Black Movies Summer : Quelle place pour les femmes (dans le Hip Hop) ?

Le 11-07-2013
Par Charly Célinain

C'est dans une chaleur estivale que s'est conclue l'édition 2013 de Paris Hip Hop (PHH). Concert End of The Weak sur les berges de scène, Narvalow show à Montreuil, une fin de festival musicale en plein air. Les amateurs de cinéma ont également eu l'occasion de fêter le hip hop ce week-end puisque commençait le Black Movies Summer (BMS) spécial « femmes » parrainé par PHH.

 
Cette année, la fin de la quinzaine Paris Hip Hop correspond au début du Black Movies Summer. Depuis quatre ans, le BMS propose la projection de films africains, afro-américains et afro-caribéens. Cette année le thème principal est « La femme » : « Nous sommes un collectif de femmes et au bout de la quatrième année nous nous sommes dit que nous allions quand même faire quelque chose autour de la femme ! » nous dit Cynthia, responsable du festival BMS. Plus qu'un festival de films classique, pendant trois semaines, grâce aux différents ateliers et débats organisés, le BMS sera un lieu de convivialité, de découverte, de réflexion et de loisirs. Pour son premier week-end, le festival a pris un fort accent Hip Hop.
 
Déjà nous sommes noires et en plus nous sommes des femmes. Double problème !

Femmes noires à l'honneur

« Déjà nous sommes noires et en plus nous sommes des femmes. Double problème ! » dit avec humour Cynthia (BMS) à propos de l'équipe du festival. Ce sera également une problématique abordée pendant ce festival décliné en plusieurs thèmes « Madame mon histoire », «  madame mon sexe », « madame réalisatrice » et « madame ma couleur » : « Par exemple, Pour madame mon histoire on a essayé de mettre en avant des femmes fortes avec l'histoire de Winnie Mandela, mais aussi avec le film « Moolaade » qui parle de l'histoire de l'excision » selon la responsable du festival. Samedi (6 juillet), lors de la première journée du BMS au Comptoir Général, les spectateurs ont eu la chance de visionner une archive rare : « C'est une vidéo inédite de la rappeuse B-Love. Ce live n'a jamais été diffusé sur Youtube ou sur aucune plate-forme » précise Cynthia. Un passage vidéo de trois minutes de l'émission de Michel Field « Le cercle de minuit » (1993), où la rappeuse chante en live son hit « Lucy » devant un Spike Lee très intéressé. Une rappeuse dans une émission télévisée plutôt généraliste, une image qui se fait rare vingt ans plus tard...
 

Femmes dans le hip hop

La culture Hip Hop était très présente au Comptoir Général ce samedi. Outre un showcase du Beatmaker-rappeur Nicky Lars, les spectateurs ont pu découvrir le documentaire de la réalisatrice brésilienne Lara Navarro, « The Beat of Africa » (2006), sur le rap et le graffiti au Gabon. D'une réalisatrice à une autre, puisque la projection suivante était l’œuvre d'une réalisatrice française. Jessica Porte a réalisé, en collaboration avec la directrice artistique Camille Poirson, le web/documentaire « Les femmes dans le Hip Hop » qui questionne sur la place des femmes dans la culture Hip Hop. Quatre intervenants, deux femmes, deux hommes, la parité : « Pour la danseuse je voulais une B-girl.  Le break, avec ses mouvements au sol, est beaucoup plus physique donc on y voit beaucoup plus d'hommes habituellement » explique la réalisatrice. 
 
Même les filles qui réussissent ont toujours un homme au-dessus d'elles

« ça a soulevé des choses »

Le regard des danseurs sur leurs homologues féminines a quelque peu étonné la réalisatrice : « En gros, on me disait que les femmes sont moins compétitives que les hommes,. Très consciencieuses lors des cours (…) Mais par contre quand il s'agit de compétition, de monter le niveau, il n'y a plus personne ». Une explication déjà entendue ailleurs qui montre que cette question de la place des femmes dépasse le hip hop : « C'est en écoutant leur réponse que je me suis rendue compte de tout l'intérêt de cette question, ça a soulevé des choses que je n'imaginais même pas en fait. Des choses que je voyais mais dont je n'avais pas conscience » confie Jessica Porte. Au gré de ses entretiens, une question centrale est ressortie : « Ils ont tous eu la même réflexion que je n'avais pas du tout vu comme ça : même les filles qui réussissent ont toujours un homme au-dessus d'elles et, en général, c'est la « petite » de quelqu'un. C'est vrai que je le vois tout le temps. Par contre, il y a une question à laquelle je n'ai pas de réponse c'est « Pourquoi ? » »
 
Ils avaient besoin de Nanas comme moi pour aller louer des salles, louer le matos, régler les micros...

