
Banlieues au cinéma : enfin des bonnes vibrations !

Cet automne plusieurs réalisateurs nous ont offert la possibilité de voir les quartiers et leurs habitants avec un regard bienveillant : Swagger de Olivier Babinet, Eloquentia, de Stéphane de Freitas et Tour de France, de Rachid Djaïdani ; ou même Divines de Houda Benyamina, dans un autre registre. Mais documentaire ou fiction (ou même parfois les deux mêlés), qu’elle peut être belle la banlieue !
« Dans ce film, on ne dit pas que tout le monde doit se donner la main pour faire un arc-en-ciel ! Mais qu’on peut vivre ensemble sans se haïr ! » Rarement Rachid Djaïdani aura été aussi peu emphatique et aussi laconique que ce soir d’octobre, dans ce cinéma de Créteil, pour présenter son film « Tour de France », avec le rappeur Sadek et la star évadée fiscale et politique Gérard Depardieu… Tout un projet en soi, tant ces deux univers paraissent à l’opposé l’un de l’autre. Et pourtant, ça marche !
De la candeur, et alors ?
En effet, ce film garde la patte Djaïdani, quoi qu’on puisse dire de son côté « optimiste ». Certe, rien à voir avec le côté punk de son premier, Rengaine, comte Ovni aussi halluciné que foutraque, aussi sauvage que viscéral. Si bien que pour ce second long métrage, les critiques sont pour beaucoup tombées sur le râble du réalisateur, en l’accusant d’être caricatural. Mais ces critiques ne sont-elles pas elles-mêmes biaisées ? Elles ne savent pas ce que c’est que de faire un film avec un grand acteur comme Depardieu, quand on est une (encore) jeune étoile filante de la profession. Elles ne savent pas à quel point il y a du réalisme dans la misanthropie du personnage joué par l’acteur franco-russse, ou la peine qu’il y a à sortir du ghetto quand on est un jeune rappeur. Elles savent encore moins à quel point il y a pourtant de l’énergie et de l’envie de sortir de ces habitudes respectives de la part des jeunes des banlieues, qui connaissent si mal leur pays et donc apprécient tant de s’y frotter ? Et à quel point seule la rencontre entre deux personnes peut provoquer ce décloisonnement. On pourra trouver que le rappeur qui peut déclamer du Baudelaire en prison est un cas rare, et que le raciste qui se trouve un fils « rebeu » est une vision candide de la vie. Mais n’a-t-on pas besoin de candeur, candeur dont Djaïdani s’est souvent fait une heureuse ligne de conduite, si ce n’est de vie ? Et ce qui est à la base de tout œuvre cinématographique, à savoir la volonté de réaliser une belle histoire, n’est-elle pas offert avec Tour de France ? On rigole, on aime les scènes insolites, on se prend d’affection pour les personnages, on aime certaines fulgurances (le slam d’amour dans l’hôtel, le clash marseillais avec des lascars en double dutch…) que demander de mieux ?
Néo-réalisme documentaire ?
Dans une autre veine, beaucoup plus réaliste et pourtant tellement métaphorique, Olivier Babinet nous offre une virée dans un triste Aulnay-sous-bois où gisent enfouies des pépites de cinéma… pour nous les mieux faire découvrir. Ce que peu de réalisateurs ne découvrent en général, faute d’y passer du temps (le temps, ce qui manque justement aux journalistes comme aux autres leaders d’opinion pour se faire une plus juste image de ces territoires). Le pari osé de Babinet (auteur de Robert Mitchum est mort, sans doute le film le plus opposé au Galion d’Aulnay qu’on puisse trouver !), est de fictionner la réalité la plus anodine : des enfants dans une école. Et ils sont incroyables ces jeunes, même les moins télégéniques d’entre eux ! Incroyable métamorphose que ce réalisateur a réussi ! Là encore, la bienveillance est l’antidote à la déprime. Babinet suggère beaucoup de la violence de ce territoire, dans quelques plans très durs, notamment nocturnes (sirènes, gyrophares dans la nuit, et parfois anticipation flippante à la Terminator à base d’images de synthèse). Et du coup il parvient à transforme ceux qui y résistent et s’y adaptent, sans en cacher les tentations et faiblesses, en faisant de véritables héros de cinéma, si ce n’est des héros de la vraie vie. Avec des images d’une douceur incroyable et des scènes scénarisées d’une force rare (en particulier les séances de défilé, qui font tellement penser à ces films que ces mêmes jeunes détestent, comme Les demoiselles de Rochefort). Une manière de valoriser le quotidien le plus terne, à l’instar de ce fait le réalisme poétique (on pense parfois à 1,2,3 soleil, de Bertrand Blier).
