Dans les coulisses d’un “marché du film”

Le 02-07-2012
Par Dounia Ben Mohamed

Ce 20 juin 2012, le Théâtre de la commune d’Aubervilliers accueille la JJPI. Dans le hall, des petits groupes échangent, un gobelet de café à la main. On s’embrasse, on se serre la main, selon le degré de connaissance. Mais c’est ailleurs que cela se passe. Au marché. 

 
« On va être dans les coulisses… c’est génial ». Raphäl Yem a lâché son micro d’animateur de MTV le temps d’une journée pour animer le premier marché de l'audiovisuel et du cinéma indépendant et cosmopolite. Le premier round ne va pas tarder  à démarrer. Les organisateurs pressent le pas aux participants, les invitant à rejoindre leur stand. Certains seront plus enclins que d’autres. Très vite, tout le monde se met en place. Ça démarre. Le temps fort de cette deuxième édition JJPI peut commencer. 

Des jeunes producteurs pré-castés

Une dizaine de jeunes producteurs indépendants sont attablés à leur stand, attendant patiemment que le destin vienne s’asseoir face à eux. Premier constat, on est très loin de l’ambiance des marchés habituels. Dans une salle pas bien grande, des jeunes producteurs sont tranquillement installés sur des tables, des chaises libres face à eux. Le but étant qu’elles ne le restent pas longtemps. Des affiches, flyers, DVD, habillent les stands, cherchant à accrocher l’œil des responsables de programmes et des départements cinéma de grandes chaînes de télévision présents. A l’entrée, ces derniers disposaient d’un petit catalogue présentant les produits « en vente » : photos, boîtes et filmographies des prétendants. Des producteurs pré-castés par un jury expérimenté : la chroniqueuse TV et radio Rokhaya Diallo ; Brice Mondoloni, chargé de la programmation stratégique de Canal + et Claire Frachon, journaliste et consultante média, de Europe diversity. Les critères ? «  On a fait appel à des personnes qui ont fait le choix de la professionnalisation, en créant leur société, afin de les aider à développer leur business, précise Laurence Lascary, jeune productrice, organisatrice des JJPI. L'idée de cet événement est de s'en sortir par l'économie. » En somme, ont été retenus, des producteurs qui ont monté leur société, ont déjà des produits dans le circuit, et d'autres tout près. Ne leur manquent que les distributeurs. C'est l'objet de leur participation.

Le court, un bon moyen pour faire ses armes dans le métier

Discrète, seule à son stand Nina Vilus, attend. Cette jeune productrice a fait le déplacement spécialement de Guadeloupe pour participer à l’événement. Ou presque. « Je devais être à Paris pour d'autres rendez-vous, j'ai prolongé mon séjour pour les JJPI,  confie-t-elle. Je suis Française d'Outre-mer. Nous avons les mêmes problèmes que les jeunes producteurs d'ici, de banlieue notamment, et peut-être plus car nous sommes plus isolés géographiquement. » Fondatrice et gérante d'Art & Vision Productions, Nina Vilus donne essentiellement dans le documentaire, avec des formats courts, un mode de production qui permet de poser ses marques dans le milieu. « J'ai des fictions et du documentaire en format court en développement. Je démarre, pour faire du long il faut de l'expérience. Le court métrage est un bon tremplin, c'est un bon moyen pour ses armes. Même si artistiquement, ce n'est pas l'exercice le plus simple. Il faut trouver un concept original, il y a un rythme à trouver. Mais financièrement, c'est plus abordable qu'un long. » Pour preuve, alors que sa société n'a été créée qu'en 2008, elle a déjà deux documentaires diffusés à son actif, « Couloir extérieur » et « Gwada Ride ». Tandis que deux autres sont en recherche de distributeurs avant même de commencer le tournage. En ce sens, elle attend beaucoup de cette journée. Et surtout de la personne qu’elle doit rencontrer. « J'ai déjà un rendez-vous avec un responsable de programmes d'une grande chaîne. Si ça prend, je lui enverrai les scénarios terminés. »

