Bruno Laforestrie : « On est les derniers à pouvoir parler aux plus durs des jeunes, bien plus qu'un sous-préfet à l'égalité des chances ! »

Le 23-05-2013
Par Erwan Ruty

Depuis l'année dernière, Bruno Laforestrie, n'est plus à la tête de radio Générations, tête de proue du festival Paris Hip-Hop... Ce touche-à-tout au tempérament commercial émérite est un passionné de politique -milieu qu'il fréquente depuis la campagne en faveur du traité de Maastricht, en 1992... très loin donc des figures qu'il fait défiler sur les scènes, de Snoop dog aux Roots. Il a toujours eu plus d'un fer au feu. Instinct de survie de l'entrepreneur culturel en milieu hostile ?

On veut être le festival d'Avignon du hip-hop
Faire un festival comme Paris Hip-Hop, est-ce plus facile en 2013 qu'en 2004 ? 
Dès 2004, on avait décidé que ce festival ne serait pas le festival de radio Générations. Oui, Générations était la tête de proue, mais en 2012 déjà, le partenaire principal était radio Nova. Le réseau est dorénavant plus ouvert, de même que les partenaires média, comme Africultures, ou Métro. L'Île-de-France a besoin d'une action culturelle forte autour du hip-hop, et notre objectif est la banalisation de cette culture. On fait maintenant des allers-retours avec les origines : on a collaboré avec la Colombie, avec Rocca, avec les USA sur le rôle des managers et l'empowerment.... Notre festival est polymorphe. On n'est pas Rock en Seine. On fait de la musique, mais aussi des débats, de la réflexion, du cinéma ; il y a du gratuit, du payant... Il faut différentes formes pour le hip-hop. Aux Etats-Unis, c'est un business, ici, on en fait une culture. On veut être le festival d'Avignon du hip-hop. C'est-à-dire un moment de stimulation pour que les gens créent eux-mêmes leur projet d'événement. 
 
dans un périmètre budgétaire qui diminue, personne ne va prendre l'initiative de couper dans ce qui existe pour favoriser les derniers arrivés comme le hip-hop...
Vous vous ouvrez de plus en plus, même si la situation n'est pas favorable aux cultures émergentes : les budgets se resserrent, en période de crise...
Au niveau commercial, il y a un public plus nombreux qu'il y a vingt ans. On ne remplissait pas un Zénith avec des danseurs, maintenant, si... Il y a plus de filles, le public est plus expert. Même au niveau médiatique, ce n'est plus « les Zoulous parlent à la Nation ». Les journalistes ont intégré cette culture. Pierre Birnbaum, directeur du Monde des Livres, est fan de rap. Quand je vais à radio France, plein de gens me disent que radio Génération a changé leur vie... Maintenant, c'est vrai qu'au niveau institutionnel, il y a un problème par rapport aux cultures populaires. Et un problème de renouvellement des structures de décision, qui sont tenues par des gens qui sont là depuis trente ans. Et dans un périmètre budgétaire qui diminue, personne ne va prendre l'initiative de couper dans ce qui existe pour favoriser les derniers arrivés comme le hip-hop... Cette culture n'est pas installée dans les instances décisionnaires de la culture. Paris Hip-Hop n'a jamais été soutenu par le ministère de la Culture, et la Région ne nous a aidé qu'après cinq ans. On peut mettre 400 000 euros pour l'ouverture symphonique d'un événement que l'on veut national, ou à l'IRCAM sur les musiques nouvelles, pas dans le hip-hop. Et ça ne change pas avec la gauche. 
 
On est les derniers à pouvoir parler aux plus durs de ces jeunes, bien plus qu'un sous-préfet à l'Egalité des chances !
Pourtant, cette culture touche une large partie de la jeunesse que le nouveau pouvoir veut soutenir...
Le vrai débat de fond, que j'avais initié avec l'Appel du 21 avril [initiative pré-électorale appelant à à « l'alternance générationnelle », face au risque d'un nouveau 21 avril 2002, et incitant à des primaires de toute la gauche, ndlr], est celui de la rupture entre les élites et la culture dominante : nos élites ne vivent pas dans leur temps, que cela soit dans les modes de consommation, ou la musique. Obama rentre dans les diners de parrainage en clamant : « I've got 99 problems and now Jay-Z is one » ! Le big-bang n'a pas encore eu lieu en France. Ce que j'attends d'un pouvoir de gauche, c'est qu'il agisse au moins au niveau des symboles, de la culture, du soft power. Mais ça évolue : les Alliances françaises nous ont demandé de faire une tournée dans le monde entier avec 20 artistes hip-hop, jusqu'en Mongolie, au Niger, au Sri-Lanka. Ils n'avaient jamais eu autant de demande, jusque dans les steppes ! Ils voulaient tous DJ Nelson [champion de France de scratch, ndlr], pas Houellebecq. Il y a bien une aspiration extérieure, et un vivier intérieur, mais le lien entre les deux a du mal à se faire. Le hip-hop s'autosuffit économiquement, mais ce qui manque, c'est que la réflexion aille au-delà de la simple consommation, vers ce qu'il y a dans la culture, dans l'éducation, chez les entrepreneurs de cette culture, si créative, si énergique... bref, tout ce qui pourrait faire comprendre aux gamins qu'il n' y a pas que le biz dans la vie. Rachid Santaki, il est à la fois sur un ring et dans la littérature. Il peut servir d'exemple dans la rue. On pourrait créer une éducation populaire nouvelle à partir de ça. Profitons de cette énergie, de ces talents. On est les derniers à pouvoir parler aux plus durs de ces jeunes, bien plus qu'un sous-préfet à l'Egalité des chances !
 

 

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