Du rock au rap, crash dans la transmission

Le 06-10-2011
Par xadmin

27 mars 2010. Sur la scène de Canal 93, à Bobigny, Casey et B-James croisent la rime avec les guitares rockeuses de Zone Libre (notamment Serge Teyssot-Gay, ex-Noir Désir). Avec en ouverture, l’indétrônable Olivier Cachin, pour nous édifier sur les tentatives de fusion rock et rap de part et d’autre de l’Atlantique, depuis la mythique compil’ « Rapatitude » (1990). Un voyage back in da days impeccablement restitué par notre docteur ès hip-hop, toujours sapé comme un prof de lettres latines de la Sorbonne, mais toujours armé de galettes définitivement introuvables (sauf dans sa discothèque perso), pour assortir son exposé ex cathedra de sons bien sentis. Et pour essayer de comprendre comment et pourquoi les années 90 n’ont pas été celles de la transmission de la flamme rebelle, du rock alter au rap hardcore -hardcore mais pas engagé. En tous cas, pas engagé comme l’entendent les « engagés » traditionnels. Chronique d’une transmission avortée, ou d’une alchimie en devenir, à voir.

Le rappeur est-il un punk des cités ?
Casey, jeune égérie d’un rap contestataire et sans concession se frotte à un univers que peu de MC’s connaissent, celui du rock. Pourtant, dès1990, les musiciens cabossés de LSD (La Souris Déglinguée) ouvraient la première partie de leur mythique concert de l’Olympia sous des glaviots crachés par une paire d’excités qui répondait au doux acronyme de NTM. La boucle est bouclée en quelque sorte. Mais qu’en est-il vraiment ? Le concert de l’Olympia avait fait couler beaucoup d’encre. Deux genres musicaux d’extraction prolétarienne qui étaient plus que de la musique, qui apparaissaient aux yeux de critiques rock fascinés et d’un public alter conquis d’avance comme la manifestation essentielle d’une nouvelle culture alternative et contestataire. Autour de NTM se cristallise un noyau dur d’activistes, de graffeurs, de journalistes atypiques (Get Busy), de tourneurs et d’organisateurs de concerts hip hop (IZB). Du côté des rockers alters, des gens comme les Béruriers Noirs, LSD, Les Garcons Bouchers voient d’un bon œil l’émergence de cette culture hip hop surgie pratiquement ex-nihilo. NTM tape, à longueur de rimes, sur un système jugé inique et castrateur, avec un phrasé hystérique qui n’est pas sans rappeler celui des gâchettes punk rocks. Le public rock est conquis. Mais Gérard Biot, fondateur de Rock à l’Usine, nuance le tableau. « La formule rock alternatif/ rap était embryonnaire lors des années 80, début 90, et je ne garde pas le souvenir d'une alchimie régulière, peu de concerts proposaient des groupes de la scène rock alternative et des groupes de rap... Ce n'était pas vraiment à cette époque à l'ordre du jour, les formes d'engagement n'étaient pas les mêmes. »

Olivier Cachin, commentateur décalé du rap de l’époque, enfonce le clou : « Les premières parties rap de groupes de rock, c’était du pur opportunisme de la part des rappeurs, même NTM le reconnaît, vu qu’il n’y avait pas de groupes de rap en première partie desquels passer ! Mais le rap disait le rock c’est fini ! comme avant lui les punks disaient, le rock c’est fini ! Les rappeurs, c’était les punks des cités. C’est : le rock c’est trop cher, y’en a marre de ces riches et de ces blancs chevelus avec leurs pantalons moule-couilles. Nous on a notre musique, nos codes, notre danse, notre style vestimentaire, le graf…»

Assassin de la police
Un groupe arrive sur la scène au début des années 90, qui va pourtant tenter de fédérer esprit rock et public rap : Assassin. Rockin Squat assassine sur 8 pistes les dérives d’un Etat jugé autocratique, tandis que Madj, l’éminence grise du groupe, fixe et affine la ligne politique. Un état d’esprit radical qu’on retrouve chez des américains comme Rage Against The Machine ou Living Colour. Pour Fawzi Méniri, attaché de presse chez Capitol, et qui travailla sur la promo des albums d’IAM et d’Assassin, la Seine St Denis dessinait un nouveau paysage musical au début des années 90. « La Seine-Saint-Denis a pu développer un réseau dans les villes pour permettre aux artistes de s’exprimer… Personnellement je suivais l’évolution d’un groupe comme NTM dont j’étais fan. Assassin également via Maître Madj qui habitait à Romainville. » Ce dernier fait le lien entre la vieille école, celle des activistes rock, des militants des quartiers, et une scène rap dégoulinante d’énergie brute qui ne demandait qu’à être canalisée.

