De « Don’t panik i’m muslim » à « Don’t panik », itinéraire d’un concept signé Médine

Le 06-11-2012
Par Dounia Ben Mohamed

Le « démineur des préjugés », Médine, rappeur de son métier, entrepreneur social de vocation, publie « Don’t panik »*. Un libre dialogue avec le géopoliticien Pascal Boniface.

C’était ma première expérience « littéraire » et j’étais un peu crispé.

Comment est né ce livre-entretien avec Pascal Boniface « Don’t Panik » ?

Notre première rencontre avec Pascal remonte à 2009, à l’occasion de la sortie d’une revue  publiée par l’Iris [NDLR : Institut de relations internationales et stratégiques dirigé par Pascal Boniface] qui s’intitulait « Le Monde occidental est-il en danger ? »Pascal m’a contacté parce qu’il voulait un regard différent. Il me connaissait par ses enfants qui lui avaient fait écouter ma musique. On a fait cette interview. Le feeling est plutôt bien passé. On est resté en contact. J’ai repris contact début 2012 avec lui après avoir lu « Les intellectuels faussaires », un livre qui m’a beaucoup marqué. Je voulais voir si on pouvait travailler ensemble sur un projet. J’avais envie de cristalliser dans un bouquin la philosophie du slogan « Don’t Panik » à la lumière de ses connaissance. Ce qu’il a accepté. Je voulais Pascal pour le faire. Parce qu’il a des connaissances particulières, une expérience particulière. Je ne voulais pas que ce soit la vision du rappeur, je voulais une contrepartie. On a réalisé une quinzaine de discussions enregistrées puis retranscrites. Pascal a tellement l’habitude de sortir des bouquins, que cela a été relativement vite. Ça m’a même un peu déstabilisé. Je lui disais : « Tu ne penses pas que là c’est un peu rapide, qu’il faudrait plus réfléchir en profondeur ? » C’est là qu’il m’a donné une grande leçon. Hormis ses connaissances, c’est un homme d’action. Il n’hésite pas à sortir les choses, même s’il n’obtient pas tout de suite la pierre philosophale qu’il espère, il le fait, pour créer le débat. C’était ma première expérience « littéraire » et j’étais un peu crispé.

Ce n’est pas le même exercice que pour l’écriture d’un morceau de rap ?!

Non effectivement. J’ai eu besoin de m’informer davantage, de me documenter, de faire des recherches. C’est le même exercice que l’écriture d’un morceau mais en plus approfondi parce qu’on se dit  que les mots ne sont pas chantés, ils sont posés ; le fait de les matérialiser leur donne un autre poids. Il fallait être le plus juste possible.

Le plus juste possible auprès de qui ?

Le but de ce slogan Don’t Panik et de ces conversations avec Pascal, c’est de déconstruire les préjugés, tous les préjugés qui peuvent créer du fantasme et de la peur en France. Les personnes visées par ce livre sont à la fois les victimes de ces préjugés mais aussi les auteurs. Peut-être parce qu’ils sont eux-mêmes victimes de ceux qui manipulent  ces peurs. Finalement, c’est une cible assez large. Tout le monde a des postures assez globalisantes. Envers une communauté ou l’autre. Le but est donc de déconstruire pour rentrer dans un véritable débat, de commencer à réfléchir à des vraies questions. Une fois que ce travail de déconstruction des préjugés a été fait, le but est de proposer. On a réfléchit à des solutions. Le tout étant d’entrer dans un débat sain.

A côté de ce livre, vous présentez un nouvel album « Made In ». Dans quelle mesure accompagne-t-il le livre ?

Il y a deux étapes musicales. La première étape, ce mini-album, qui s’appelle « Made In », sorti le 29 octobre. Composé de six titres, il est représentatif des thèmes présents dans le livre. Il a vraiment vocation à accompagner le livre, peut-être même de le densifier. Pour une fois, c’est le disque qui vient apporter de nouvelles pistes de réflexion. L’album est clairement plus décomplexé que le livre. Et le prochain album « Don’t Panik » comme le titre du livre, sortira à la rentrée 2013.

J’essaie de bousculer ma propre communauté pour la faire évoluer.

Dans le livre, comme dans l’album donc, vous vous attaquez tant aux militants d’extrême droite qu’aux salafistes, pour caricaturer un peu. A toutes les formes d’extrémisme en somme?

Il ne s’agit pas seulement des salafistes. Je ne suis pas toujours tendre avec ma communauté, bien au contraire. J’essaie de bousculer ma propre communauté pour la faire évoluer. Parce que si aujourd’hui il y a des préjugés c’est aussi de la part de la communauté musulmane.  Parce que sur certaines questions, la réflexion est renvoyée à des théologiens qui ne vivent pas dans ce contexte-là. Je n’ai pas envie d’être dans du populisme, d’un côté comme de l’autre.

Je vois deux types de personnes aujourd’hui : ceux qui travaillent pour le rassemblement et ceux qui travaillent pour la division

Vous avez le sentiment qu’aujourd’hui se sont les extrêmes qui occupent la scène et font le débat ?