Des films pré-achetés 

Car il faut plus d'une rencontre avant de signer. Les films présentés ici sont « pré-achetés » par les chaînes, ainsi que l'explique Pascale Faure, responsable des programmes courts de Canal+. « J'étais déjà venu l'an dernier, comme ça pour voir, et finalement on a pré-acheté deux films, assure-t-elle. Je viens avant tout faire des rencontres. Quand ça me plaît, je leur demande de m'envoyer le film. Même si je n'achète rien, la qualité de l'échange est là, ils peuvent m'envoyer d'autres projets, j'accorderai plus d'attention à leur mail parce qu'on a eu cette première rencontre. C'est ça, les JJPI : des rencontres avec des jeunes producteurs que je n'aurais jamais vu autrement ». D’autant que l’ambiance, légère et détendue, le cadre, très informel et en mode décontracté, facilitent les échanges. Le moindre espace est saisi pour « tenter sa chance ». A l’intérieur, comme à l’extérieur du marché. Dans le hall, dans le jardin pendant la pause nicotine, ou à la sortie des WC, pourquoi pas. D’autant que tout le monde joue le jeu volontiers. Chacun pouvant, a fortiori, y trouver son compte : les uns en trouvant acheteur à leur création, les autres en dénichant le prochain succès TV. 
 

Un rendez-vous, une chance ! 

Justement dans les allées, se promène Harry Tordjam, la star du jour. Le parrain de cette édition des JJPI n'est autre que le producteur de « Bref ». Une série diffusée sur Canal + et qui connaît un franc succès. D'où l'intérêt que lui portent les participants. Accompagné de Sophie Deloche, productrice de Vestiaires, un autre programme diffusé sur France 2, Harry Tordjam a ouvert la matinée avec une table ronde au cours de laquelle il a pu revenir sur l’aventure insolite de « Bref ». « Sans le pilote, c'était mort, indique-t-il. Ce n'est pas évident de toucher les directeurs de programme. Quand on a un rendez-vous, il ne faut pas se rater. C'est important d'avoir quelque chose à leur montrer. »  « Moi je viens de banlieue, complète Sophie. Je ne connaissais personne dans le milieu quand j'ai commencé. Il faut se dire que tout est possible. Les chaînes sont friandes de nouveautés. Il faut y aller au culot. Mais vous n'aurez qu'un rendez-vous, qu'une chance ! » 

Accompagner les jeunes producteurs dans leur recherche de financement

Retour au premier round du marché, temps fort de l’événement. Il s'en tiendra deux dans la journée. Deux moments inédits pour nombre de participants. La chance dont parlaient Sophie Delloche et Harry Tordjman est peut-être là, dans le hall, ou la salle où se tient le marché. Aussi, les jeunes producteurs profitent de chaque instant pour saisir leur chance. L'idée est aussi d'obtenir des conseils. Au fond de la salle, sur un autre stand, Stéphane Feret directeur d'Etyk Emotion. S'il n'est pas dans la moyenne d'âge des autres participants, autour de la trentaine pour la plupart, il n'en est pas moins jeune producteur. Sa société a quelques mois à peine. Et son concept est particulièrement original : il s'agit de monter des projets « résoluments éthiques, de la conception à la réalisation en passant par le contenu », explique-t-il. C’est aussi là l’intérêt et la singularité de ces journées : la politique clairement affichée de créer un melting-pot. 

Quatre films achetés lors de la première édition 

Face à lui, Barbara Tonelli du site touscoprod.com. « C'est un site participatif. On est là pour accompagner les jeunes producteurs dans leur recherche de financement.» Les discussions se poursuivent sur ce stand. On échange cartes de visite, DVD ou flyers. Chacun y va selon ses moyens, son bagoud, pour accrocher les programmateurs. A défaut de signer un contrat, il faut marquer le coup pour que son interlocuteur se souvienne de vous, afin de poursuivre l'échange ultérieurement. Ce qui s'est passé à l'issue de la première édition : « Un jeune producteur avait échangé avec un directeur des programmes, raconte Laurence Lascary. Ça ne s'est pas concrétisé ce jour là, mais par la suite, il lui a envoyé un autre produit et ça a marché ». Parmi les films sélectionnés pendant la première JJPI, figurait un des projets cinématographique du réalisateur de « Rue des cités » de Hakim Zouani, (Nouvelles toiles), préacheté par Pascale Faure. « Le tournage vient de commencer à Aubervilliers », indique celle-ci. Une autre histoire commence… 

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