
Je mange d’où je viens… en partageant

Saviez-vous que le manioc venait d’Amérique centrale, le sucre d’Inde, et la banane de Malaisie ? Qu’on cultivait du pavot à Villiers-le-Bel dans les environs de l’actuel collège Martin Luther King ? « Saveurs du monde », le dernier hors-série de Sakamo, nous plonge dans l’histoire des aliments. Il est accompagné d’une expo à la maison de quartier Valéry Watteau de Sarcelles. Rencontre sur place.
Les vingt panneaux de l’exposition « Saveurs du monde, ou le goût des autres », siègent à la fois dans les couloirs du bâtiment de la route des Réfuzniks, et dans une salle polyvalente, d’où ils venaient d’être déplacés… en raison d’une veillée mortuaire. Une maison de quartier qui est donc au cœur de l’activité de ce quartier du Sarcelles des cités. L’équipe du centre a choisi d’accueillir cette expo, qui complète les « cafétéria » du lundi matin, menées depuis quelques temps par Imen Aouini. Le directeur adjoint du centre, Steeve Labeau, se félicite de ce genre d’initiative : « Les gamins mangent n’importe quoi, ils ont oublié le goût et les saveurs de maman ! C’est bien d’avoir une sensibilisation avec animatrice ! Parce que quand ils ne connaissent pas, ils ont peur, ils préfèrent le Mac Do ». Echanges à bâtons rompus avec Imen, Steeve et Dominique Renaux qui est, lui, du Collectif Fusion, association qui a porté ce projet.
La cuisine, les produits, les échanges
Dominique : On a lié l’exposition à une dégustation lors du vernissage à Villiers, le 30 mai dernier. Mais ce qui nous intéressait avant tout, c’était de parler des ingrédients, pas des recettes. En gros, on montre que les légumes, en particulier, voyagent, et préfigurent souvent les déplacements humains. C’est aussi cette migration, cette diversité qu’on voulait montrer. Le marché, la bouffe est un bon angle, tout le monde peut s’arrimer dessus. Ca permet aussi de relativiser, et de voir comment on adopte cette diversité.
Steeve : Par exemple, aux Antilles, l’arachide, on l’utilise, pour le chaud, avec le chocolat par exemple. Comme le mafé en Afrique. Ici, c’est utilisé pour l’huile, avec le salé donc.
Dominique : Les produits évoluent, certains sont chassés par d’autres. Aux Etats-Unis, le ketchup est de plus en plus chassé par les produits hispaniques. Mais le plus gros réservoir mondial de plantes reste l’Amérique latine. Cela dit, tout n’est pas simple, dans les discussions autour des produits : même avec le riz, les animateurs s’arrachent les cheveux pour faire cohabiter les différentes manières de le cuisiner, selon que les personnes viennent du Pakistan, des Antilles ou d’ailleurs.
Les hommes et les enfants aussi
Steeve : Mais la cuisine fédère quand même. Il y a de plus en plus de garçons qui s’y mettent. Ca change. D’un autre côté, le feu, traditionnellement, c’est l’homme qui s’en occupe. Aux Antilles, les hommes cuisinent aiment bien faire les grosses préparations pour les grandes occasions. En particulier le poisson, les viandes.
Dominique : Oui, et au Maghreb, c’est l’homme qui fait le mouton, le méchoui. Les hommes aiment bien cuisiner surtout quand ça leur permet d’être autonome : les chasseurs, les pêcheurs sont autonomes. Ils font alors la cuisine sans les femmes quand ils sont à la chasse ou la pêche.
Imen : Dans les ateliers cuisine qu’on fait avec les familles [essentiellement des femmes, en fait, ndlr], on a commencé avec les crêpes, puis le seul homme présent, qui est cuisinier, a apporté un aspect plus technique. Ils sont très autonomes, très organisés. Il y a une malgache, une tunisienne, un français, environ vingt personnes, et l’exposition a provoqué beaucoup de discussions. Evidement, ils s’intéressent d’abord plutôt aux produits en lien avec leur pays d’origine. On va avoir des rouleaux de printemps faits par une malgache, par exemple. Moi, au début, je m’attendais à ce que chacun se contente de son plat local, le couscous etc…
Dominique : Ca confirme leur attachement à une identité. Même si cette identité peut être issue d’un mélange de cultures.
Steeve : Cuisiner donne envie de faire découvrir aux autres. Et puis, les émissions à la télé comme Top chef donnent envie. Chaque groupe d’enfant veut avoir son atelier « top chef ».
Dominique : Oui, on fait rêver les enfants avec la nourriture. Ca les fait voyager. Mais à la base, ils ont du mal à interroger leurs parents, y compris sur la nourriture…