Amadou Gaye, « Paroles de nègres »

Amadou Gaye. Photo : Olivier Jolly
Le 17-11-2014
Par Erwan Ruty

Il n’est pas bien grand, mais ses yeux brillent dans la mi-nuit et ses ombres. Il est planté droit, fier, bien dans son corps, bien sous son chapeau qui fait aussi maintenant partie de l’homme, avec une aisance et une prestance qui habitent la salle intimiste. Il paraît frêle, presque hésitant et pourtant on est accroché à ses lèvres, comme à la paroi d’une falaise, menaçant de chuter à chaque instant et c’est ça qui rend le spectacle vivant.

 

On est ici, mais on est aussi en Afrique, aux Amériques, entre Guadeloupe, Haïti, Guyane et Alabama. On est ballotté entre trois continents, plus un quatrième, définitif : celui des mots. Après avoir été l’image, puisque photographe, Amadou Gaye est aussi aujourd’hui la parole, fantôme de griot bellevilois dans les frimas de novembre. Le verbe du poète debout nous happe en Alabama avec Langston Hugues. Tour à tour alors apparaissent Jean Métellus, puis le « Hoquet » de l’étonnant Léon-Gontran Damas, et après l’incontournable « Cahier d’un retour au pays natal de Césaire », et le cri « Aux tirailleurs sénégalais morts pour la France » de son ami Senghor ; et puis on entendra aussi quelques Souffles du sénégalais Birago Diop et même par moments des échos de son « Chant des rameurs »… et on sera tout d’un coup frappé par un déchirant et plein de révolte « Je n’aime pas l’Afrique », « L'Afrique des hommes couchés attendant comme une grâce le réveil de la botte (…) l'Afrique des plaines désolées / Labourées d'un soleil homicide, l'Afrique des pagnes obscènes et des muscles noués par l'effort du travail forcé » (Paul Niger). Alors on entendra soudain pousser un cri de Guy Tirolien, sans s’en étonner toutefois « Car si je pousse le cri / qui me brûle la gorge / c'est que mon ventre bout / de la faim de mes frères ». Enfin on se sentira comme « Celui qui a tout perdu » (David Diop), même ses enfants, dont il est dit qu’ils « quittèrent leur nudité paisible pour l’uniforme de fer et de sang ».



Bref, on est assis là  saisi sur quelque chaise de plastic froid, et soudain on n’est plus là, emporté par la houle noire, fétu de spectateur, et on se demande longtemps encore après la fin, « Ecoutant la Clameur / D'où venait l'âpre Chant / Le doux chant des Rameurs »…



"Paroles de nègres", une "déambulation poétique" de Amadou Gaye mise en scène par Gabriel Debray, au local

 

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