
« Flic ou caillera » : Rachid Santaki en chemin vers une Comédie urbaine ?

Rachid Santaki est un phénomène littéraire rare, notamment du fait des techniques street marketing qu’il utilise pour diffuser ses livres. Son troisième polar, sorti en mars (« Flic ou caillera »), se déroule en 2005 sur fond d’émeutes. Certains personnages sont récurrents entre ces trois opus, à la manière de ce que ferait une sorte de jeune Balzac, façon Comédie humaine, vue… des tours Balzac.
Rachid est un vrai auteur urbain, enfant de la Seine-Saint-Denis : l’entretien se fait à distance, il est dans le métro, il y aura donc 6 interruptions de communication, 24 sonneries de fermeture des portes (trajet Saint-Denis-Montreuil), et pas mal de coupures dans les réponses, le temps de dire bonjour aux potes qu’il croise… allez, on y va, en voiture tout le monde !
Tu disais, lors de la sortie de ton précédent livre, que ta conception de la littérature urbaine, c’est de faire parler la ville. C’est toujours valable ?
Oui, la ville, Saint-Denis notamment, est le personnage principal de mes livres. La ville parle dans mes livres, à la troisième personne, je fais sentir ses émotions. Elle a l’âme d’un être humain.
On est à la croisée du polar, du roman social, du livre documentaire…
Oui. C’est pour ça que les préfaciers des mes deux derniers livres sont Dominique Manotti, puis Didier Daeninckx, Et là, c’est Mohamed Mechmache. Ce sont des livres très documentés, très réalistes, mais je fais quand même de la pure fiction. Les trucs vrais, c’est tout ce que les gens retiennent dans un livre, mais ce n’est pas très riche, au niveau littéraire. Je préfère que les gens se fassent leur idée, se demandent si ce que je raconte est vraiment réel. Il faut réussir à faire des personnages stéréotypes, et à les habiller, les garnir avec des éléments qui les rendent crédibles…
2005, les émeutes, ça reste quand même un contexte bien réel…
Oui, au moment où ça se passait, j’étais en pépinière à Saint-Denis. Le décalage que je vivais entre ce que je voyais et ce que disaient les médias était tel que je voulais raconter ça autrement. Intégrer des repères temporels réels donne plus de force, plus de résonance au roman. Avec « Des chiffres et des litres » [son précédent livre, NDLR], c’était la Coupe du monde 98 et la mixité, qui existait bien entendu bien avant la Coupe du monde…
Sur la couverture, on reconnaît Jalil Naciri, d’Alakiss, un autre pilier de la culture populaire des environs de Saint-Denis…
Oui, il y a un côté familial dans ce que je fais. Lui m’invite à donner mon avis sur ses films, moi je le fais participer à mes livres, c’est mieux que d’aller chercher n’importe quel mannequin… c’est un clin d’œil à une certaine culture populaire aussi.
Et « Flic ou caillera », alors, c’est un choix qu’il faut faire quand on est dans un contexte de quartier, façon émeutes de 2005 ?
Pas du tout ! C’est seulement une référence à « Flic ou voyou » [film polar de Lautner et Audiard, en 1979, NDLR]. Je n’oppose pas deux camps, mais le choix qui existe, comme dans ce film, entre les policiers qui franchissent la ligne et les autres.
La diffusion de ce livre se fera comme celle des autres, par des opérations de street marketing menées par toi ?
C’est vrai que sur mon deuxième polar, j’avais imprimé 50 000 flyers, fait 30 jours de tournée, réalisé une vidéo qui avait fait 240 000 vus… Mais ça avait fini par embrouiller les lecteurs, qui ne savaient plus s’il s’agissait d’un livre ou d’autre chose ! Je suis revenu aux strictes 3000 affiches et aux rencontres en librairie et dans les salons. En plus, d’ici une année, le livre devrait sortir chez Poche, avec de possibles conventions avec le monde de l’enseignement… Il y aura aussi un film ; il faut se dire que quand Grangé a sorti « Les rivières pourpres » au cinéma, il a tout pété ! Mais tout ça, c’est pas pour flamber. Quand tu arrives dans une grosse maison d’édition, où il y a plein de grands auteurs connus, si tu ne fais rien pour faire tes preuves, pour te faire voir, personne ne le fera pour toi !
Tu fais aussi parti de ces écrivains qui, comme les rappeurs, enchaînent les ateliers d’écriture…
Dans les maisons d’arrêt, dans les maisons de jeunes, dans les établissements scolaires… Maintenant, je fais des ateliers à la demande de Plaine commune habitat [bailleur HLM de Saine-Saint-Denis, NDLR], à Saint-Denis, dans les quartiers Floréal et Joliot-Curie. Mon côté tout-terrain les intéresse ! Il s’agit de faire du lien entre les habitants et de les faire participer à la vie de la cité. On travaillera aussi sur d’autres supports que l’écriture : la vidéo, la photo. Il s’agit d’amener la parole, par tous les moyens possibles. Le polar, ça suscite le débat !
Propos recueillis par Erwan Ruty