
De la rue à la scène, une ascension sociale par la danse - Ressources Urbaines

La danse hip-hop est l’un des premiers arts populaires à avoir été reconnu par la culture élitiste. Récit d’une longue mais belle ascension.
Il semble loin le temps où Kader Attou et Mourad Merzouki investissaient les halls d’immeubles de la banlieue est de Lyon pour « performer » et imiter les spécialistes du hip-hop qu’ils voyaient à la télévision. Vingt-cinq années ont passé depuis. Le temps pour la danse hip-hop de glaner ses galons et pour les deux chorégraphes de se retrouver à la tête des Centres Chorégraphiques Nationaux de La Rochelle et de Créteil en 2008 et 2009. La preuve peut-être que cet art de la rue a enfin acquis ses lettres de noblesse, plus de vingt ans après son explosion en France. Souvenez-vous. Née dans le Bronx de New-York, arrivée en France sur le parvis du Trocadéro en 1980, la danse hip-hop a explosé véritablement dans les quartiers populaires au cours de l’année 1984. « Grâce à l’émission télévisée « HIP HOP » de Sidney tournée à La Courneuve et diffusée tous les dimanches » se souvient Fonky Foued Hammani, qui comme Kader Attou et Mourad Merzouki, a commencé dans la rue à Montreuil avant d’intégrer, vingt ans plus tard, la prestigieuse compagnie Montalvo-Hervieu. Mourad Merzouki: "on a travaillé sur l’écriture chorégraphique, sur la diversité des danseurs, la diversité musicale. La particularité en France, c’est qu’on a pu très vite partir de la rue et aller sur scène. On a donc pu rencontrer les institutions, les artistes autres que ceux du hip-hop. Cela qui nous a permis de nous enrichir, de nous nourrir de la rue, du quotidien tout en ayant l’exigence artistique que l’on peut avoir dans le théâtre, ce qui nous a fait évoluer vers un hip-hop compréhensible et agréable pour un public qui n’était pas uniquement composé de connaisseurs. Pour cela, nous avons dû introduire des clés de lecture qui nous rendent accessible à un public varié de 7 à 77ans. Si nous étions resté dans la rue, on aurait été paradoxalement enfermé dans un hip-hop qui tourne en rond et n’évolue pas, marqué par l’immédiateté et l’urgence."
Mais si cette génération de danseurs ambitieux et dynamiques contribua il est certain à sortir le hip-hop de la rue, d’autres évènements et surtout d’autres personnes ont permis au phénomène de s’accélérer dans les années 90. C’est le cas notamment d’Olivier Meyer qui initia en 1993 le festival « Suresnes Cité Danse » afin de repérer et de présenter les meilleurs interprètes de la danse Hip Hop, ou encore de Jean Paul Montanari, directeur du festival Montpelier Danse. À Lyon, c’est Guy Darmet, alors directeur de la maison de la Danse de Lyon, qui commence à soutenir Mourad Merzouki et ses différents projets dont Käfig. Christian Tamet, directeur du Théâtre Contemporain de la Danse, proposera, lui, à Fonky Foued Hammani de se produire sur la scène de l’Opéra comique en 1992 avant de lancer les Rencontres Urbaines de la Villette en 1996.
Pour la chorégraphe Dominique Hervieu, l’une des premières avec José Montalvo à s’être intéressée à cette danse après l’avoir côtoyée en 1983 dans une salle d’entraînement ouverte aux danseurs par Paco Rabanne, cette culture de la rue offrait à cette époque « un nouveau souffle et la possibilité d’un métissage artistique » intéressant. « On y sentait des influences très diverses, chacun était libre de se réapproprier, de tisser son propre style à partir de son parcours. L’incroyable énergie des danseurs, le caractère festif, populaire et le goût du partage ouvraient à la création chorégraphique, parfois enfermée dans les codes du classique et du contemporain, des perspectives riches et joyeuses. »
Dès lors, il ne restait plus qu’à la danse hip-hop à se faire connaître et reconnaître par le plus grand nombre. La tournée nationale et internationale lancée durant trois ans par le Théâtre Contemporain de la Danse suite aux premières Rencontres Urbaines de la Villette avec la participation de Mourad Merzouki et Fonky Foued Hamani (IF) y contribuera grandement. « Aujourd’hui, le hip-hop n’est plus considéré comme l’occasion de prouesses techniques ou comme un pur divertissement. Il est programmé au Théâtre National de Chaillot, mais aussi dans des festivals de danse tels que Montpellier Danse ou la biennale de la danse de Lyon et le public ne s’en étonne absolument pas. C’est, comme les autres disciplines de la danse, devenu un art savant mais qui ne rompt pas avec ses origines populaires » remarque Dominique Hervieu.
Forte de cette nouvelle notoriété, un lieu de création et de développement chorégraphique dédié à la danse hip hop « Pôle Pik » a même été créé en 2009 à Bron, dans l’Est lyonnais, sous l’impulsion de Mourad Merzouki. Autant dire que cet art populaire a encore de belles pages d’histoire à écrire.
Véronique Bury - Ressources Urbaines