
« Il y a une vraie alchimie entre textes et musique »

Avec Funambule, Grand corps malade signe un quatrième album toujours marqué par le métissage et les univers différents. L’album le plus abouti musicalement grâce à l’union avec Ibrahim Maalouf trompettiste touche à tout de renom international.
P&C : Funambule, ton quatrième album, est encore une fois un hymne au métissage… Quelle couleur particulière lui donnerais-tu ?
GCM : C'est toujours difficile de résumer un album car justement ce que j'aime c'est la variété. Variété des textes, des thèmes, des musiques… Du coup c'est compliqué pour moi de lui donner une couleur. Il y a des textes personnels, d'autres plus ouverts sur le monde, aussi parfois assez graves et d'autres beaucoup plus légers. Je pense que finalement je ferai toujours un peu ça. Personnellement quand j'écoute un album, je ne veux pas être dans la même ambiance sur 15 titres, j'ai envie de varier les humeurs. Donc une fois de plus cet album est dans cette vaine là.
P&C : Ibrahim Maalouf intervient dans cet album, et lui aussi est un touche à tout…
Oui, lui aussi aime les rencontres plus ou moins inattendues. Il est trompettiste avec la particularité de faire de la musique un peu orientale et comme moi il est à fond dans le métissage. Il est capable de faire de la musique word, de sortir de gros beat Hip Hop. Je l’ai vu lors d’une création avec Oxmo Puccino où il dirigeait un orchestre symphonique. Il avait écrit toute la partition et parfois l’orchestre sonnait hip-hop ! J’ai adoré et je lui ai proposé de mettre un titre en musique. Mais petit à petit on a décidé qu’il ferait tout l’album. J’ai d’excellent retour sur la qualité musicale, on me dit que c’est l’album le plus abouti. Entre les textes et la musique il y a une vraie alchimie. Je la dois à Ibrahim, grand trompettiste de renommée mondiale !
P&C : Quelles sont tes inspirations et tes références ?
GCM : Historiquement c’est vraiment un mélange entre la grande chanson française à texte qu’écoutaient mes parents type Brel, Brassens, Barbara, Jean Ferret… Ils ont nourri mon enfance. Mais il y a aussi le hip hop. Dès le début des années 90, j’ai été un grand fan de rap français. J’étais incollable sur toutes les premières années avec NTM, I AM, Little MC etc… Sinon l’une de mes grandes références c’est Renaud, un incontournable. Il a cette poésie un peu urbaine, il est capable d’écrire une superbe chanson d’amour avec les mots « bitume », « trottoir » ou « cassoulet »... On a le droit de faire de la poésie avec des mots très quotidiens, c’est un esprit que j’aime bien.
P&C : On te présente comme la personne qui a démocratisé le slam ; aujourd’hui beaucoup revendiquent de faire comme toi. Penses-tu avoir des « héritiers » ?
GCM : Il y en a peut-être mais ça serait très prétentieux de dire que ce sont des héritiers. Déjà, il faut rappeler que je ne suis pas pionnier du slam ; quand j’ai commencé il y avait déjà des slameurs dans pleins de petits bars. Bien sûr, mon premier projet a été très médiatisé et du coup je suis un peu le slameur le plus connu. Donc oui, il y a plein de monde qui me dit que je leur ai donné envie d’écrire, c’est un super compliment. Mais je pense que, au-delà de moi-même, cela est vraiment lié au slam. Quand tu assistes à une soirée slam, en rentrant chez toi, tu as envie de te mettre à écrire. Ca me l’a fait moi-même. Ca se propage comme une épidémie !
Je vais dans des écoles, des collèges mais aussi dans des prisons, partout ou j’ai l’occasion de le faire. Je n’apprends à écrire à personne, c’est un simple atelier avec des petits jeux, des exercices pour mettre les gens en confiance et qu’ils se lâchent. C’est avant tout une émulation pour donner envie d’écrire. C’est pour moi l’occasion de rencontrer des gens, ce sont des moments humains. Il y a toujours des contacts assez forts qui se créent. C’est ce que je recherche.
P&C : Connu aussi pour ton engagement dans tes textes, quels sont les sujets qui te tiennent à cœur dans cet album ?
GCM : S’il y a un texte qui est vraiment plus engagé c’est Course contre la montre, le duo avec Bohringer. On parle de ce système qui fonce droit dans le mur avec les maîtres mots qui sont profit, rentabilité, et qui imposent leur loi sur tous le reste. Qui passent même avant les rapports humains. On se rend compte que c’est un système qui ne fonctionne pas et qui laisse de plus en plus de gens en galère, au bord du chemin… Je me demande jusqu’où va aller cette course à l’argent.
P&C : Le sujet qui t’habite aussi beaucoup concerne les quartiers populaires… Tu as vécu une grande partie de ta vie à Saint-Denis. Quel est ton sentiment vis à vis des 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme ?
GCM : Oui j’habitais Saint-Denis jusqu’à cet été, c’est très récent… Le problème c’est que je crois que malheureusement la Marche n’est pas très connue… J’en ai personnellement entendu parlé par mes aînés car en 1983 j’avais 6 ans… On disait la « Marche des beurs » sans la connaître. Quand je me suis renseigné j’ai compris tout le mouvement militant derrière. J’ai aussi la chance d’être très pote avec Rachid Amghar, un militant qui était au MIB et qui a participé activement à la marche, et il m’a raconté. Mais franchement, sans tout cela, comme beaucoup dans les quartiers, ce mouvement reste assez vague pour moi…
P&C : 30 ans plus tard, les débats contre le racisme et sur la condition des quartiers sont encore d’actualité…
GCM : Oui, on se rend compte que 30 ans c’est assez long et en même temps il ne s’est pas passé grand-chose. Les conditions de vie dans les quartiers populaires restent compliquées. Il y a encore des quartiers laissés à l’abandon, isolés de la dynamique comme Aulnay-sous-Bois, Clichy-sous-Bois. On est en région parisienne, mais aller à Paris est encore une galère ! Et pire malheureusement, en 2013 encore, le racisme est un mauvais vent qui souffle plus fort que jamais …
Propos recueillis par Mérième Alaoui