
« Black naked cowboy », entre malaise et ahurissement

Alexandre Degardin est jeune, spontané. Il aime bien expérimenter, prendre des risques. Avec une caméra baladeuse, il souhaitait croiser un show-man d’opérette en slip dans rues de New York, le « Naked cow-boy », qui s’offre au public avec une guitare sèche et un Stetson pour quasi seuls vêtements. Entretien, suite au prix « Medialab93 » remporté à l’Urban film festival de Rstyle, en juin dernier.
Le réalisateur, alors en dernière année d’études à l’Esra (Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle), et qui a déjà produit plusieurs films pour Tracks (Arte), notamment, partait à la rencontre d’une bête de foire états-unienne : le « Naked cow-boy ». Un gars qui au coin de deux rues bondées de la mégalopole, se donne en spectacle, chantant quelque ritournelle presque nu, qu’il vente ou pleuve, une guitare en main, mais en mode gardien de vaches… sans vache.
L'Amérique du "tout est possible" ?
Le seul troupeau qu’il attire, ce sont les badauds, mi-rigolards, mi-impressionnés par le beau gosse et sa performance. Pas mal de femmes sont filmées par Antoine Guibert, qui filme les entretiens. Leur regard n’est pas innocent, on l’imagine concupiscent, voyeur, séduit, ou amusé. Mais en voulant filmer l’original, il est tombé sur un de ses alter ego : le même, mais Noir. Un jeune un peu paumé qui voulait échapper à la drogue, au nom improbable, Titus Gandy ! « Je le trouvais plus intéressant que le cow-boy original. Plus en conformité avec l’identité de New York, alors que je cherchais un symbole de l’Amérique, du « tout est possible » ! Titus changeait de voie, il voulait être célèbre, comme acteur si possible ».
Devenir quelqu'un d'autre
Le courant passe tout de suite. Le film se fait direct, sans préparation, à l’américaine pourrait-on dire, dès cette première rencontre fortuite sur Time square. « L’inattendu marche mieux, dans le documentaire, je trouve. Surtout à New-York. En France, tout se prépare, ça prend plus de temps. Le thème sur lequel travaille Degardin : « devenir quelqu’un d’autre ». Il a déjà tourné sur un magicien, sur un spectacle burlesque… Cette nouvelle touche rentre dans les clous du jeune réalisateur. Le film est court, à peine plus de 10 minutes. Mais en une seconde prise, dans la foulée de la première, tout aussi directe mais plus intime, en tête-à-tête, dans le sous-sol glauque d’un parking, se précise le sentiment qui pointait déjà en live, à l’extérieur : derrière l’allant, le côté « show-off » et fanfaron du personnage volubile, il y a le désarroi.
Prisonnier du personnage
« Au début, comme tout le monde, notamment les jeunes, en voyant ce cow-boy, je me disais, c’est génial ! D’autres trouvaient le personnage ridicule… En réécrivant le film, comme un possible documentaire que je souhaitais faire, je me suis plus focalisé sur le danger potentiel : n’est-ce pas un peu vain ? Aujourd’hui, Titus est perdu. Il y a une détresse. Il est prisonnier du personnage : « Quand tu es Naked cow-boy, tu es obligé de le rester » dit celui-ci un an plus tard, quand je suis retourné le filmer. Un jour il veut arrêter, le lendemain recommencer. Et puis il dit : « Tous les jeunes de ma génération se droguent, moi je n’en ai pas besoin, je suis le Naked cow-boy ! ». Une dénégation ?
Le drame pointe vite, en effet : Titus a perdu sa licence. Il a été attrapé avec de la drogue alors qu’il était en train de faire le Naked cow-boy… Depuis, il a repris ses études, condition pour endosser à nouveau le rôle. L’occasion d’un autre documentaire, moins « enjoué », plus « dramatique », selon les termes du réalisateur, dans lequel il interroge aussi les parents. La thématique se précise, abyssale : « Faut-il être quelqu’un d’autre pour devenir quelqu’un ? » Par exemple, être un « Black outlaw » pour être un vrai « Black cow-boy »… ou l’inverse ?