« Dans l’originel, il y a l’universel »

Le 13-07-2011
Par xadmin

Ya Rayah win msafar trouh taaya wa twali
Ô toi qui t'en vas, où pars-tu ? Tu finiras par revenir
Chhal nadmou laabad el ghaflin qablak ou qabli
Combien de gens peu avisés l'ont regretté avant toi et moi

Dahmane El-Harrachi.


L’immigré d’Afrique du nord est arrivé dans les années 30 puis 60, 70 et 80. Souvent seul, laissant femme et enfants au pays. Chaque jour après l’usine ou le chantier, il retire son bleu de travail et se prépare. Costume, cravate et chechia rouge sur la tête. Tiré à quatre épingles, le voilà prêt pour se rendre dans le seul lieu où il retrouve un peu de réconfort : le bistro. Peut-être celui de Lucette, la tenancière qui le reçoit, les reçoit tous, les écoute, leur sert à boire.


Autour des verres, un air de chaabi rend les effluves de l’exil plus respirables et ce qu’on ne se dit pas pour ne pas tomber dans la lamentation, on le chante. Parfois, un Dahmane El-Harrachi ou un Slimane Azem, arrivait avec sa mandole et ses paroles nostalgiques composées au fond d’un foyer ou d’une chambre de bonne. Ainsi est née la musique chaabi made in France.

Origines contrôlées, projet porté par Mouss et Hakim, reprend ces chansons avec une énergie folle. Un disque, un festival, une revue, une exposition, des films, des concerts, des débats. Les deux frères et le Tactikollectif géré par leur autre frère Salah Amokrane se sont mis au service de cette histoire oubliée. Interrogés par la télé libre , Mouss et Hakim expliquent que cette initiative est née à la suite du débat sur l’identité nationale. Ensuite, il y a eu projet AOC, les apéros origines contrôlées, « On joue au comptoir dans des bistros où apriori il n’y a pas de concerts habituellement, raconte Mouss. On ramène les chansons là où elles ont vécu. Ces artistes ont écrit l’histoire en temps réel. Et aujourd’hui, voir des gens dont ce n’est pas l’histoire rentrer et danser sur cette musique-là, ça nous montre que dans cet originel, il y a l’universel. »

Naïma Yahi, historienne, chargée de recherche à l’association Génériques, a été l’année dernière commissaire d’une exposition à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), où elle a travaillé avec Origines contrôlées. Quelque temps après, avec Mouss et Hakim, elle a rencontré l’équipe de Méziane Azaïche, le patron du Cabaret sauvage à Paris. Celui-ci lui fait part de sa volonté de monter un spectacle sur l’histoire de l’immigration maghrébine en France. Il veut recréer un café d’époque et retracer cette histoire. Méziane propose à Naïma Yahi de coécrire ce projet. Et voilà l’historienne qui se lance dans la dramaturgie. Ce travail d’écriture conjugué à la mise en scène de Géraldine Benichou et les performances de plusieurs artistes de talent, a accouché du Barbès café qui a eu lieu du 11 au 28 mai dernier au cabaret sauvage.

En plus du spectacle, Méziane a tenu à offrir un couscous chaque soir. Interrogé par Berbère TV, il explique : « Cette convivialité me parait très importante. On intègre très facilement la musique et la nourriture. Le couscous est devenu le plat préféré des français. Et l’homme qui est derrière tout ça, on du mal à l’intégrer ».

Sur la scène, entre deux reprises de chansons d’époques, apparait Lucette, campée par Annie Papin. Elle essuie les verres derrière le comptoir et nous parle de ces hommes qu’elle reçoit dans son bar. Elle est le témoin de leur exil, l’oreille qui écoute leurs confidences. Lucette est la concubine de Mouloud, le patron du Barbès café. Naïma Yahi nous apprend que « les Algériens sont les seuls étrangers à pouvoir posséder un débit de boisson en France. Cette close a fait partie des accords d’Évian», nous explique-t-elle avec le sourire.

Lucette, personnage très populaire, représente donc ces femmes des bars qui ont vécu au plus près des premiers immigrés : « La question était : comment faire voyager les spectateurs pour les amener dans ce café, 50 ans en arrière, et leur faire vivre les grandes séquences historiques de l’enracinement de l’immigration algérienne en France ? Qui mieux que Lucette pour raconter la trame de l’enracinement des immigrés maghrébins ! C’est un spectacle qui a un point de vue politique mais il est rigoureux sur le fond historique. Et des femmes comme Lucette ont bel et bien existé ».

À travers le récit de la tenancière, le spectateur revit les événements de Charonne, ceux du 17 octobre 61, l’indépendance de 1962, l’élection de Mitterrand et les 120 000 régularisations de sans papiers, la montée du FN, la marche pour l’égalité, etc. Des projections d’images d’archives montées par Aziz Smati donnent du relief au propos de la narratrice. « Les gens ont été émus aux larmes, nous confie Mohamed Ali Allalou, coordinateur du spectacle. On a eu énormément de jeunes qui sont venus voir le spectacle et qui ont découvert cette histoire qu’ils connaissaient mal ».

Vu le succès rencontré, le Barbès café part en tournée dans toute la France jusqu’en 2013. Il devrait notamment passer par la CNHI l’année prochaine. Alger vient de refuser de l’accueillir pour des raisons inconnues. Mais Mohamed Ali Allalou ne perd pas espoir de parvenir à le jouer en Algérie. Pour lui, « les Algériens doivent connaitre cette partie de l’histoire de leur pays qui s’est écrite en France avec ces immigrés qui étaient là et qui ont aussi lutté pour l’indépendance ».

Meriem Laribi.
 

http://www.tactikollectif.org/
http://latelelibre.fr/
http://www.cabaretsauvage.com/home.php
http://barbes-cafe.mondomix.com/fr/artiste.htm
 

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