Je vois deux types de personnes aujourd’hui : ceux qui travaillent pour le rassemblement et ceux qui travaillent pour la division. Alors même qu’ils prétendent travailler pour le rassemblement. Mais de quel rassemblement parlent-ils ? D’un rassemblement qui exclut une partie de la population française ? Le but de ce livre est justement d’éviter l’entre-soi. D’éviter de victimiser ma communauté à outrance pour faire valoir un certain nombre de droits ou faire connaître certaines conditions. Il existe une situation d’islamophobie en France comme il existe des discriminations de manière plus générale à l’encontre des jeunes de quartiers. Une fois qu’on le sait, qu’est-ce qu’on fait ? Moi, le but de mon action se trouve à ce niveau, dans la proposition. Il est là le combat, et plus dans la provocation. J’ai longtemps été dans la provocation. Ça a été une stratégie claire qui a très bien fonctionné. Parce que c’est comme ça que je conçois le débat : on provoque, on déconstruit et on dialogue sereinement.

c’est comme ça que je conçois le débat : on provoque, on déconstruit et on dialogue sereinement.

Dans la provocation justement, vous vous être servi d’un outil particulier, le t-shirt « Don't panik i’m muslim » qui a fait le tour du monde. Racontez-nous comment est née cette aventure et à quel dessein ?

Le t-shirt est arrivé à un point stratégique de ma carrière. A un moment où justement la provocation était perçue difficilement. Je me mettais plus de barrière à provoquer qu’à proposer. Le t-shirt m’a fait passer de la provocation à la dédramatisation satirique.  Ce n’est pas de la provocation frontale c’est une invitation à l’entre-connaissance. Ce slogan qui est apparu pour la première fois dans un t-shirt m’a fait passer un cap dans ma carrière. C’est comme une conversion artistique. Mettre de l’humour dans mon action m’a permis de réorienter ma carrière. De mûrir. Et de rencontrer des gens comme Boniface.

Un slogan qui depuis a évolué ? Il y a de nouveaux  t-shirt dont les « Don’t panik i’m black »…

C’est parti du combat contre l’islamophobie. Le point de départ était de lutter contre les préjugés dont étaient victimes les musulmans en France. Aujourd’hui, le slogan ne concerne plus que la communauté musulmane, mais toutes les classes, toutes les identités qui sont victimes de préjugés. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai intitulé le livre « Dont’Panik » et non « Don’t Panik I’m muslim ». Même si l’islamophobie est au cœur du débat. Parce que je considère qu’aujourd’hui l’identité musulmane est celle qui fait l’objet de plus de fantasmes, de peurs et de stigmatisations. Aujourd’hui, le slogan ne nous appartient plus. Il n’appartient plus à l’artiste Médine ou au label Din Records. Certains se le réapproprient. C’est ce qui est intéressant pour moi, en tant qu’auteur. Je n’ai pas envie que ce slogan devienne une machine commerciale qui fasse fonctionner une usine bien huilée.

Ce sont des rappeurs qui m’ont redonné goût à la lecture, à l’histoire, à aller chercher plus de connaissance.

Ce concept autour duquel vous recentrez aujourd’hui toutes vos actions est né de quelles influences ? Quelles sont les valeurs qui ont fait de vous ce que vous êtes aujourd’hui ?

Je suis un produit de mon environnement. Les plus belles valeurs que je porte ce sont mes parents qui me les ont enseignées. Ils ont passé la plupart de leur vie en France. Mon père était un immigré algérien, il a grandi en France. Mes valeurs, ce sont des valeurs républicaines. Que l’école de la République enseigne, ou prétend enseigner, de façon égale, dans toute la France. Maintenant quand on grandi dans un territoire, on a d’autres idéologies, philosophies, qui viennent s’ajouter à l’éducation parentale et qui nous enrichissent. Mon rap, mes prises de position, mes décisions d’homme aujourd’hui, sont nourries par mon éducation parentale, mon éducation artistique, les valeurs du rap quoi qu’on puisse en dire. Ce sont des rappeurs qui m’ont redonné goût à la lecture, à l’histoire, à aller chercher plus de connaissance. Des valeurs religieuses aussi. Quoi que l’on puisse dire sur l’islam dans les quartiers heureusement qu’il y avait les imams pour jouer les rôles de médiateur à un moment où l’on pouvait être en rupture avec la société.  Toutes ces valeurs me viennent de partout et au final ce sont des valeurs humanistes, même si c’est un mot un peu fourre-tout qui fait peur à des personnes qui craignent la mondialisation. Je crois qu’il y a des valeurs communes aux identités, aux communautés, aux religions, aux pays différents, et j’espère que dans mes textes, on retrouve ces valeurs. Si j’arrive à influencer des personnes dans ce sens grâce à mes textes alors c’est déjà une victoire pour moi parce que cela signifie que j’ai été fidèle dans ma musique à mes propres valeurs. 

Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed

*Médine et Pascal Boniface,Don’t Panik, Editions Desclée de Brouwer, octobre 2012, 224 pages, 17,90€.

 

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