La politique s’occupera de toi
Le rap avait été présenté par des journalistes branchés parisiens comme de la musique engagée. L’engagement des rappeurs ? « C’est les observateurs extérieurs qui voient ça comme ça », calme tout de suite Cachin. Pourtant, selon lui, « Assassin était admiratif des Bérus, de leur puissance d’organisation, de leur capacité à drainer autour d’eux tout un mouvement. Mais jamais ils n’auraient pu le dire ! Tu peux pas dire que l’ennemi fait des trucs biens ! Et puis les rockeurs qui font du rap, que ce soit The Clash, la Mano Negra, Titi et Nobru… c’est Satan pour les rappeurs ! » Quant à IAM, ce n’est pas à proprement parler un groupe politisé. NTM vomissait sa haine du système sans réflexion globale structurée et structurante. Seul Assassin cultivait cette fibre politique. « Si tu te ne t’occupes pas de politique, la politique s’occupera de toi », avait coutume de dire Rockin Squat. Dans la même veine, pour Philippe Cadiot, il y avait aussi le magazine Get Busy « qui était fait par des pionniers passionnés et connaisseurs du hip hop, ils étaient détenteurs d'un état d'esprit et d'une culture qui se perd de nos jours dans le rap. La largesse du spectre artistique créée par le hip hop original est réduite à deux/trois clichés de nos jours, c'est regrettable. Mais des artistes comme Casey et la Rumeur s'inscrivent clairement dans cette filiation ; ça gratte là ou ça fait mal, le discours est virulent mais précis dans le texte. Ces gens-là ont des convictions et les expriment fortement dans leur musique. Le lien avec NTM ou les Béruriers Noirs est clair. Pour le mercantilisme, la réponse est facile, à partir du moment ou les disques ont commencé à se vendre par wagons, l'appât du gain supplante tout, principalement quand tu viens de secteurs défavorisés. Difficile d'être crédible dans un engagement politique radical quand on est blindé de fric ! »

Musique divertissante et laxative
« Quand on est jusqu'au cou rentré dans le système, on ne le critique plus » déplore Philippe Cadiot, fondateur du Café La Pêche à Montreuil. Pour Dee Nasty, c’est la culture club qui a asphyxié les Dj hip hop. « Les Dj ont commencé à jouer ce qui passait en radio, mais en plus fort. Pire, ils ont commencé a s’acheter des serato [pièce pour les platines de scrath laser] et à télécharger la musique pour amortir leurs investissements. L’esprit du hip hop était définitivement mort. » Les radios associatives et alternatives avaient très vite compris que le rap se cantonnerait rapidement à une fonction de musique « divertissante et laxative », dixit un activiste qui a voulu garder l’anonymat. « Le rock alternatif avait des couilles, les mecs voulaient juste un endroit dans un squat pour jouer, maintenant un rappeur de 15 ans, qui n’a jamais sorti de disque, il refuse de dormir dans un Formule 1 et te demande un abonnement de téléphone… La fusion rap rock a donc absolument foiré. Mais l’avenir n’est pas si sombre, poursuit notre poète. »
Et Philippe Cadiot de tempèter : « On ne peux que constater que les choses changent, en pire, et que des musiques qui tirent leur essence de la rébellion et de la contestation se retrouvent en tête de gondole des supermarchés à la disposition des beaufs... ». Clairement, il n’y a pas eu transmission entre l’engagement de certains rockeurs et la rébellion viscérale de beaucoup de rappeurs. Pourtant, bien plus que le rock –mis à part peut-être dans les années 60- le rap a toujours exprimé un mal-être social, et les rappeurs ont toujours revendiqué d’être les premiers témoins de réalités que bien peu de journalistes et sociologues allaient explorer. Mais depuis les années 80, les temps ont changé. Les rappeurs quarantenaires, souvent, ont envie de passer à autre chose. La donne pourra-t-elle changer avec le projet de Casey et Teyssot-Gay ? Kenny Arkana, la Rumeur, et Zone Libre amorcent-t-ils un nouveau cycle, peut-être le véritable « Rap des rapetous » proféré par les « nouveaux indiens urbains » des zones grises de la Douce France ?

Karim Madani et E. R. pour Zebrock

 

 

 

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