
Business : le 21è siècle sera-t-il celui de la démocratisation du cinéma ? (2ème partie)

Nouvelles caméras numériques. Financement participatif. Diffusion par les plate-forme participatives, vers de nouveaux supports de communication… autant de révolutions qui ébranlent le cinéma de papa. Mais cela signifie-t-il pour autant que les nouvelles générations ont pris le pouvoir dans un milieu si nombrilo-parisianiste ? Rien n’est moins sûr…
Il n’y a pas de business model avec Internet. Internet, c’est le gratuit, et ça ne changera pas
Financements participatifs et réseaux sociaux
Quelques belles histoires ont doré le blason des financements participatifs utilisant Internet, via les plateformes de crowdfunding comme Kiss kiss bank bank ou Ulule. Mais là encore, pas de panacée. Philippe Ramos, directeur de Tuttle films, et notamment producteur de « Les Yeux dans la banlieue », remarquable webdocumentaire sur un club de foot de Thiais raconte : « On a essayé le crowdfunding sur « US Caravana », un film qu’on a financé à 50% de ses maigres 10 000 euros par ce système, via Ulule. Les fondations, le CNC, les chaînes n’ont rien donné ! Le crowdfunding ne peut être qu’un complément. D’abord, c’est coûteux : 5-7% sont retenus par les organismes qui le promeuvent, et tu dois retirer un cinquième de TVA sur les fonds obtenus ; il y a ensuite les frais liés aux contreparties que tu fournis. Et c’est pas un financement sûr. En plus, il faut une histoire à raconter, avec des textes, des éléments visuels, des vidéos pour faire teaser, bref, beaucoup de contenus pour animer une mobilisation en amont. Qui plus est, c’est une histoire de réseaux : pour US Caravana, nos financeurs nous connaissaient directement ou indirectement. Si tes proches sont riches, autant qu’ils te donnent de l’argent directement ! Rares sont encore ceux qui vont sur ces sites pour financer des projets qu’ils ne connaissent pas : ils ne sont pas encore assez connus du grand public. C’est donc beaucoup de travail… Par contre, l’avantage, c’est de créer une communauté qui va parler de ton projet, cela créé un outil de participation. » Pour lui, dans cette activité, « le vrai enjeu, c’est l’éditorialisation. Cela signifie avoir un community manager, avec des posts réguliers, pour aller au-delà de tes amis. Et donc avoir tous les jours des choses à poster. Il faut aussi parvenir à être interactif. Oasis a réussi une véritable success story sur Facebook grâce à des posts réguliers et rigolos. Pour que ça marche, il faut soit des choses rigolotes (les petits chats), soit du cul ! Il faut que le sujet soit vu, il faut donc porter une histoire. Pour le webdocumentaire, il faut des sites de journaux pour la diffusion, et des réseaux sociaux. Mais le buzz marche surtout par le sensationnel, ou par les news. Quant à Twitter, l’enjeu est bien de toucher les prescripteurs d’opinion, les blogeurs , les décideurs. A partir du moment où tu fais un projet web, tu dois passer par là. Mais il n’y a pas de business model avec Internet. Internet, c’est le gratuit, et ça ne changera pas.» Jil Servant tranche : « Les sous restent dans le cinéma de papa ».
Il y a un vrai laboratoire pour des nouveaux films gore, pensé comme une production marketing pour les jeunes qui regardent les films dans de mauvais conditions, sur leur portable ou qui passent par Facebook
Webdocumentaire, tablettes, mobiles : les laboratoires du cinéma ?
« Pour « Les Yeux dans la banlieue », on a été voir les grands équipementiers sportifs, Addidas, Baniston etc. Ils n’ont rien donné, et on ne demandait pas grand-chose ! relate Philippe Ramos. Il n’y a pas d’entreprise mécène. Le CNC ne te finance un webdocumentaire que si tu es diffusé sur une chaîne ou un journal. Personne ne diffuse un projet qui n’est que sur Daily Motion. Par contre, si tu fais un projet dessus, tout seul, et que ça fait un buzz, tu pourras être financé sur un projet suivant. » Autre nouveauté, les smartphones et les applications dédiées, qui offrent un modèle économique au producteurs et diffuseurs : « avec les applications pour la téléphonie, par contre, tu touches quand même 70%, poursuit Philippe Ramos. Apple, Google, Microsoft sont tous là-dessus. La tablette ou le portable, tu les as toujours sur toi. Tu as ta maison, ta vie avec toi, tout le temps. Avant, moi, la musique, je la pompais gratuite via Internet. Maintenant, tu rentres ton numéro de Carte bleue une fois sur ton portable, et après, tout ce que tu télécharges est prélevé automatiquement. En plus, tu peux réduire les coûts de production : la qualité technique n’est pas très bonne ! » Là encore, à en croire Jil Servant, les Etats-Unis innovent : « Il y a un vrai laboratoire pour des nouveaux films gore, ou fantastiques, comme Paranormal Activity, pensé comme une production marketing pour les jeunes qui regardent les films dans de mauvais conditions, sur leur portable ou qui passent par Facebook : ils n’en ont rien à faire du cinéma avec de belles images et de grands acteurs. Là, on peut donc faire des films à moindre coût, mais au niveau qualité… » Il y aurait donc un bel avenir pour le cinéma low cost, en quelque sorte. Reste que le numérique, auquel les financements du CNC sont dorénavant ouverts, s’impose. Une période de transition s’ouvre. « Le 5D [appareil photo qui fait caméra] a explosé via les clips et les pubs, on va arriver à une vraie démocratisation », juge quand même Jil Servant.
Conclusion
« Il faut encore faire de l’institutionnel pour faire ses heures d’intermittent, et des projets à prix cassés à côté, insiste Philippe Ramos. Il n’y a pas de business model, et de plus en plus de réalisateurs. Un jour, il faudra une solution politique internationale : que l’on fasse payer des impôts aux fournisseurs d’accès Internet, pour remettre un peu d’argent dans l’économie du cinéma… » Même son de cloche du côté de Jil Servant : « Les jeunes auront peut-être un nouveau style, avec de nouveaux talents, mais ça ne sera pas grâce à un nouveau matériel. Les bases resteront les mêmes : si tu ne sais pas écrire, tu ne feras rien, sauf exception. Dans ce métier, il faut d’abord écouter l’expérience des autres au départ. Un réalisateur a toujours besoin d’une équipe, d’un producteur, qui ont confiance en lui. Beaucoup ont trop d’exigences, veulent tout de suite faire LE film… si tu as un ego surdimensionné avant de faire ton premier film, ça va être plus difficile… » Le cinéma restera le cinéma. Nouveaux outils numériques ? Nouveaux modes de financement et de diffusion ? Voilà peut-être l’avenir, certainement pas le présent.