Culture hip-hop: la rançon du succès - Ressources Urbaines

Le 27-10-2010
Par xadmin

Du graff, au rap, en passant par les vêtements, les cultures urbaines originellement populaires sont aujourd'hui aussi adoptées par les classes aisées. Mais comment? Et à quel prix ?

Il s'appelle Justin Conseil, porte un costume, une cravate... et il rappe. «Je suis notaire, Un métier d’enfer. J’mets l’nez dans tes affaires Pour que t’aies pas, Non pas de galère !...» Ce personnage est le héros d'un clip publicitaire, imaginé par les notaires de France pour promouvoir leur corporation. « Avec le rap on est dans la revendication » explique-t-on, en guise d'explication, à la direction de l'association.

L'origine du rap est pourtant populaire et aujourd'hui encore, comme l'explique Stéphanie Molinero, sociologue* : « pour beaucoup de gens, les rappeurs font de la merde et ce genre musical reste associé à la banlieue ou à la violence ». Il n'empêche. La réception de la culture urbaine et populaire hip hop est en train d'évoluer. Exemples entre autres. De juillet à novembre 2009, la fondation Cartier a proposé une exposition « Né dans la rue » sur le Graffiti. Dans le même temps, la première médiathèque du hip-hop ouvrait ses portes, rue d'Aubervilliers.

« J'ai grandi dans un pavillon »
Frédéric, un passionné de graff reconnaît « une prise de conscience au niveau institutionnel ». Lui même raconte : « j'ai grandi dans un pavillon avec ma mère et mon frère, dans une banlieue plutôt aisée». A 15 ans il se passionne pour les fresques murales. « Je gribouillais déjà, mais j'ai rencontré un mec qui graffait. Il venait effectivement pas de mon milieu, il m'a montré son book, ça m'a mis une claque. » Ce qu'il aime du graff ce sont « les codes, le crew dans lequel on tague, son esprit de famille : c'est un groupe uni, fraternel ». Pour Fred la démocratisation du graff n'est pas un problème. « Moi je pense que tant que le produit est de qualité, la provenance ne compte pas. »
En plein centre de Paris, devant le prestigieux lycée Fénelon on a croisé Louise, Marius et Marine. Tous les trois en Khâgne, amenés à constituer « l'élite de la nation », comme le disent certains profs de prépa. « J'étais au concert de Snoop Dog à l'Olympia le 30 juin! Quand je suis arrivée, les mecs m'ont dit: c'est pas ici le concert de Mireille Mathieu », raconte Louise en riant. Blonde, des cheveux frisés en liberté, de grosses lunettes de vue sur son nez et un rouge à lèvre vif, Louise a le look bobo par excellence. Elle reconnaît sans difficulté être d'un milieu privilégié : « je vis dans le quartier ».

Le rap sans engagement politique
Que les « bourgeois se mettent à écouter du rap » ne dérange pas non plus Cédric Coart, aka Arko man, un employé du Samu social, rappeur depuis une petite dizaine d'années. Il s'émeut en revanche d'une certaine déperdition, car à se démocratiser les cultures populaires deviennent plus lisses. « Moi je ne crois pas au rap sans engagement politique, et c'est quelque chose qui s'est un peu perdu depuis que les rappeurs peuvent bien bouffer de leur art. » Ce n'est pas une affirmation que conteste Louise. « Pour moi écouter du rap c'est surtout un divertissement. Et puis j'aime trop crier West Coast en concert! » dit-elle en levant le bras, les doigts en « W ». A ses côtés, Marius confirme : « C'est aussi agréable de pouvoir se sortir de l'image qu'on nous impose. On est en prépa, à un moment, on en a marre et on a envie de se laisser aller ».
Analyse de Stéphanie Molinero : « C'est sûr qu'il y a une forme d'encanaillement pour les classes supérieures qui se mettent à écouter du rap. Mais l'encanaillement c'est aussi une forme d'adhésion... »

Sur les traces du jazz

La sociologue rappelle qu'en d'autres temps, les mêmes faits se sont produits avec d'autres cultures comme le Jazz, passé d'une musique de révolte, de sueur et d'énergie à une musique écoutée en salle, par des publics assis, issus souvent de milieux aisés.
Pour Arko c'est avant tout l'argent qui est responsable de cette transformation majeure dans le rap. « Les gens qui ont fait le plus de mal au rap français c'est Skyrock, du moment où ils ont décidé de faire du blé, ça a tout changé. Et surtout, ils ne diffusent que des artistes signés... » Mais attention, « le Rap est encore loin d'être légitime, comme le sont aujourd'hui le Rock ou le Jazz. On peut supposer qu'il le sera dans dix ou vingt ans », dit Stéphanie Molinero qui rappelle une théorie américaine selon laquelle « il y a trois étapes de légitimation d'un genre musical. On passe de la « folk music », la musique du peuple, à la « popular music », la musique de masse, ce qui implique une indistinction sociale et enfin on atteint le stade de la musique considérée comme un art. »

Et demain?
Le stade de légitimation est donc loin d'être atteint. Dans l'enquête sur les pratiques culturelles des Français menée en 2008 par le ministère de la culture et de la communication, sur 100 personnes interrogées, seules trois désignaient spontanément le rap comme leur genre de musique préféré, contre 7 pour le Rock et 20 pour la chanson française.
Stéphanie Molinero met aussi en garde contre les schémas simplistes : « toutes les personnes issues de milieux populaires ne sont pas forcément fans de rap, certaines détestent ça ». Une question reste en suspens cependant, si les cultures urbaines et populaires deviennent celles des classes plus aisées, que restera-t-il dans les quartiers comme culture de différenciation, de revendication ? « On peut supposer qu'on devrait voir quelque chose de nouveau émerger », répond Stéphanie Molinero, « Après... Quoi, c'est impossible à savoir maintenant! »

Renée Greusard - Ressources Urbaines

* Stéphanie Molinero: Les publics du rap. Enquête sociologique. Ed. L'Harmattan, collection Musiques et Champ Social, 2009.

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