« Les petites mains du hip hop »

Suite à la diffusion du documentaire, un débat, mené par Jessica Porte, a poussé un peu la réflexion sur la place de la femme dans le Hip Hop. Parmi les intervenantes, Mayleen, présidente de l'association Righteous et co-fondatrice de l'association Catharsis,  : « Hip hop since 1986, j'avais 15 ans ». « Ni graffeuse, ni rappeuse », comme elle le dit elle-même, Mayleen fait plus partie de celles qui organisent : « Ils avaient besoin de Nanas comme moi pour aller louer des salles, louer le matos, régler les micros... les petites mains du hip hop ». Cependant, ex-organisatrice de concerts, la présidente de Righteous déplore le faible pourcentage de femme dans le milieu hip hop : « J'ai fait un concert à la fac de Saint-Denis en 95, Casey était là, c'était la seule. Nous sommes en 2013 et c'est une des rares qui soit encore présente sur scène ».
 
Dans la Zulu Nation, les « queens » et les « kings » ont toujours été au même niveau, il n'y a jamais eu de différence

Les femmes loin des projecteurs

Si sur scène les femmes sont toujours aussi peu présentes aujourd'hui, Mayleen a quand même pu constater une évolution : « Il y a beaucoup plus de femmes réalisatrices, journalistes, dans des labels, des maisons de disque (...)ou photographes, ça a vraiment explosé. Parce qu'au tout début, les premiers magazines de rap, comme Radikal par exemple, il y avait peu de journaliste féminine, photographe... ». Aujourd'hui, les femmes ont donc trouvé leur place dans toutes les autres activités autour du Hip Hop mais loin des projecteurs. « Dans la Zulu Nation*, les « queens » et les « kings » ont toujours été au même niveau, il n'y a jamais eu de différence. D'ailleurs la première personne nommée à Paris par Bambaataa était une femme : Queen Candy [Dans les années 80, ndlr] » rappelle Mayleen. Un état d'esprit qui semble bien loin aujourd'hui.  
 
La situation ne va pas évoluer de si tôt, ça va rester comme ça un petit moment

Un web-doc qui voyage

A travers son webdoc, c'est la question de la place de la femme dans la société qui est posée. Une question qui intéresse : « Je ne pensais pas que ça passerait dans un festival, on me l'a demandé pour un festival au Canada j'étais la première surprise » raconte Jessica Porte, elle qui dit avoir « voulu développer un petit sujet, comme ça, sans prétention ». Un sujet qui demande encore à être approfondi selon la réalisatrice qui se donne un peu de temps avant d'attaquer ce travail qui « va au-delà de la France » : « La situation ne va pas évoluer de si tôt, ça va rester comme ça un petit moment. C'est un sujet qui peut être développé dans cinq ans ! ». 
 
Si les femmes sont plus présentes dans le milieu hip hop élargi, on ne peut nier la faible présence de Dj féminines, graffeuses, rappeuses. Seules les danseuses hip hop tirent (à peu près) leur épingle du jeu, peut-être aussi parce que la danse, de manière générale, est considérée comme une discipline plus féminine... La société avance, les stéréotypes persistent.
 
Le festival Black Movies Summer continue chaque week-end pendant tout le mois de juillet.
 
 
 
 
*L’UNIVERSAL ZULU NATION est une organisation d’individus à la recherche de succès, de paix, de sagesse, de compréhension et de bon comportement dans la vie. Créée à New York au début des années 1970 par DJ Afrika Bambaataa, elle a donné naissance à la culture HIP HOP
 
 
 
 

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