
Casting : En être ou pas

Quelle est la part de fantasme et de réalité dans le déroulement des castings de cinéma ?Rencontre avec un directeur de casting spécialisé dans le recrutement de jeunes des banlieues, Mohamed Belhamar.
Le dernier baromètre annuel sur la représentation de la diversité à la télévision publié par le CSA pointait une stagnation* des efforts des chaînes. A l'heure où France 2 s'apprête à lancer en prime-time, Chérif, un feuilleton policier avec l'acteur Abdelhafid Metalsi dans le rôle principal, comment un acteur issu des minorités peut-il aujourd'hui crever l'écran ? Nous avons posé la question à Mohamed Belhamar, responsable de casting sur des films comme Un Prophète de Jacques Audiard. Il nous livre une première piste : « Pour moi, les choses ont tout de même beaucoup bougé. Mais surtout au cinéma. A la télévision, les rôles proposés sont plus souvent caricaturaux. Je connais plein d'acteurs qui y vont mais uniquement parce qu'il faut bien gagner sa vie. »
Des castings encore tenus par les anciens
Qu'apporte donc de plus le septième art ? « Par exemple, j'ai proposé pour le film Les Hommes libres, deux jeunes que j'avais dirigé dans un court-métrage. Lors du rendez-vous avec l'équipe, ils ont été retenu de suite tellement ils avaient fait impression. Les responsables n'avaient même pas besoin de regarder ce qu'ils avaient fait auparavant et depuis, ils enchaînent les rôles. » Un enthousiasme qu'il modère toutefois un peu : « Les castings sont encore tenus par des anciens. Ils ont souvent une image décalée des jeunes de banlieue. On ne leur donne pas de rôle intéressant de premier plan. C'est plutôt quand j'ai affaire directement aux metteurs en scène que je peux plus facilement imposer mes choix. » Et de relater une mauvaise expérience sur le film Tête de Turc de Pascal Elbé où on lui demandait de chercher un Blanc qui ressemble à un Arabe. « J'ai préféré renoncer. Depuis je suis plus attentif aux personnes avec qui je vais travailler. »
Une culture urbaine très cinématographique
Mais sur la question centrale de savoir si les jeunes des banlieues sont plus facilement recrutés, il estime que ces derniers se mettent aussi des bâtons dans les roues. « Au bout de trente vestes, ils abandonnent. Là où d'autres, issus de catégories sociales différentes, continueraient encore. Ce découragement participe aussi à leur non-présence sur les écrans. Sur Un Prophète, il y avait un jeune qui voulait faire du théâtre, tous les autres le charriaient, en lui faisant comprendre que ce n'était pas fait pour un type comme lui. Je leur expliquais alors qu'ils pourraient tous être à ma place si seulement ils le voulaient. Moi. Autodidacte. Arrivé là un peu par hasard. Pour que les jeunes soient repérés et sollicités, il faut aussi qu'ils donnent envie aux responsables de casting. Le discours blasé ne fonctionne pas. Je dirais même que ce ressenti imprègne l 'apparence d'un apprenti comédien là où certains dégagent une image qui se détache de ces contingences. » Un point de vue iconoclaste qui en dit long toutefois sur la volonté de réussir que tout acteur en herbe doit avoir chevillé au corps. Peut-être plus que dans n'importe quel autre métier. « Le cinéma rattrape les gens. L'envie d'y percer est fondamental à la réussite. » Mais cela n'explique pas tout, la nécessité pour les productions de refléter l'ensemble du corps social devrait aussi sauter aux yeux de tous. « Hélas, il reste quelques barrières. Pourtant les gens sont parfaitement conscients qu'il est important de rendre cohérent la vision de la France au cinéma. » Avec de plus des atouts importants pour des médias où les critères artistiques jouent à plein : « La culture urbaine, précise Mohamed Belhamar, est très cinématographique. Le langage de banlieue est fluide, dynamique, moins corseté... Et puis, les gens sont beaux, ça colore l'image, l'avantage esthétique est indéniable. Sans compter qu'on parle de populations qui pour exister doivent se battre. C'est un point de vue assez fort en termes de richesse humaine et romanesque. » A ce dernier titre, une chose est sûre, pour lui, l'avenir du cinéma passera, plus précisément, par les femmes de banlieue : « Ce sont les meilleures comédiennes. »
* 12% de personnes perçues comme « non-blanches » dans la catégorie fiction