Jamais sans mon kebab - Ressources Urbaines

Le 08-12-2010
Par xadmin

On l'appelle: casse-dalle, kegré, kebton, dwavich' ou tout simplement kebab. La gastronomie turque dans ce qu'elle a de plus raffiné, n'intéresse pas que les nutritionnistes, elle est aussi un marqueur culturel qui s'est imposé dans les quartiers populaires.

S’il existait un Master Chef du kebab, le président du jury serait Bernard Thibaut. Non, pas le syndicaliste, un autre Bernard Thibaut. Celui qui rendit au kebab ses lettres de noblesse en créant il y a plus de dix ans : France Kebab. Son entreprise, comme l’indique le site internet officiel, est aujourd’hui leader français dans la commercialisation de viandes, matériel et fournitures aux professionnels du métier. Elle a intégré dans son équipe le chef Jean-Yves Bigot, ancien conseiller du traiteur de luxe, Lenôtre. C’est dire si les kebabs ont leur place dans la gastronomie française, que dis-je, dans le Patrimoine de l'humanité ! Ils colorent les zones urbaines, égayent nos tendres et verdoyantes provinces. Chaque village français a son « Döner kebab», son « Istanbul » ou son « Bosphore ». Cette habitude alimentaire s’est largement démocratisée au pays de la blanquette de veau au cours de ces dernières années et contribue à remplir chaque jour un peu plus le ventre de Paris et sa banlieue.

Ça sent la friture, la sauce samouraï et la bonne humeur, ça tombe bien, j’ai un petit creux et un petit billet sur moi, je vous invite :

D’emblée, il faut bien avouer que la déco n'est pas des plus inspirée. Je me demande d’ailleurs si la jeune montagnarde au fichu rouge qui figure sur ces chatoyants photomontages, s'imagine qu'elle est l'égérie du « Galatasaray Kebab » en plein cœur de Saint-Denis. Je vous propose maintenant un petit balayage visuel. Premier spécimen observé : le djeun’s. Il n’a rien à voir avec Justin Bieber, si ce n’est cette voix qui cherche encore sa voie. Pourtant, il mesure un petit mètre quatre-vingt, porte un bonnet de père noël rose avec un pompon et personne ne semble vouloir se moquer de lui. D’ailleurs ses cinq acolytes semblent avoir eu la même inspiration vestimentaire que lui aujourd’hui. A la table d’à coté, deux frères muz’,(1) la trentaine, la barbe fraîchement taillée hésitent encore entre le menu Cayenne et le menu Hummer. A leur droite, une équipe de zoulettes, survet’ Adidas, taille basse, tissage et faux cils négocient une canette en rappelant qu’elles sont des clientes régulières, leur XXL en atteste. Une maman s’invite à la discussion et regrette l’absence de carte de fidélité. Le maître kebabiste (rappelons ici que c’est une marque déposée par Bernard Thibaut) nous propose avec fierté l’éventail de ses sauces : algérienne, américaine, marocaine, tunisienne et autres nationalités exotiques, à côté de cela, mayonnaise et ketchup sont ringards. Le chef, qui généralement nous appelle chef aussi, nous invite à choisir les options qui accompagneront notre repas. Dans les kebabs ordinaires, cela se résumerait par : salade ? tomate ? oignons ? Mais dans notre kebab, on nous propose également poivrons, olives, maïs, champignons, emmental… Pour la nostalgie et le romantisme, nous avons en fond sonore droit à la rediffusion du match Algérie - Allemagne de l’Ouest (1982). Asseyons nous et savourons ces quelques milliers de calories accompagnées d’un Coca Light. La page Faits divers du journal qui traîne en coin de table et souillée par des doigts huileux ne retient que très peu notre attention tant la scène qui se joue devant nous est pleine de réalisme.

Les faits divers, c’est nous. On se donne rendez-vous en bas, on passe au kebab « vite fait » pour prendre une canette avec des pièces d’or et de bronze. Ça discute de l’euro, des heureux, de vacances et de chômage. Certains fêtent leur fin de mission intérim avec un festin royal, d’autres rédigent les statuts de leur nouvelle association, un peu plus loin, une réunion de chantier s’organise. On peut même y croiser des hommes en uniforme et sans képi réclamer plus de frites et sourire lorsque ils entendent le classique : « un p’tit poulet grillé m’sieur l’agent? ». C’est un lieu de vie à défaut d’être un haut lieu de la gastronomie. Pour certains, le choix du kebab est une affaire d’état et il n’est pas rare de croiser devant une de ces vitrines embuées, un gosse qui rêve du pays du kebab comme Charlie rêvait d’une chocolaterie.

Salim Ardaoui/ RU
 

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