simple résidence. Ca doit être un projet d’exception. De qualité. D’abord par le regard qu’on porte sur lui, cela doit donc être scénarisé. Avec un commissaire connu du grand public, chaque année différent. On ne doit pas être dans le même secret que la Villa Médicis de Rome.
P&C : Artistiquement, qui pourrait s’y rendre ?
J.B. : A Rome, les résidents ne sont pas tenus de produire. Ici, ça serait l’inverse. Et cela devrait être un lieu d’échange avec les habitants, en capillarité avec le territoire. Au premier étage, on voulait au début qu’il y ait une crèche. Mais c’est surtout un projet d’Etat avec une ambition internationale. La première appellation, « résidence pour les artistes des banlieues du monde », Lemoine n’en voulait pas ! C’est vrai qu’il ne faut pas que l’impressionnisme soit dans le centre de Paris et le hip-hop à Clichy…