
Abdel Raouf Dafri : un prophète du scenario ?

A 45 ans, il est le scénariste « poil à gratter » du cinéma français. Une valeur sûre que tout le monde s’arrache. La Commune, Mesrine et aujourd’hui Un Prophète témoignent d’un style uppercut plutôt rafraîchissant par les temps qui courent. Rencontre avec un homme que plus rien ne saurait arrêter.
C’est dans un café de la rue des Martyrs, le dernier quartier parisien trusté par les bobos, qu’a lieu notre rendez-vous avec Abdel Raouf Dafri, sans aucun doute le scénariste français le plus en vogue actuellement. Jeans brut, chaussures Richelieu, polo cintré, barbe de trois jours, le personnage arbore la tenue décontractée du Parisien chic en vacances. Sauf que, malgré l’été et le ciel bleu, Dafri carbure actuellement sur l’écriture d’un projet un peu dingue (des petites frappes qui font du trafic d’art international) pour Romain « Kourtrajmé » Gavras.
En habitué des lieux - il réside à deux pas de là où nous sommes - Dafri s’installe, dos au mur, à la table la plus au fond de la salle. Position de l’observateur par excellence, propice au recueil des informations sur la vi(ll)e comme elle va, on n’imagine pas meilleur endroit pour un créateur pour lancer sa machine à fantasmes. Pourtant, ce n’est pas là que le scénariste cherche sa muse mais dans l’Histoire et les actualités. En un mot, dans la politique. « Ce qui m’intéresse avant toute chose, nous lâche-t-il, c’est de parler à la société française - mon pays –, de réalités qu’elle occulte, à travers des histoires fortes. » Ainsi, le déclic qui allait donner vie à Un Prophète s’est fait tout bêtement dans sa cuisine en entendant parler à la radio d’émeutes qui avaient lieu dans une banlieue. « Je me suis alors dit : Si demain il y a un type qui prend le pouvoir dans toutes les cités de la couronne parisienne, s’il est intelligent, il ne le fait pas avec les gangs de quartier mais avec les barbus. Ca lui donne une autorité spirituelle et, s’il a une force économique, il les contrôle par la même occasion. » A l’époque, nous sommes aux débuts des années 2000, journaliste lillois désoeuvré, Dafri a décidé de s’improviser scénariste pour tenter de sortir de la spirale infernale du RMI. Et ce qui ne s’appelait alors que Le Prophète, va à son grand étonnement déclencher un buzz et l’amener en peu de temps à concevoir de nouveaux projets. « Tout s’est ensuite enchaîné très vite pour moi, avoue-t-il, un concours de circonstances très favorable et inhabituel dans le métier. » Au point d’ailleurs, qu’il laisse le réalisateur Jacques Audiard remanier Le Prophète en profondeur pour mieux se consacrer à la série La Commune et à la commande Mesrine, ses autres œuvres marquantes.
Volontiers grande gueule, il le reconnaît lui-même, Dafri, sait aussi s’imposer quand il le faut. Canal+ décide, faute d’audiences satisfaisantes de ne pas reconduire La Commune. Il les rappelle à leurs engagements et leur vend un nouveau projet : Berlucci, une série éminemment politique (un videur de boite de nuit devient député-maire en épousant la fille d’un notable) et secrètement travaillé par le parcours de Sarkozy. Mais la question qui semble l’intéresser au plus haut point, celle qui le ferait parler pendant des heures, concerne les relations entre la France et ses populations issues de l’immigration. Lui, qui, né à Marseille de parents algériens, était destiné à devenir chaudronnier-soudeur via un CAP même pas terminé, comme on relègue trop souvent les jeunes de son acabit. « Le système, dit-il, est compliqué pour tout le monde. Encore plus pour les enfants d’immigrés, mais il ne faut pas s’en servir comme d’une excuse. Il faut juste en faire deux fois plus jusqu’au jour où il n’y aura plus besoin de le faire et où ce seront les Blancs qui viendront travailler pour toi. » De là, à parler de revanche. Le mot semble l’embêter. Et pourtant, toutes ses histoires parlent de types qui ne cherchent rien d’autre qu’à prendre le pouvoir comme pour conjurer quelque chose qui leur faisait défaut. Peut-être, faut-il chercher la réponse du côté de Francis Panama ? Ce nom que les rédactions (La Voix du Nord, TMC) qui avaient embauché le journaliste d’alors trouvaient plus doux à leurs oreilles que celui d’Abdel Raouf Dafri. « Il y a deux choses que la France n’a toujours pas réglées, dit-il. Le complexe du collabo et celui du colonisateur. Un jour, je me lancerai dans un film sur la Guerre d’Algérie. Et je vous promets que ça fera mal. » On attend avec impatience.
Abdessamed Sahali - Ressources Urbaines