A gauche parce que stigmatisés ? Entretien avec François Durpaire

Le 08-06-2012
Par xadmin

« S’ils se positionnent à gauche, c’est que les immigrés et leurs descendants sont plus souvent renvoyés à leurs origines ». Tel est l’un des résultats d’une étude réalisée par Vincent Tiberj et Patrick Simon, chercheurs à l’Institut National des Etudes Démographiques. Y aurait-il donc un « vote ethnique » ? L’historien François Durpaire, spécialiste des questions relatives à la diversité culturelle, aux États-Unis notamment où l’on dispose de nombreuses études sur le sujet, commente les conclusions de cette enquête.

Qu’avez-vous pensé de l’étude en elle-même ? Est-ce une démarche pertinente de réaliser des études sur des critères ethniques ?

Je n’ai pas du tout été choqué par l’étude. Je travaille sur les statistiques ethniques. C’est quelque chose de très courant aux Etats-Unis. Cela fait des années que je répète qu’il est important d’en mener. Pour les chercheurs, c’est toujours intéressant d’avoir le plus de données possibles. Ceci dit, en sciences sociales, il faut prendre le temps, on a besoin de prendre du recul. Même si il y a deux ou trois encore, on se serait davantage posé la question sur la validité, la pertinence d’une telle enquête, si on n’était pas en train de communautariser, là on est directement passé sur le contenu. On voit l’évolution. La perception des gens n’est plus du tout la même sur les statistiques ethniques.

En ce qui concerne les conclusions de l’étude, selon lesquelles les personnes issues des migrations africaines ou des DOM-TOM, ainsi que leurs descendants, voteraient majoritairement à gauche, vous confirmez ?

Essayons de ne pas globaliser et de ne pas tirer d’une élection une règle générale. Nous avons besoin d’observer plusieurs élections pour savoir si cet électoral est réellement amarré à la gauche. Afin de savoir si c’est le résultat d’un rejet d’une politique ou une adhésion à la gauche. Or ce que l’on voit beaucoup, ce sont des enquêtes quantitatives. Il ne s’agit pas d’une enquête qualitative. Ce que l’on peut dire c’est que les filles et les fils de migrants ne votent pas automatiquement à gauche. Aujourd’hui, on voit des listes émerger dans les quartiers, avec des personnes qui ne sont pas issues de l’immigration, mais ont des parents qui le sont. Il y a deux listes en particulier, sous-médiatisés, Emergence, qui en est à sa deuxième ou troisième participation aux législatives, avec des jeunes des quartiers qui ne vont pas se définir comme des fils et filles d’immigrés, mais comme issus des quartiers, même s’ils ne sont pas sur des critères ethniques. La deuxième liste, c’est celle d’AC le feu, Affirmation. C’est intéressant parce qu’ils sont nés après les révoltes urbaines de 2005. Au départ, ils étaient dans une démarche purement associative, là ils vont sur le terrain politique, pas seulement contre la droite mais aussi contre la gauche. Ce qui prouve que ce n’est pas un électorat naturellement acquis à la gauche. Même s’ils ont majoritairement voté à gauche. Mais quand on prend un peu de recul, il y a un vote qui n’a pas été analysé, alors qu’il aurait été intéressant de le faire, c’est celui de 2002 en faveur de Christiane Taubira. On l’a beaucoup plus critiquée en disant qu’elle avait dispersée les voix de la gauche, participant à la défaite de Jospin, alors qu’il me semble que Jean Pierre Chevènement avait fait beaucoup de voix. Quoi qu’il en soit, Taubira est arrivée première en Guyane, ce qui n’est pas surprenant, c’est son territoire d’origine, mais elle a également fait un très bon score en Guadeloupe, ce qui est plus surprenant, et en en Seine Saint Denis. Il y avait déjà là ce qu’on peut qualifier de vote ethnique, du moins un vote de défiance à l’égard de la gauche traditionnelle : cette personne nous correspond plus, peut-être pas en raison de sa couleur de peau mais pour le message qu’elle porte. Ce qui va être intéressant, dans les années qui viennent c’est d’observer, pour les dernières élections, s’il s’agit d’un vote contestataire ou d’une adhésion durable.

Selon l’enquête, les Antillais et leurs descendants votent de la même manière que les Africains et leurs descendants. Alors que c’est un électorat différent, sociologiquement, historiquement, économiquement et culturellement parlant ?

Le vote antillais a longtemps été qualifié de légitimiste. Ils ne votent pas forcément à droite mais pour le candidat sortant. Dans les années 80, ils étaient très fortement mitterrandiens. Cette fois, dans les DOM, la gauche a obtenu les scores les plus importants qu’elle n’a jamais enregistrés. Avec toujours une abstention record pour les élections nationales, mais sur les votants, il y a un rejet profond de la politique de droite ou une forte adhésion à la gauche. Je ne tranche pas. Mais tout au long du mandat, des évènements ont pu participer à cet état de fait. Dernier en date, les déclarations de Claude Guéant sur les civilisations ont profondément choqué en Outre-mer, il a suscité une polémique également en France, mais dans les territoires, ça a beaucoup marqué, la presse locale en a beaucoup parlé. Quand vous analysez le vote américain, il varie en fonction des minorités. La communauté noire est très majoritairement amarrée au camp démocrate. Et ce depuis les années 60. Kerry fait 90% comme Obama. Alors que chez les Hispaniques, 60% votent démocrate. C’est moins massif. Il évolue en plus selon les Etats. En Californie, où les hispaniques sont d’origine cubaine majoritairement, ils sont plutôt républicains.

En revanche, quand ces minorités appartiennent au CSP+, cette fois elles votent à droite. On se retrouve alors dans un vote de classe ?

Aux Etats-Unis, on est obligé de comparer à chaque fois avec les Etats-Unis parce qu’on dispose de plus d’études, on a un vote de classe. Pour ce qui s’agit de la France, il y a peut-être une volonté affichée de la part des électeurs issus de la diversité de ne pas voter à gauche. D’abord parce que, en tant que chef d’entreprise, par exemple, on n’est pas favorable à l’idée de payer plus d’impôt, mais en même temps, en tant que fils d’immigrés, on a un contentieux avec la gauche qui n’a pas été réglé. On le voit avec les propos de Rama Yade. La gauche a mené une politique sociale mais sur le terrain de la lutte contre les discriminations, on n’y est pas. De plus, sur la diversité dans la classe politique, c’est plus Sarkozy qui a ouvert la voie. Il faut se référer à la lettre d’Aimé Césaire envoyé à Maurice Thorez dans laquelle il lui demandait : « Où est la Martinique dans vos programmes ? » C’est la même chose pour les cérémonies officielles de commémoration de la Journée nationale de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions le 10 mai, on a déjà beaucoup de mal à intéresser les médias mais encore plus les politiques. Cette année Hollande est venu pour la première fois. L’an dernier, il y avait le président Sarkozy mais aucun dirigeant socialiste ! On a encore du mal à penser que c’est une histoire française. Alors que les Antillais sont présents dans tous les syndicats, toutes les manifestations pour la défense des droits sociaux mais où est la gauche sur ces thématiques ?

Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
Son blog : www.durpaire.com

 

 

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