
Existe-t-il un mot français pour « entrepreneur culturel » ? - P&C / So you TV

Il fallait être à la résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis Charles H. Rivkin pour le voir taper la pose avec les membres du groupe K.ommando Toxic de Villiers-le-Bel. Dans la lignée d’une série d’ « opérations séduction » de l’ambassade yankee vis-à-vis des futures élites françaises -et notamment celles, « sous-exploitées », des quartiers populaires et de la diversité-, une rencontre franco-américaine y était organisée le 24 juin sur le thème des jeunes entrepreneurs culturels.
La césure transatlantique
Dés les premières interventions la différence de conception est frappante en matière de financement de la culture : bureaucratie administrative et subventions pour les frenchies, philanthropie, donnation et échange direct pour les « cainris ». Face à l’opacité des dispositifs de subvention de la culture, le comédien et metteur en scène Jacques Martial, actuel président de la grande Halle de la Villette met en avant le guide pratique du financement des projets culturels mis en place par son institution. Lucie Marinier chargée de la culture auprès de Bertrand Delanoë, reconnait quant à elle les césures hexagonales en culture subventionnée et entertainment, entre culture « cultivée » et culture populaire, mais, en fine connaisseuse de ses dossiers, elle défend les mesures de la métropole parisienne en faveur du l’économie numérique et des pratiques culturelles des amateurs.
Voilà qui dénote avec le discours des jeunes entrepreneurs culturels américains présents à la table ronde, qui tout droit sortis des plus prestigieuses écoles de leur pays, ont choisi la culture comme secteur d’activité. Pour « l’activiste numérique » Fred Benenson, qui travaille pour la plateforme de mécénat contributif Kickstarter, rien ne vaut le « value exchange » où dans un rapport rendu direct par le web, le donateur reçoit un retour de la part de l’artiste qu’il finance. Une logique qui correspond au « street performer’s protocole », cet accord tacite, où l’artiste de rue fait tourner le chapeau au spectateur qui a bénéficié de son savoir faire. Une conception que partage Christophe Geiseler, fondateur états-unien d’une association de « transformation des gens par la musique ». Il fait d’ailleurs d’ailleurs profiter l’audience d’un exercice de musique corporelle habituellement appliqué « aux leaders de communautés défavorisés à travers le monde » et que l’on croirait tout droit sortie d’une séance new age de « team building » de cadres dirigeants.
Internet sauveur de la culture ?
Avez-vous déjà été sollicité sur internet pour devenir producteur associé d’un projet artistique ? Ce principe de fonctionnement de Kickstarter est en tout cas une tendance de plus en plus répandue des deux côtés de l’Atlantique. Pour John Maeda, le touche-à-tout – artiste, informaticien et President du Rhode Island School of Design-, « grand témoin » de la journée, alors que dans le monde de l’art il faut « attendre dans la file », internet permet de « couper la file ». Ainsi les œuvres de qualité peuvent atteindre directement leur public sur le web en court-circuitant les intermédiaires. Miles Marshall Lewis, journaliste critique de la pop culture afro-américaine abonde dans le même sens. Pour lui les avancées de l’informatique, que ce soit en matière de production musicale ou de communication, ont sérieusement réduit les coûts des projets et l’enclavement des artistes en quête de reconnaissance. Ils ne seraient ainsi plus obligés, comme les premiers rappeurs à connaître le succès, d’utiliser l’argent de la drogue pour sortir leurs albums !
Un avis que ne partagent pas forcément Ekoué et Hamé de La Rumeur. Bien qu’ils aient très peu bénéficié de subventions publiques, ce n’est pas internet mais bien l’investissement privé qui leur a permis de financer leurs disques. Pour Ekoué « Internet ne remplacera pas les médias traditionnels que sont la télé et la radio. C’est par contre un complément évident pour accompagner les projets des artistes. » Le procès que le Ministère de l’Intérieur a intenté au groupe pour ses écrits a certainement fait plus qu’internet en matière de communication, faisant d’eux les porte-étendards de la liberté d’expression.
Quelle place pour les minorités ?
« Qui n’a jamais rêvé de devenir Shawn Carter » ? C’est avec l’exemple du milliardaire Jay-Z que Chloé Juhel de la radio Générations , qui a prêté ses talents d’animatrice pour une des deux tables rondes de la journée, a tenu à ouvrir le débat sur les opportunités offertes aux entrepreneurs culturels issus des minorités. « Mieux vaut tard que jamais » a-t-elle ajouté concernant le récent intérêt des institutions culturelles françaises pour les cultures urbaines et les quartiers populaires. Pour John Maeda « être différent » est forcément un avantage quand il s’agit de culture. A ses yeux internet permet aux minorités de se rassembler en créant sur le web une « minorité de masse ».
Plusieurs des représentants de la culture hip-hop française ont fustigé l’obstacle hexagonal de la discrimination, qu’elle soit liée à la couleur de peau où à la culture hip-hop jugée hexogène par leurs interlocuteurs. Ainsi, le rappeur Bek’soul de K.ommando Toxic a expliqué qu’il a du s’associer à une personne « à la peau plus claire » pour être pris au sérieux par les financeurs de son disque et pouvoir bénéficier du dispositif de garantie mis en place par l’établissement public Oséo. La productrice Laurence Lascary a quant à elle souhaité une évolution du CNC vers une meilleure prise en compte des jeunes talents de la « diversité » et des quartiers populaires, dans lesquels sa structure De l’Autre Côté du Périph’ est spécialisée.
Les Etats-Unis sont-ils un paradis de la création culturelle et de la diversité et la France un pays de bureaucrates rigides et fermés ? On peut penser que la tonalité globalement élogieuse vis-à-vis des Etats-Unis est due à l’absence de représentants des ghettos américains qui auraient pu témoigner des limites de l’american dream. Il a en effet fallu l’intervention d’un américain pour nuancer le tableau : John Maeda a rappelé que les states ne sont pas exempts de racisme et de discriminations et que dans l’ensemble la France reste un endroit plus accueillant pour les artistes. Il a terminé son intervention en citant un de ses « bushisms »* préférés : « Les français n’ont pas de mot pour « entrepreneur » ».
YT
*nom donné aux inepties auxquelles le président Bush nous avait habitués
Voir le reportage réalisé sur place par So You TV :