"Bigger than life"
Quant à Eloquentia, il s’agit aussi d’un bijou, un documentaire télé (diffusé par France2) sur un concours d’éloquence mené depuis la fac de Saint-Denis. Là encore, on a des personnages qui parfois se révèlent « bigger than life », alors que leur quotidien pourrait paraître tout ce qu’il y a de plus classique, si ce n’est morose. Mais non. Avec la parfois rugueuse énergie et bienveillance de quelques moniteurs (avocat, slameur, comédien…), des jeunes étudiants se dépassent pour s’affronter verbalement dans des joutes oratoires incroyables. Des performances physiques et intellectuelles d’une intensité rare, qui délivrent une énergie, une créativité qui ne demandent qu’à être débridées (et suscitées, canalisées)… pour se révéler face à un jury composé notamment de Leïla Bekhti, Kerry James, Rokhaya Diallo ou Edouard Baer. Quelques caractères bien trempés et des profils atypiques crèvent l’écran (en particulier le vainqueur, ses parents et la manière dont il s’est acclimaté à la province !), alors que leur quotidien pourrait ne rien laisser présager de folichon... Stéphane de Freitas, encore un acteur associatif qui, à force de fréquenter ces véritables personnages de fiction en herbe, est parvenu à en tirer la « substantifique mœlle ». Pour devenir réalisateur malgré lui, contraint et obligé par le spectacle auquel il assistait, alors qu’il n’est à la base que l’organisateur de ces concours, à travers sa structure, Indigo, depuis 2012.
Hestations Entre le bien et le mal
On ne peut s’empêcher enfin, dans cette flopée de bonnes nouvelles cinématographiques, de se féliciter de la caméra d’or reçue à Cannes pour Divines, de Houda Benyamina. Beaucoup a déjà été dit sur ce film, mais son regard tendre sur des personnages, une histoire et une situation des plus âpres, pessimiste (réaliste ?) permet sans doute de sauver l’essentiel : l’humanité. On reste cependant dans la lignée de (parfois grands) films se déroulant sur ces territoires, avec certes un contrepoint pas très répandu : celui d’une toute jeune fille et de ses rêves. Un élément rapproche en tous cas parfaitement ce film de ses personnages : une grande générosité, une énergie sans borne, et surtout, des personnalités clivées, hésitant chaque instant entre, on ose le dire, le Bien (l’élévation par l’amour, la beauté ou la spiritualité) et le Mal (les tentations). Un parfait condensé sans doute d’une époque et d’une génération, pour laquelle les tentations sont plus terribles que jamais. Surtout une belle histoire que cette trajectoire au départ militante (à travers l’association 1000 visages, active en Essonne depuis des années pour former des jeunes talents des quartiers populaires à cet art).
Mais après tout, on ne peut que noter qu’un trait de caractère réunit tous ces films : ils ont été réalisés hors des sentiers battus de la profession, quand bien même ils en maîtrisent certains des codes les plus fondamentaux, ce qui rend leur cinéma unique. Ateliers d’écriture ou de réalisation, projet associatif, expérience de terrain ou fulgurance poétique… il n’y a, à la base de ces projets, aucun calcul industriel ou commercial, aucune intention de faire de l’image pour faire de l’image, mais une envie, une urgence : celle de donner à voir autre chose que le triste spectacle qu’offrent parfois ces quartiers, ou la triste image que l’on donne d’eux. Et là encore, il faut parler de bienveillance : chacun d’entre ces films a été fait avec pour préoccupation première celle du matériau brut le plus dur à façonner, mais aussi le plus beau à valoriser : la personne humaine.